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Eviter le crash

15 février 2009, 19:04

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La contestation des employés d’« Air Mauritius » s’amplifie. Faut-il donc fermer la compagnie nationale d’aviation ? Je n’ai entendu personne proposer la liquidation de cette entreprise considérée jusqu’à très récemment comme l’une des réussites de la nation. Et c’est tant mieux. Faut-il alors jeter par-dessus bord tout le management et son conseil d’administration afin de redresser la barre ? Je ne le pense pas.
Même si l’on devait conclure à des erreurs de gestion, la priorité de l’heure, c’est bien le redressement de la compagnie. Il ne devrait pas être question de nouveaux départs dans l’immédiat, du moins pas tout de suite, pas en pleine phase de restructuration. D’ailleurs, le management doit-il assumer seul le blâme de la dérive ? Le gouvernement, qui a imposé tant de contraintes opérationnelles à la compagnie, et qui continue à le faire, en porte une part de responsabilité. Si l’Etat fait partie, aujourd’hui, de la solution aux problèmes d’« Air Mauritius », il a aussi fait partie du problème.
Ce point est crucial car dans la crise qui frappe la compagnie, il convient de distinguer les problèmes qui sont de nature conjoncturelle, comme ceux entourant le fameux « hedging » et ses désastreuses conséquences financières, des problèmes qui sont d’ordre structurel. Je crois que la question de structure - structure opérationnelle et décisionnelle - est de loin la plus importante. Une entreprise peut se relever d’une mauvaise décision prise dans une conjoncture défavorable, mais elle ne réglera pas durablement ses problèmes si des faiblesses structurelles persistent. C’est le cas d’« Air Mauritius ». Si le plan de restructuration qui se dessine se limite à un simple exercice comptable et d’assainissement de sa trésorerie sans poser la question de son autonomie de gestion, ce sera prescrire du Panadol à un cancéreux.
Le cancer qui ronge « Air Mauritius » depuis des années et qui paralyse une part de son activité trouve son origine dans sa structure financière étatique. Comme l’Etat est l’actionnaire majoritaire, il a toujours considéré qu’il était de son droit de peser sur un certain nombre de choix managériaux de l’entreprise. Il le fait systématiquement dans les deux domaines qui déterminent le plus l’efficience de la compagnie aérienne : le contrôle de son réseau et sa gestion du personnel.
La question du réseau d’abord. Aucune compagnie aérienne ne peut prétendre à la profitabilité si elle gère son réseau et la fréquence de ses vols sans tenir compte du commercial et du financier. C’est ce qu’ « Air Mauritius » est forcée de faire parfois sous la dictée du gouvernement, insensible à la saignée financière que les mauvais choix occasionnent. Certes, dans certaines circonstances, la compagnie nationale d’aviation peut prendre en considération des objectifs nationaux plus larges, à condition que les exceptions ne deviennent pas la règle. Or, elles le sont devenues dans le cas d’« Air Mauritius ». C’est un problème majeur.
Ce n’est pas la peine de faire appel à des consultants en aviation si, en définitive, c’est un ministre ou un lobby qui détermine le choix d’une route aérienne. En revanche, je n’imagine pas « Air Mauritius » programmer ses destinations sans tenir compte des besoins et des attentes de l’industrie touristique, principale pourvoyeuse de ses clients. A ce sujet, l’industrie hôtelière est d’ailleurs toujours en attente anxieuse de quelques décisions urgentes. Et il ne faut pas se tromper, les conséquences pourraient être dramatiques.
Le deuxième problème est encore une résultante des pressions gouvernementales. « Air Mauritius » possède un personnel pléthorique, grossi par les politiques clientélistes des gouvernements successifs. Qui plus est, c’est un personnel extrêmement bien payé, bénéficiaire de nombreux privilèges, négociés périodiquement par les syndicats auprès de directions faiblardes, acheteuses de fausse paix industrielle, sous le regard attentif et attendri de l’Hôtel du gouvernement.
Que personne ne se leurre, c’est le « staff » de la compagnie qui jouit de conditions salariales bien au-dessus de la moyenne nationale. Les dirigeants des syndicats, très astucieusement, ont réussi à amener le débat sur les rémunérations soi-disant exorbitantes du « top management ». C’est démagogique, ça marche. Mais, à vrai dire, ce n’est pas là où le bât blesse. Dans l’ensemble, les conditions de cette catégorie de managers sont inférieures à ce qui existe dans les entreprises du secteur privé. Et il est injuste de lyncher ainsi des hauts cadres qui obtiennent, grosso modo, l’équivalent de deux mois de salaires sur les profits de leur entreprise, quand elle en génère.
Le bonus, dont on parle tant ces jours-ci, concerne la dernière année financière qui se termine en mars, et qui fut profitable. Cette année, le « top management » ne pourra pas en bénéficier. Si la restructuration vise à moderniser la gestion de l’entreprise, elle ne pourra pas faire l’économie d’une révision complète de sa politique de recrutement et des conditions salariales de son personnel. Autrement, je ne vois pas comment la compagnie pourra prendre l’engagement de réduire ses coûts par plus de Rs 400 millions. Il faudra que le gouvernement laisse faire le management.
Mais je ne le vois pas prendre cette vertueuse posture, lui qui a les yeux rivés sur la prochaine échéance électorale. Il le fera d’autant moins que c’est l’argent de l’Etat qui permettra à « Air Mauritius » d’éviter la banqueroute. Beaucoup d’argent à un moment où le gouvernement, frappé par la crise économique, commence à en récolter moins. Même si, en vérité, une injection de Rs 1,4 milliard dans une entreprise qui fait un chiffre d’affaires de Rs 19 milliards bien qu’en butte à un problème de liquidités, ce n’est pas la mer à boire. Mais quand le gouvernement aura investi davantage d’argent public, en accordant du « cash » directement, en permettant, en outre, à la compagnie de se décharger d’un bâtiment de plus de Rs 800 millions que l’Etat se propose d’acheter, le risque est qu’il se drapera d’une légitimité plus grande encore pour dicter ses desiderata.
Le problème, donc, n’est pas ce que l’on croit : les Rs 2,7 milliards nécessaires à la compagnie pour résoudre son problème de liquidités, elle va les trouver, mais si elle ne retrouve pas la capacité de gérer l’entreprise sans ingérence extérieure, si elle ne retrouve pas un conseil d’administration composé de directeurs compétents et libres, si elle ne parvient pas à mettre au pied des syndicalistes qui se croient co-gestionnaires, « Air Mauritius » piquera effectivement du nez. Pas cette fois. La fois prochaine.

Jean-Claude de l''''Estrac