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Faux débat, vrais enjeux
Valayden doit rire sous cape, un peu jaune sans doute, mais rire quand même. Il a réussi son coup. Il fallait mettre un terme à ce tamtam mauve. Insupportables, ces embrassades.
Et dangereux, ces souvenirs. Redécouvrir la part jouée par le MMM dans la construction du pays, son rôle dans l’acquisition, par des démunis, de leurs droits, voilà qui risquait de rendre son prestige au parti et de contrecarrer les ambitions du PMR. Valayden ne déclarait- il pas à un récent congrès : « Nous sommes là pour remplacer le MMM » ?
Mais lui n’a pas ce capital, n’a pas, dans son album, de photos le montrant ensanglanté, n’a pas d’histoire. Comment récupérer l’électorat mauve ? En inventant des histoires. Celle de créoles battus, ça va faire de l’effet. C’est fait. Et ça suffit.
« L’affaire Valayden » a réussi à occulter, par un faux débat, les vrais enjeux. Retournons-y. L’une des questions qui devrait mobiliser notre énergie est la remise en question d’une institution, le système de bourses d’Etat aux lauréats. Annoncé par le ministre Bunwaree, ce projet souvent évoqué n’a jamais abouti. Toute la durée de son mandat, Steve Obeegadoo avait constamment annoncé qu’il travaillait à un livre blanc qui poserait les bases d’un nouveau mode d’allocation des bourses.
En vain. Les failles du système étaient pourtant généralement acceptées : c’est de l’argent « jeté », parce que les mêmes formations sont dispensées localement, parce que ces lauréats ne reviennent pas, parce qu’ils choisissent des formations coûteuses et non pertinentes aux besoins du pays.
Mais le système a perduré, atteignant l’an dernier ses 190 ans.
Comment donc a-t-il pu à ce point résister au temps ? Il est clair qu’il a joué dans l’inconscient collectif une fonction bien plus importante qu’on ne voudrait l’admettre.
Dans cette élite que le pays aura célébrée chaque année, se reflétait sa capacité à réussir, à s’en sortir, à égaler les grands. Dans les pétarades et les larmes de joie se renforçait aussi notre unité ; elle repose sur l’assurance que n’importe qui dans ce pays, quelle que soit son appartenance, quel que soit son passé peut faire partie de l’intelligentsia.
Chaque fois que la démonstration était ainsi faite, chaque fois qu’était égrenée la liste des lauréats du RCC et du QEC, chacun réglait secrètement ses comptes avec l’histoire, cette histoire qui n’a pas toujours été juste envers tous ses fils.
Et c’est sans doute précisément parce qu’il prend en compte ces forces psychologiques qui auront présidé au maintien du « Laureate Scheme » que Bunwaree a des chances de faire aboutir la réforme.
Le ministre tente en effet de préserver la dimension « démocratisation » du savoir que porte le système, de l’accentuer même, en proposant la régionalisation. Il n’est pas sûr que le système de quota par région soit des plus efficaces, une bourse pouvant être octroyée à un élève de Beau-Bassin ayant eu de moins bons résultats qu’un élève de Grand-Gaube. Un débat doit certainement se tenir. Toujours est-il que ce choix d’ouvrir l’accès à la connaissance et à la promotion sociale à ceux que leur passé a le moins gâté, est un positionnement efficace.
Le ministre a d’autant plus de chances de réussir que le contexte lui est favorable.
La logique économique prime ; il faut faire le plus avec le moins, et utiliser le plus efficacement les ressources.
On ne peut plus gaspiller. Les coûteuses bourses pour l’étranger doivent être réservées aux formations spécialisées dont le pays a un réel besoin. L’autre argument qui prend de l’importance est le fait que les cuvées se bonifiant avec les années, les 3 A sont de plus en plus nombreux.
Et le système, jadis expression même de la méritocratie, ne semble plus aussi équitable.
Enfin, la croissance économique se mesure au savoir et à la spécialisation de la main-d’oeuvre. Tous les gouvernements en sont conscients : plus un pays a de ressources qualifiées, plus il a de chances d’amasser des gains économiques.
Cependant, si Bunwaree croit qu’il suffit d’élargir l’accès à l’université pour nous assurer une population plus qualifiée, il se trompe. Pour augmenter réellement notre taux d’inscription dans l’éducation supérieure – lequel ne dépasse pas 20 % (statistiques de l’UNESCO) contre une moyenne mondiale de 54 % –, c’est probablement un investissement accru dans l’éducation primaire et secondaire qu’il convient de considérer. Sur 10 enfants scolarisés en « Standard I », trois seulement complètent leurs études secondaires.
C’est bien trop peu. C’est d’autant plus important de se concentrer sur le primaire que de nombreux économistes de l’éducation pensent que la qualité de l’éducation de base est plus susceptible d’avoir des conséquences économiques positives que le nombre d’années passées sur les bancs. Ils sont essentiels à l’apprentissage d’un métier plus tard.
Certes, le budget Education de l’Etat est largement favorable au secondaire (48 %) et au primaire (26 %) contre 8 % pour la formation supérieure. Mais ce n’est pas suffisant. Le ministre, qui le reconnaît, indique dans son Plan Stratégique que l’investissement dans l’enfant du primaire est en-dessous de la norme internationale.
Choisissons alors d’investir une partie de l’argent récupéré des bourses dans la qualité de l’éducation de base avec pour objectif de créer le goût d’apprendre chez l’élève de telle sorte qu’il aspire naturellement à atteindre l’université. A terme, nous améliorerons notre taux d’inscription.
Mieux, osons même augmenter encore le budget éducation ; il est certes honorable (3,7 %, c’est la moyenne mondiale), mais l’Inde, qui a voulu rattraper son retard, a poussé jusqu’à 6 % du PIB.
Et puis, laissons pour l’immédiat les projets d’université au privé.
C’est un chantier plus compliqué.
Politiquement, c’est moins gratifiant que régionaliser les bourses. Et l’heure est aux mesures populaires. On l’a vu cette semaine : nous entrons en campagne.
Mais une campagne, c’est l’occasion pour le citoyen de réfléchir aux véritables enjeux de développement afin de réclamer les actions appropriées.
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