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Faux pretext
Qu’ont en commun l’Ouganda, le Bangladesh, le Liberia, la Chine et même… le Zimbabwe ? On aurait naturellement tendance à répondre que ces régimes ne font parfois que peu de cas des principes démocratiques. Mais ils sont également liés par autre chose.
Chacun de ces pays dispose en effet d’une loi d’accès à l’information (LAI). La Right to Information Ordinance du Bangladesh côtoie les Open Government Information Regulations chinoises. Voilà qui met à mal l’image de « bon élève de la démocratie » de Maurice. Un pays dont le Premier ministre « tique » à l’évocation d’une LAI.
Navin Ramgoolam estime que la mise en place d’une telle loi pourrait « bloquer la machinerie politique ». Qu’il se rassure toutefois, la mécanique politique ne s’enrayera pas de si tôt. D’abord parce qu’une LAI, comme le remarque Geoffrey Robertson dans son rapport, « cannot be introduced overnight ». Car de longues consultations seront nécessaires pour déterminer l’étendue des informations à rendre publiques ainsi que les procédures pour y accéder. Les LAI votées ailleurs ont parfois pris cinq ans, voire une décennie avant d’être appliquées.
La machinerie politique ronronnera. Car une carte demeure jouable : celle de la chaise vide. L’efficacité de la méthode a été constatée avec les atermoiements autour de l’Equal Opportunities Act. Votée en 2008, celle-ci est restée entre parenthèses pendant près de quatre ans. Ce n’est qu’avec la nomination de Brian Glover à l’Equal Opportunities Commission, il y a un an, que le travail de l’institution a vraiment commencé. En s’inspirant de ce précédent, le pouvoir pourrait décider de ne pas suivre la recommandation de Robertson et distinguer les fonctions de Media Ombudsperson et Freedom of Information Commissionner. Il suffi ra alors de désigner le premier et d’attendre ad vitam aeternam pour choisir le second…
Puis, il y a la posture extrême… à la Mugabe. L’Access to Information and Protection of Privacy Act zimbabwéenne de 2002 est un ovni législatif. Si ce texte de loi permet, en théorie, aux sujets de Robert Mugabe d’avoir accès à un certain nombre d’informations de nature administrative, en pratique rien n’a été fait pour leur permettre de les consulter. Pire, la mise en oeuvre d’autres dispositions de cette loi a contraint plusieurs titres de presse à cesser leurs activités à cause d’un nouveau régime d’enregistrement et de licences coûteux.
Tout cela ne doit toutefois pas nous amener à perdre de vue un fait : une LAI, même si elle facilite le recueil de l’information par les journalistes, est avant tout dans l’intérêt du citoyen. Le pouvoir pourrait en effet être tenté d’expliquer qu’un Media Bill, sans une LAI, suffi t à faire avancer la liberté d’expression et le droit à l’information dans le pays.
Le citoyen serait alors privé de deux catégories d’information. Car une LAI permet d’abord de contrôler a posteriori l’utilisation de l’argent public, auquel chacun contribue sous forme d’impôts, de taxes et de redevances diverses. Ensuite, elle offre la possibilité à chaque citoyen de prendre des décisions personnelles – notamment financières – en fonction d’informations recueillies auprès des administrations.
Rien ne vaut un exemple. Mardi, le bureau du Premier ministre a annoncé que Navin Ramgoolam serait en déplacement à Londres pour assister aux funérailles de Margaret Thatcher mercredi. Or le Premier ministre n’est pas rentré jeudi. De bonnes raisons l’ont sans doute retenu à l’étranger jusqu’à vendredi soir. Mais celles-ci ne sont pas connues du grand public.
De nombreuses questions peuvent, par conséquent, être légitimement posées par le contribuable. Combien de personnes ont accompagné le Premier ministre ? Combien aura coûté la mission ? En fonction du coût de ce déplacement, quels bénéfices (en termes de rencontres ou de discussions) ont-ils pu être identifiés ? On a du mal à comprendre en quoi le fait de donner des réponses à ces questions « bloquerait la machinerie politique ».
L’accès à l’information faciliterait par ailleurs la prise de décision personnelle des citoyens. Imaginons l’achat d’un terrain résidentiel dans un coin tranquille du pays. Selon les pratiques actuelles, l’acheteur ne dispose que d’informations minimales sur son voisinage. Avec une LAI, il peut demander les plans d’aménagement de la localité. Cela l’amènera peut être à découvrir que le terrain voisin a vocation à accueillir un garage ou qu’une route très fréquentée passera à vingt mètres de la maison qu’il projette de construire d’ici deux ans. Ces informations, qui n’ont aucune portée nationale, permettront au citoyen d’investir de manière plus éclairée. Voire d’abandonner son projet d’achat.
On l’aura compris, la justification de « blocage de la machinerie politique » est un prétexte. Si on se fie au timing proposé par Robertson, Navin Ramgoolam a jusqu’au 15 septembre pour trouver une vraie justification à son hostilité à une LAI. Pas sûr qu’il réussisse à trouver une explication valable…
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