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Grandir sans détruire

27 juin 2010, 05:01

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Le pays fait fausse route. C’est à partir de ce postulat que nous avions entamé une réfl exion la semaine dernière. Elle consiste à questionner la justesse d’accueillir deux millions de touristes d’ici à 2015. Cette semaine, le ministre des Finances, Pravind  Jugnauth, a confirmé le maintien de cette stratégie. Tandis que le ministre du Tourisme, Nando Bodha, annonçait, au même moment, l’intensification de la campagne marketing de Maurice en Europe et dans les pays émergents. Il faut rappeler les incohérences de la voie de développement que nous suivons depuis quelques années.

Trois pôles de croissance ont été créés ou sont en voie de l’être dans l’île : Jinfei dans le Nord, Ebène et Highlands au Centre et Rose-Belle dans le Sud. Sans compter la demi-douzaine d’Integrated Resort Schemes (IRS) champignonnant dans l’arrière-pays. Dans 15 ans, ces pôles auront besoin de ressources pour exister et croître : eau et énergie notamment.

Si, en 2025, le pays accueille deux millions de touristes, cette activité générera des pressions supplémentaires sur notre environnement et notre société. Puisque gouverner c’est prévoir, nos politiques doivent donc absolument apporter une réponse globale à cette question : que fait-on dès maintenant pour gérer les effets négatifs de ces pôles dans 15 ans ? Les réponses sont actuellement floues… dans le meilleur des cas, parcellaires.

Passons en revue la situation. Pendant que vous lisez cet éditorial, des milliers de  Mauriciens doivent composer avec un régime de coupures d’eau. Or, tous les projets que nous citons plus haut sont hydrophiles. Comment gérerons nous la question de l’eau dans 15 ans ? En construisant deux barrages ? Tout en laissant s’évanouir dans la nature 40 % de ce qui transite par les tuyaux de la CWA ? Réponse globale inconnue !

Il y a aussi le problème de l’énergie. Le pays va devoir décupler sa production électrique pour, entre autres, faire tourner la climatisation des villas IRS, éclairer les bureaux à Highlands et Ebène ou frigorifier les entrepôts à Riche-Terre et Rose-Belle. Si en 2025, le pays continue à produire 50 % et 25 % de l’électricité à partir du charbon et de l’huile lourde respectivement, la facture énergétique deviendra insoutenable. Surtout si l’on y ajoute tout le carburant brûlé lors des déplacements des dizaines de milliers de touristes et des professionnels supplémentaires arpentant alors le pays. Les 56 pages de la Long Term Energy Strategy (2009-2010) du pays sont prometteuses. Mais encore faut-il que celle-ci soit étoffée et mise en pratique. Pour l’heure, on en est au début du commencement !

Ces considérations globales et impersonnelles ne doivent pas nous faire oublier les  impacts plus « directs » des décisions que nous prenons maintenant. En 2025, il est probable que nous importerons hors taxe la grande majorité des produits disponibles dans le pays. Mais une autre question restera posée. L’afflux des touristes ainsi que des travailleurs et professionnels étrangers dans le pays nécessitera une augmentation considérable de la production vivrière.

Si le statu quo perdure dans notre petit monde agricole, la production vivrière restera sensiblement la même en 2025. Moins d’offre pour davantage de demande  égale  augmentation des prix ! De là à imaginer qu’une laitue coûte Rs 75 et un kilo de carottes Rs 150, il n’y a qu’un pas. Dans ce contexte, ce qui ne pourra être produit ou acheté localement devra donc être importé. Or, depuis la fin des années 2000, le monde connaît une phase d’Agflation (l’inflation des produits agricoles). C’est une tendance longue, qui ne s’estompera pas car l’agriculture cède globalement du terrain face aux activités industrielles. Nous devons donc nous préparer à payer plus cher ce que nous mangeons, peu importe sa provenance.

Bien entendu, la croissance et l’activité économique généreront des revenus  supplémentaires pour les salariés. Ce qui devrait permettre à une bonne partie d’entre eux de maintenir un pouvoir d’achat adéquat. Toutefois, les plus bas salaires et les personnes vulnérables (sans emploi ou vivant en marge de la société) devront, eux, s’adapter à un coût de la vie devenu exorbitant. Si le ministère de l’Intégration sociale échoue, si nous ne prenons pas un temps pour réfléchir à tous les aspects de notre stratégie de développement, nous créerons durablement une société à trois vitesses. Où la catégorie la plus vulnérable le sera davantage

Il ne s’agit pas ici de se transformer en ayatollah de la décroissance. Mais plutôt de redire à quel point les huit ou dix pôles de croissance des années 2025 devront tous tendre vers le même objectif : grandir sans détruire .

Rabin BHUJUN