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Il ne faut pas tuer notre presse !

21 septembre 2010, 09:34

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Au lieu de situer les responsabilités des uns et des autres dans ce pourrissement permanent des relations entre la presse locale, ses quelques centaines de journalistes – qui sont pluriels, rarement unis et évoluent dans un rude environnement économique concurrentiel – et les politiques dont les positions et les postures varient selon la conjoncture du jour, il serait bien de discuter des conditions qui pourraient normaliser ces relations – pour le bien de la profession qui demeure l’une des pierres angulaires de notre démocratie.

Certes, pour beaucoup de «meter tchoula», il serait mieux que les choses en restent là, c’est-à-dire bloquées et radicalisées. Il y a apparemment des extrémistes qui vivent de ce conflit. C’est vrai qu’un journal qui subit les foudres du gouvernement peut se sentir flatté dans son orgueil. Et de même, un gouvernement qui subit les critiques de la presse peut en tirer profit. On imagine, par exemple, Ramgoolam chuchoter à Sarkozy, en souriant : «Chez moi, ils me critiquent matin et soir…je reste serein.» Et puis, au retour, à Plaisance, piquer une crise rouge-sang, ou brandir comme jadis, une épée contre les démons de la presse.

Pourtant, la presse demeure l’un des indices incontournables de la gouvernance sur le plan mondial – qui conditionne bien souvent l’aide internationale. D’où ce besoin de trouver un cadre de travail pour cette fonction vitale. Plusieurs pays parmi les démocraties modernes ont pris les devants en choisissant de ne plus avoir recours aux poursuites des journalistes au criminel, soit en les emprisonnant, comme c’est le cas, entre autres, à Madagascar, en Chine, à Cuba, en Ouganda.

En Afrique du Sud, les journalistes se battent ces jours-ci contre des mesures liberticides venant des stratèges de… l’ANC, qui l’eut cru ?

Pour que les médias soient plus respectés, il faut qu’ils puissent travailler avec les moyens dont ils ont besoin et la protection de la loi.

C’est dans cette logique que le quotidien français «Le Monde» entame cette semaine une action en justice contre le régime de Nicolas Sarkozy pour tentative de museler le quotidien dans le sillage de l’affaire Bettencourt. L’Elysée a cru utile d’utiliser les services secrets pour assécher les sources du «Monde». «Dans une démocratie apaisée, la protection des sources garantit que, quand un pouvoir (politique ou économique) est tenté d’user à l’excès de sa puissance, il devrait exister des mécanismes de recours (…) C’est une question de principe et de droit qui ne concerne pas que le «Monde», mais l’ensemble de la presse», fait ressortir la direction du «Monde».

Chez nous, dans le même ordre d’idées, l’action en justice au sujet des publicités gouvernementales que mènent le groupe «La Sentinelle» et Jean Claude de L’Estrac s’avère une tentative de lutter contre une décision arbitraire qui vise à nuire à la liberté d’expression des journaux en leur coupant leurs moyens.

De son côté, le pouvoir a eu recours à la police pour perquisitionner des salles de rédaction, pour faire arrêter des journalistes pour diffusion de fausses nouvelles, sans toutefois que ces affaires n’aboutissent à une décision de la justice… Ce qui rend illogique la démarche qui ressemble alors davantage à une tentative d’intimidation.

La justice demeure un terrain neutre, mais il existe aussi d’autres moyens, des moyens qui intègrent dans la sérénité au lieu de trancher dans le vif. Il y a plusieurs sujets cruciaux à discuter de manière civilisée, pacifiée : la définition du rôle de la presse au sein de la démocratie, l’instauration d’un respect mutuel entre journalistes et politiciens, la formation professionnelle des journalistes et le non-respect du «Media Trust Act», l’avènement d’une «Media Commission» et les hommes qui en seront responsables, l’impossibilité légendaire des journalistes de faire durer une association (quel gâchis ce qu’ils ont fait de la motivation de ces 106 journalistes réunis en 2006 pour se prendre en charge), la nécessaire révision des lois criminelles contre les journalistes, l’incontournable libération des ondes TV afin de mettre fin au monopole de la MBC et de sa gestion hasardeuse, le besoin d’un partenariat entre la presse et le gouvernement sur des projets de développement durable, la promotion du mauricianisme, la lutte contre les fléaux sociaux et la drogue etc.

Outre et au-delà des problèmes qui peuvent exister entre «La Sentinelle » et le gouvernement Ramgoolam, il y va de l’avenir d’une presse qui a jalonné l’histoire politique du pays depuis le XVIIIe siècle et de ceux qui doivent aujourd’hui en prendre la relève. C’est une grande dame qu’on maltraite, qu’on déchire, qu’on brûle, qu’on tue à petit feu.

Elle a droit au respect. Des politiciens comme des journalistes. Les deux corps de métier possèdent des allumettes, c’est cela le danger auquel est confrontée notre presse.

 

Nadarajen Sivaramen