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Journalisme : un modèle économique à réinventer

13 mars 2014, 05:51

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Journalisme : un modèle économique à réinventer

Ce n’est plus un scoop : la presse à Maurice, comme pratiquement partout ailleurs dans le monde, traverse une crise durable depuis une dizaine d’années. D’importants groupes de presse, des fleurons de la presse mondiale, compressent leur personnel, modifient leur format, et testent des stratégies de survie. Le célèbre magazine américain Newsweek illustre bien la difficulté actuelle d’arrêter un positionnement clair et net dans cette ère post-Gutenberg en pleine métamorphose.

 

En décembre 2012, Newsweek, qui avait 3,3 millions de lecteurs en 1991, a annoncé la disparition de son format papier pour publier exclusivement sur le web. Or, après un an de publication numérique, la direction de Newsweek relance cette fois-ci la version papier du magazine, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs traditionnels, qui sont certes de moins en moins nombreux. Alors un compromis entre une fabrication de masse qui n’est plus viable et une impression plus coûteuse pour amortir les frais de fabrication a été trouvé : la nouvelle édition de Newsweek devient un journal pour abonnés, plus proche de ce que fait The Economist, soit un produit haut de gamme.

 

À n’en point douter, ceux qui sont aux commandes des entreprises de presse se livrent à un véritable jeu d’équilibriste avec le papier qui n’est pas tout à fait mort et le Web qui ne cesse d’évoluer sur différents supports (tablettes, smartphones, etc.) Trouver le juste modèle économique demeure un vaste chantier à peine entamé. Il y a lieu, d’abord, de casser ce mythe selon lequel tout peut être gratuit sur Internet sans conséquence. C’est précisément cette illusion qui a mis à mal des entreprises de presse et qui, aujourd’hui, condamne la presse traditionnelle à se repenser.

 

 

« À Maurice aussi, les mutations profondes de la presse étrangère se font sentir et les directions des principaux journaux se font un sang… d’encre pour garantir la survie de leurs titres respectifs. »

 

Puisqu’il semble y avoir consensus parmi les groupes de presse que la gratuité des sites se révèle surtout une utopie à moyen et long termes, il est intéressant de voir comment fonctionnent les rares modèles numériques qui réussissent. Parmi ceux qui s’en sortent, plus ou moins, il y a le site Mediapart (d’Edwy Plenel, récemment à Maurice) qui opte pour un modèle mixte gratuit et payant. Gratuit pour pouvoir présenter aux visiteurs de passage l’architecture de son site, le sommaire de ses contenus, ses diverses possibilités en matière d’informations et de collaborations rédactionnelles. Et aussi payant pour assurer aux adhérents une information de qualité produite de manière indépendante, sans veuleries partisanes.

 

Autre cas qui monopolise l’attention ces jours-ci, celui du quotidien Libération, en France, qui traverse une autre crise existentielle. En 2005, ce quotidien avait dû supprimer une cinquantaine de postes après avoir perdu plus de 20 000 lecteurs, mais cela n’a pas suffi pour arrêter l’hémorragie. Aujourd’hui encore, le journal essaie de trouver des points d’ancrage. Le projet de l’un de ses actionnaires, qui consiste à créer un réseau social et à transformer en espace culturel le siège du journal, situé dans le Marais à Paris, a provoqué un tollé parmi les journalistes. « Nous sommes un journal », proclament les salariés. Mais les actionnaires du journal pensent que les journalistes sont coupés des réalités économiques et financières et posent en retour la question : de quel journal parle-t-on en 2014 ? « Peut-on se définir comme un seul et unique support ? »

 

«Il y a lieu, d’abord, de casser ce mythe selon lequel tout peut être gratuit sur Internet sans conséquence. »

 

À Maurice aussi, les mutations profondes de la presse étrangère se font sentir et les directions des principaux journaux se font un sang… d’encre pour garantir la survie de leurs titres respectifs. Dans leur globalité, les chiffres indiquent que les ventes et les revenus publicitaires, au mieux, stagnent et, au pire, chutent, alors que les coûts de production pour le journal papier sont en hausse constante. Pratiquement tous les journaux du paysage médiatique mauricien sont touchés.

 

Récemment, deux d’entre eux ont dû faire appel à de nouveaux actionnaires afin de sortir du rouge. D’autres journaux ont été contraints de licencier des journalistes ou de cesser de paraître ces dernières années. Au sein du groupe La Sentinelle, si nous arrivons à maintenir la tête hors de l’eau dans cet environnement concurrentiel et malgré un marché publicitaire relativement morose, c’est essentiellement grâce aux efforts de diversification du groupe (imprimerie commerciale, investissements à Madagascar et à la Réunion) ; des efforts consentis, en anticipation, depuis les années 90. Sans l’apport de nos activités non-presse, et sans le courage et une bonne réactivité de notre équipe de management, qui ont permis de baisser nos coûts d’opération, nous serions nous aussi dans le rouge, en tant que groupe. En fait, nous avons une petite marge de manœuvre pour réinventer notre ‘business model’… et il faut se presser pour trouver la voie nouvelle.

 

Nad Sivaramen, directeur des publications du groupe La Sentinelle

Extrait du numéro spécial de Business Magazine - Business Year Book [12 au 18 mars 2014]