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L’authentique Mauricien

19 juillet 2009, 04:40

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Il est mort. Le cardinal Jean Margéot avait 93 ans. Il était catholique et « blanc ». N’a  jamais fait de la politique. Même si ses prises de position ont pu froisser les Premiers ministres sir Seewoosagur Ramgoolam ou sir  Anerood Jugnauth. Il n’a, pour autant, jamais donné de consigne de vote en faveur d’un parti politique. Depuis vendredi, jour de sa mort, des Iqbal, Saroja, Ajay et Carole lui rendent des hommages appuyés. Toutes nos personnalités politiques de premier plan se sont empressées de saluer l’homme et son action. L’île observe trois jours de deuil national en sa mémoire. Et il n’y a pas un seul Mauricien qui conteste cet hommage. Bienvenu à Maurice, pays de paradoxe.

Nous aimons à le rappeler : nous vivons dans un pays où, à défaut de se comprendre mutuellement, on se tolère. Et où de profondes divisions ethniques et religieuses entravent la marche de la Nation. Pourtant, il y a des moments où les motifs de dissension sont rangés au placard. Quand Bruno Julie gagne la médaille de bronze aux Jeux Olympiques en 2008, les Mauriciens fêtent l’esprit combatif qui les caractérise. Quand
des posters géants de notre scientifique Ameenah Gurib Fakim sont placardés à l’aéroport Charles de Gaulle à Paris en 2007, Maurice célèbre l’intelligence et la capacité à innover de ses enfants.

La mort de Jean Margéot est aussi un de ces moments d’unité nationale. C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi l’hommage qui lui est rendu est aussi unanime et transversal.
L’attachement viscéral de Jean Margéot à deux valeurs – la défense des libertés  individuelles et la justice sociale – explique sans doute le profond respect que lui témoigne aujourd’hui la Nation.

Ces deux valeurs ne sont pas anodines. Margéot n’a cessé, dans ses lettres pastorales et dans ses déclarations, d’appréhender l’individu comme citoyen du pays d’abord, et membre d’une religion, communauté ou ethnie ensuite. Il avait dès le lendemain de l’indépendance saisit ce qui est encore un besoin crucial chez beaucoup d’entre nous : concilier le besoin viscéral à se  rattacher à nos origines ethniques ou religieuses tout en se sentant Mauricien à part entière.

Il avait également épousé l’attachement profond de nos compatriotes pour les libertés politiques. La cardinal a ainsi régulièrement défendu la liberté d’association et de se syndiquer. En 1976, durant les heures sombres de la censure, il était descendu dans les rues aux côtés des journalistes pour défendre la liberté d’expression. Il réitère son soutien en 1984. En fournissant la caution de journalistes arrêtés à la suite d’une manifestation contre des lois liberticides. Un quart de siècle plus tard, c’est l’homme épris de liberté qui est salué.

On peut disposer de toutes les libertés. Mais elles deviennent toutes inopérantes quand les rouages essentiels de la justice sociale sont enrayés. Cela, Jean Margéot, l’avait compris depuis plusieurs décennies. Dans sa lettre pastorale de 1989, il évoque – chez certains - ce sentiment de plafonner. De ne pas pouvoir prétendre aux positions ou emplois que l’on mérite, car ce sont les chasses gardées de certains. Vingt ans après, l’on attend toujours que l’« Equal Opportunities Act » rétablisse l’équilibre. Plus fondamental encore, le cardinal avait tôt fait de placer l’éducation comme l’un des éléments cruciaux permettant la justice sociale. L’homme aurait sans doute, à ce sujet, bien des idées à partager avec la Fédération des créoles mauriciens. Il leur aurait peut-être conseillé un mode opératoire différent de celui qu’ils ont adopté.

L’authentique Mauricien n’est pas une créature chimérique. Il existe. Pour le reconnaître il suffit de reprendre les qualités que nous évoquons. Combativité. Intelligence et capacité à innover. Attachement aux libertés individuelles et aux héritages culturels et religieux. Profond respect pour la justice sociale. Beaucoup de Mauriciens vivent ces valeurs. Ils sont moins connus que le cardinal Margéot et n’ont pas eu, comme cet homme  d’exception, l’occasion de les partager avec le plus grand nombre. A l’occasion de la mort de cet authentique Mauricien, il nous faut toutefois saluer l’action anonyme de tous ces Mauriciens authentiques. Grâce auxquels nous deviendrons un jour une Nation…

 

Rabin BHUJUN