Publicité

La réconciliation des mémoires

1 novembre 2009, 06:10

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Le 2 novembre et le 1er février ne sont que d’insipides dates. Même si celles-ci sont censées commémorer des événements importants. Notamment l’arrivée des travailleurs engagés indiens et l’abolition de l’esclavage. De la manière dont nous, Mauriciens, traitons ces deux événements, nous  démontrons qu’au fond, ils ne nous intéressent pas vraiment. Peu de gens à Maurice regardent ces deux commémorations dans leur dimension humaine et historique. Par contre, beaucoup cèdent au cynisme. Les 1er février, la rengaine habituelle est de relever la contribution occultée des descendants
d’esclaves dans le développement initial du pays. Le 2 novembre, on reste dans le même registre. Et cette fois-ci, on se fait un point d’honneur de souligner que le boom sucrier, que le vrai développement agricole du pays, n’a été rendu possible que grâce a l’afflux massif des « coolies » après l’abolition de l’esclavage en 1835. Comme s’il s’agissait à chaque fois d’identifier la communauté qui peut revendiquer la plus importante
contribution dans le développement du pays.

Ailleurs, on appelle cette pathétique comparaison « la concurrence des mémoires ». Celle-ci amène, par exemple, des juifs et des descendants d’esclaves à disserter de ma nière interminable afin de déterminer si c’est la Shoah ou l’esclavage qui doit être considéré comme le plus abominable crime contre l’humanité. A Maurice, les descendants de travailleurs engagés se croient obligés de souligner que le sort des « coolies » était « presque similaire » à celui des esclaves. Encore cette obsession de la comparaison…

La manière même dont nous appréhendons le 2 novembre et le 1er février est bancale. Car avec la complicité des gouvernements successifs, nous avons fait de chacune de ces commémorations, un événement exclusif. Qui concerne d’abord une communauté. Les 1er février, créoles et rastas se donnent donc rendez-vous au pied du Morne. Les mêmes organisations socioculturels et pseudo partis politiques mènent le bal. Ils se sont érigés en défenseurs de la mémoire de l’esclavage. Le 1er février, c’est leur fête ! Même scène à l’Aapravasi Ghat les 2 novembre. On y retrouve les mêmes organisations hindoues. Qui à coup de « Yajj » et de « Puja » donnent à cet événement une connotation religieuse. Ils envoient du coup un bien mauvais signal : la commémoration est l’affaire des hindous.

Pourtant, il y avait également des Ibrahim et des Farida parmi les « coolies ». On nous rétorquera qu’une « multi-faith and universal prayer » est organisée depuis quelque temps. Mais c’est un leurre. Qui ne cache nullement le fait que l’Aapravasi Ghat et la commémoration du 2 novembre ne semble concerner qu’une communauté. Il faut en finir avec cette immixtion du religieux. Il faut déconfessionnaliser complètement cette date pour enfin en faire un événement national et laïc…

En attendant, on patauge. La réconciliation des mémoires est renvoyée aux calendes grecques. C’est la faute à la Commission Justice et Vérité (CJV). Le Premier ministre nous avait promis une commission de haute facture. Dont les travaux allaient aider à réconcilier le pays et ses habitants avec leur histoire. Mais la CJV est en panne. Son président, Robert Shell, a disparu dans la nature. La CJV vivote sous l’oeil impassible de ceux qui pourraient nommer un nouveau président.  Et réaffirmer ainsi toute l’importance de cette commission dans le processus de la réconciliation des mémoires dans le pays.

Mais il n’en est rien. Profitant de ce flottement, des esprits étriqués s’agitent. Devant le fauteuil laissé vide par Robert Shell - en l’absence d’une autorité pouvant se placer au dessus de nos petites querelles identitaires locales - la concurrence se réinstaure et les revendications se « fiduciarisent ». Au lieu de parler de la contribution de chacun dans l’histoire du pays, ils s’attardent sur le fait qu’une composante ou l’autre de la population a été lésée dans son développement. En guise de réparation, ils brandissent des calculettes pour évaluer le montant de compensations financières. Au lieu de placer l’Etat devant ses responsabilités en matière d’égalité des chances, d’éducation et de lutte contre la pauvreté.

Pour la réconciliation des mémoires et des identités locales… il faudra repasser. A moins qu’on se décide à refaire fonctionner correctement la CJV.


 

Rabin BHUJUN