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La réforme du chef
C’est l’une de ces anecdotes qui prêtent à sourire. Probablement parce qu’elle est inconnue du grand public. Le rapport Sithanen sur la réforme électorale est né d’un coup de gueule. Celui de Rama Sithanen à l’encontre des recommandations du défunt professeur Guy Carcassonne en décembre 2011. Craignant les retombées « cataclysmiques » de l’application d’un rapport dont certains aspects avaient fait « tiquer » Ramgoolam, l’expert en systèmes électoraux avait décidé de perdre le sommeil pendant un mois afin de faire une contre-proposition beaucoup plus connectée aux réalités et besoins locaux.
Cela déboucha sur la publication, fin janvier 2012, du rapport Sithanen, d’une nouvelle table de la loi électorale dont le commandement implicite était : « Avec ton adversaire politique le plus puissant, tu koz-kozeras » ! Accessoirement – et de l’aveu du Premier ministre à l’express dimanche –, ce document constitue l’ossature du White Paper qui doit être rendu public d’ici fin juillet. Celui-ci, croyait-on savoir, n’allait stricto sensu s’intéresser qu’aux lois électorales.
C’est ce qui risque de se produire, car si Ramgoolam s’est prononcé à plusieurs reprises sur l’élargissement de la réforme aux institutions et au financement des partis politiques, le MMM s’est, lui, régulièrement opposé à la vision du partage de pouvoir entre le président de la République et le Premier ministre. Tandis que le MSM a pu exprimer quelques réticences sur la mise en œuvre d’une loi sur le financement des partis politiques.
Et voilà que Sithanen revient, cette semaine, en jetant un pavé dans la mare. Ou, plutôt, en ramassant un pavé déjà lancé par Guy Carcassonne : la proposition de nommer des ministres non élus. Le défunt constitutionnaliste français avait été clair dans son rapport. L’impossibilité de nommer des ministres hors du Parlement est « pénalisante car elle prive (…) la Nation (…) de personnalités de qualité (…) prêtes à rejoindre le gouvernement si elles en étaient sollicitées, mais qui ne seraient pas prêtes à renoncer aux activités professionnelles qui sont les leurs à seule fin de commencer par briguer un mandat électoral qui peut ne les attirer nullement ».
Cette proposition avait été dénoncée par les bigots westminsteriens qui voyaient là une usurpation de la souveraineté des électeurs, une trop grande concentration de pouvoir dans les mains d’un Premier ministre déjà omnipotent…. et la menace d’une technocratie émergente. Un technocrate connu et reconnu, Rama Sithanen était lui-même tiède à cette idée à l’époque. L’ancien ministre des Finances semble avoir mis un peu d’eau dans son vin à ce sujet. Car il s’est prononcé cette semaine en faveur de la nomination de ministres non élus.
Carcassonne suggérait la nomination de deux tiers du gouvernement (il voulait probablement dire Conseil des ministres) en dehors de l’Assemblée nationale. Sithanen abonde dans le même sens en proposant 25% à 30%. Ce qui donnerait ainsi la possibilité au chef du gouvernement d’avoir la latitude totale de nommer 6 à 7 de ses ministres préférablement en se fondant uniquement sur des critères de compétence et non d’appartenance à telle ethnie ou groupe de pression politique ou économique.
Il ne fait aucun doute que cette solution présente de nombreux intérêts. Au-delà de l’apport de compétence au sein du gouvernement, il permettrait également à la fonction publique d’être dirigée par des policy makers venus du privé apportant une dose de rigueur technocratique non polluée par des considérations (trop) partisanes. Entourée d’une telle équipe, on voit mal le Premier ministre ne pas mettre en œuvre les projets ambitieux qu’il évoque à chaque publication de discours programme.
Sauf qu’il y a un problème. Il se nomme Navin Ramgoolam ! Le Premier ministre peut, en effet, continuer à blâmer l’incompétence de ses ministres à qui il « ne fait pas confiance ». Mais le problème est ailleurs. La meilleure écurie de formule un ne gagnera jamais si le pilote aux commandes de son bolide ne prend pas les bonnes décisions de course au moment où il faut. C’est justement là le problème de Ramgoolam. Suspicieux, attentiste, jaloux de ses prérogatives, le chef du gouvernement ne sait pas déléguer et cherche systématiquement à avoir le dernier mot sur des questions parfois triviales.
Navin Ramgoolam pourrait ainsi être entouré de 24 Prix Nobel et toujours trouver moyen d’attendre – pour des raisons politiciennes, tactiques ou occultes – avant d’appliquer leurs suggestions. La réforme qui changera cette manière de faire demeure encore à inventer.
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