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L’Afrique n’existe pas
D’Addis Abeba à Tokyo, à lire la presse et à écouter les discours, l’on a l’impression que certains (re)découvrent l’Afrique sur la mappemonde. Pourtant le continent, où a marché Lucie, notre ancêtre commune, ne s’est jamais éclipsé, sauf à la faveur d’images et de perceptions plutôt défavorables.
Ces temps-ci, si l’on ne peut qu’accueillir, à Maurice et ailleurs, la formation de clubs de consultants et d’hommes d’affaires se positionnant comme des experts vers l’Afrique, ainsi que des cellules spécialisées de gouvernements (à l’instar de l’Africa Centre du BOI mauricien), il importe qu’on demeure réaliste : le continent est bien trop vaste et trop complexe pour qu’on puisse le cerner en deux ou trois séminaires, ou visites – ou avec un ‘desk’ de trois officiers.
«L’Afrique, c’est un véritable océan, une planète à part (…) Nous disons l’Afrique, mais c’est une simplification sommaire et commode. En réalité, à part la notion géographique, l’Afrique n’existe pas», souligne Ryszard Kapuscinski, journaliste polonais - qui a sillonné le continent pendant près d’un demi-siècle - dans son magnifique livre, Ebène. Partant de ce postulat, tentons ici de remettre certains projets peut-être trop enthousiastes dans une perspective plus réaliste, en soulignant certaines vulnérabilités bien africaines, que des campagnes promotionnelles glissent sous le tapis diplomatique…
Il est vrai que depuis les années 1990 (fin de la guerre froide), l’environnement politique, économique et sécuritaire de l’Afrique a subi d’importants changements. Les événements récents en Afrique du Nord ont indiqué que le paysage socio-politique du continent continue d’évoluer de manière profonde. Les progrès démocratiques couplés avec une forte croissance économique et un réservoir de consommateurs qui ne cesse de s’agrandir provoquent un optimisme généralisé quant aux perspectives du continent. On parle d’eldorado, de manne financière, d’une classe moyenne émergente.
Mais il y a aussi le revers de la médaille qu’on ne devrait pas occulter. La crise économique mondiale, combinée aux défis existants et émergents tels que le changement climatique, l’insécurité alimentaire et les pénuries d’eau, menace d’entraver et, dans certains pays, d’inverser les gains politiques et économiques réalisés au cours de ces dernières années et salués par la presse économique (qui a tendance à être obnubilée par la croissance des chiffres).
Plusieurs défis humains, voire humanitaires, guettent l’Afrique et si ces défis ne sont pas pris en compte, tout projet de développement pourrait être durablement compromis. Par exemple, la question du changement climatique devrait être un thème récurrent et transversal à travers le dialogue sur l’Afrique et son développement. Pratiquement tous les experts scientifiques ont exprimé leur inquiétude : les réalités du changement climatique en Afrique compliquent deux enjeux-clés liés à la sécurité humaine (condition sine qua non pour le développement) : le manque de denrées alimentaires et la pénurie d’eau aux quatre coins du continent. À cet égard, les émeutes de la faim qui ont eu lieu à travers l’Afrique en 2008 ont confirmé que si rien n’est fait pour nourrir le peuple et lui donner accès à l’eau potable, cette double crise déboucherait sur une instabilité sociale durable dans et entre plusieurs pays.
Autre défi majeur qui vient compliquer davantage les donnes, celui lié à la croissance démographique. L’Afrique a la population la plus jeune au monde et celle-ci devrait passer de 1 milliard à 2,3 milliards en 2050 et tripler d’ici la fin du siècle. Il convient de noter dans l’évolution démographique de l’Afrique son «explosion de la jeunesse.» Si cela peut être un plus en termes de compétitivité, dans la mesure où l’Afrique connaît un boom de la jeunesse au moment même où l’Europe, le Japon et d’autres pays développés portent les coûts du vieillissement démographique, en revanche la jeunesse africaine doit être au centre des politiques de développement.
Il ne faut pas se voiler la face : les récentes famines dans la Corne de l’Afrique et les conflits frontaliers en Afrique centrale sont des exemples de crises qui nécessitent des stratégies multidimensionnelles. L’Union africaine, qui fête ses 50 ans, et qui n’arrive toujours pas à fonctionner correctement (à cause d’une guerre de clans, entre intérêts rivaux), devrait se ressaisir. Sans une organisation forte, l’Afrique, une nouvelle fois, ne sera que le témoin du changement qui s’opère sur ses terres immenses et riches. Au-delà des discours, il faut passer aux actes. Sinon l’ombre risque de prendre le dessus sur la lumière au bout du long tunnel africain, d’autant que le «réveil» récent reste tributaire des industries extractives (pétrole, minerais) qui ne s’inscrivent pas dans une logique de développement durable. Les indépendances ont plus de quarante ans d’histoire, les Africains ne doivent plus blâmer les anciennes puissances coloniales. Ils doivent s’en prendre à eux-mêmes s’ils ratent, cette fois-ci, le train du développement. Pour cela, il leur faut résoudre cette équation : l’Afrique est riche, mais l’Africain est pauvre. Pourquoi ?
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