Publicité
L’appel à l’aide
«Today’s leaders are failing on a grand, epic, global, historic scale - at precisely a time when leadership is sorely needed most. They’re failing me, everyone… » C’est au vitriol qu’Umair Haque, un gourou du management en devenir, peint le portrait des leaders actuels dans deux récents blogs de Harvard Business Review(1). Ce qu’il dénonce ne concerne bien évidemment pas que l’Angleterre, les Etats-Unis ou le Japon. Mais Maurice également.
Mais qui dénonce à Maurice ? Bien évidemment, il y a les « batiara » et autres « bourik » de l’opposition. Les « malades mentaux », « zanimo » et désormais « couillons » de la presse. Quelques syndicalistes « instrumentalisés » aussi. Qui d’autre, notamment dans le secteur privé ? Pas grand monde.
Dans un passé pas très lointain, peu après le retour au pouvoir de Navin Ramgoolam, Jacques de Navacelle, fraîchement élu président du Joint Economic Council, avait rué dans les brancards. En s’en prenant ouvertement au gouvernement et au manque de clarté de son action début 2006. A la faveur de la très business-friendly réforme économique Sithanen, la communauté des affaires était, à quelques exceptions près, largement rentrée dans les rangs. Se transformant même en ardent défenseur de la politique économique d’alors par occasion.
Lentement mais sûrement toutefois, un insidieux consensus des poltrons s’est installé envers le pouvoir. La critique de l’action, du manque de stratégie et du manque de leadership au sein du gouvernement ne se faisant plus qu’en aparté et sous le sceau de la confi dentialité. En l’état, les seuls deux dossiers sur lesquels le secteur privé affiche encore ouvertement sa divergence avec le gouvernement sont les relations industrielles (droit du travail et compensation salariale) et dans une moindre mesure la politique monétaire (taux de change et d’intérêt).
Il y a bien des raisons qui expliquent cela. Dans un pays où, en théorie, toutes les décisions administratives sont « rule-based », la pratique démontre tout le contraire : que la raison politique peut l’emporter sur toutes les autres considérations. Il n’y a qu’à lire les propos du président de la Corporation nationale de transport (l'express dimanche, pages 20-21) pour s’en convaincre. Si la CNT est une entreprise publique, l’interventionnisme politique peut prendre des formes insolites dans le privé. Comme le blocage savamment orchestré de projets déjà approuvés en principe.
Il faut ainsi, par exemple, s’imaginer cette sueur froide perler sur le visage d’un important CEO de Mauritius Inc quand un responsable politique de premier plan, venu poser la première pierre de son projet foncier, se rend compte que l’Etat a peut-être été trop généreux dans l’attribution de certains permis à l’égard de son entreprise. Et que tout le développement mérite potentiellement d’être revu !
Ce type de volte-face directement lié à l’humeur du moment ou aux motivations cachées des politiques est non seulement possible mais il se produit même plus souvent qu’on ne le pense. Plus que la rhétorique quasi-raciste – du genre « charbon blanc/charbon noir » – c’est la menace latente de ce type de blocage intempestif qui a conduit la quasi-totalité des patrons de Mauritius Inc à maintenir un profi l bas à l’égard du gouvernement et de son chef.
Le business devant néanmoins continuer à tourner, plusieurs grands pontes du privé préfèrent, depuis quelques années, les rencontres en tête à tête pour débloquer un éventuel dossier en souffrance. Plutôt que de parler d’une seule voix forte au nom du secteur privé pour rappeler le gouvernement à l’ordre par rapport à ses devoirs pour assurer le développement du pays.
C’est dans ce climat de retenue qu’une voix s’est néanmoins clairement fait entendre cette semaine. Celle du CEO de GML, le plus important conglomérat du pays. Dans un entretien à Business Magazine, mercredi, Arnaud Lagesse se désole du fait « que notre leadership politique ne fait pas ce qu’il faut » tout en s’inquiétant « des journaux remplis de scandales [et de la] corruption omniprésente », avant d’appeler à ce qu’un « nouveau souffle s’installe sur Maurice ».
On peut choisir de lire de deux manières les propos du CEO de GML. D’abord n’y relever qu’une redite de la critique ambiante contre le pouvoir. Ou alors y discerner un appel à l’aide – lancé par le plus puissant acteur de Mauritius Inc – face à une crise du leadership qui pourrait nous coûter très cher à l’avenir. Il n’y a, selon nous, aucun doute à avoir sur le sens des propos de Lagesse. Relisons Haque pour s’en convaincre : « most of our so-called leaders are wannabes: those who want to be seen as leaders, without leading us anywhere but into stagnation, decline, fracture, fear, apathy, and comfortable, cheap pleasures that numb us to it all. » Cela ne vous rappelle rien ?
Publicité
Les plus récents