Publicité
Le droit à la différAnce
La vraie question était ailleurs. C’était celle de nos libertés.
Avaler de petites frites maigrichonnes en accompagnement d’un steak haché peu juteux mais à forte teneur en lipides, badigeonné de mayonnaise industrielle et tenu entre deux moitiés d’un pain mou et à haut indice glycémique, cela ne devrait pas être un enjeu de civilisation méritant que nous nous querellions avec nos voisins. En revanche, il importait d’insister pour que quiconque en éprouve le désir ait aussi le droit de s’alimenter ainsi. Dans l’affaire qui a défrayé la chronique depuis 2011, affaire d’abord entendue par le juge Domah et finalement diligentée par le juge Fecknah, l’enjeu était loin d'être le droit d’une enseigne multinationale d’appliquer là où elle le souhaite les recettes de sa maison-mère.
Le génie intrinsèque de certaines marques - le Walkman de Sony il y a 30 ans, l’iPod d’Apple - ou l’efficacité des signatures - « Fraîcheur de vivre » de Hollywood Chewing Gum ou « Nespresso, what else ? » - ont imposé des produits comme des marques de jeunesse ou de qualité de vie. Certaines autres multinationales, en revanche, sont disposées, pour mieux se positionner sur des marchés étrangers, à y modifier complètement leur marketing, voire à associer leur brand à des produits inexistants dans le pays d’origine de la société. Ainsi, à Londres, McDonald›s a proposé le Chicken McNaan Korma, et à Paris, le McBaguette puis le McCamembert. Plus parlant encore par rapport au motif du présent propos : en septembre 2012, on apprenait que McDonald’s comptait ouvrir, à la mi-2013, en Inde, son premier restaurant végétarien, dans la ville d›Amritsar, non loin du Temple d’Or, haut lieu de pèlerinage pour les sikhs. Un deuxième est prévu, dans l’Etat de Jammu et Cachemire, à proximité du Vaishno Devi Mandir où convergent, chaque année, quelque huit millions de pèlerins.
McDonalds n’exporte pas le goût de la viande de boeuf à travers le monde, ce que propose cette multinationale, c’est une manière de se restaurer rapidement, une idée de soi - moderne, trendy, global - plus que l’idée d’un bon repas. Comme quoi le restaurant de Phoenix n’avait vraiment pas un besoin essentiel de vendre des hamburgers bovins. Ce qui était essentiel, en revanche, et cela pour la pérennité de notre vivre ensemble, c’est qu’aucun groupe - aussi nombreux soit-il - ne soit en mesure de dicter à d’autres ce qu’ils ont le droit de manger, de boire, d’acheter, de porter, d’échanger dans un lieu public.
Vivre minoritaire dans une société quelconque peut-être une contrainte, subie, sous le poids de l’arbitraire des nombres, sans possibilité de choix. En revanche, quand on vit en majorité, on peut choisir comment se montrer respectueux des différences et des droits de tous. Mais savons-nous vivre majoritaires dans ce pays ? Dans un établissement éducatif privé payant, déclaré sans profil religieux à sa création, la sociologie du recrutement plaça rapidement les élèves catholiques en situation d’être majoritaires. A partir de là, certains parents réclamèrent, pendant les heures de cours, un enseignement religieux, proposant que les autres en fassent autant. Il en résulta moult complications, dont une symbolique d’exclusion pour ceux, minoritaires, qui quittaient la classe lorsque venaient les heures de catéchèse. Et bon nombre de ces parents catholiques semblaient ne pas comprendre ce que leurs requêtes induisaient. Il leur restait à apprendre ce qu’il faut de retenue et de sensibilité à l’autre pour vivre en majorité.
Dans l’affaire du McDo de Phoenix, évidemment exacerbée par les divers fronts communs de la surenchère, c’était également une symbolique qui était à l’oeuvre. Celle du marquage du territoire. Ce que ne peut tolérer notre projet de vivre ensemble.
Publicité
Les plus récents