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Le grand gâteau
C’est un cadeau du ciel, en ces temps incertains. Quand les rentrées d’argent provenant des exportations se tarissent, quand le tourisme confirme sa vulnérabilité, oui, le volumineux flux de yuan est une grâce. La Chine installe ses entreprises, créant mille occasions d’affaires ; elle vient offrir des infrastructures dans un quartier mal loti, lui promettant du développement ; elle amène des milliers d’experts qui initieront une main-d’oeuvre au chômage à un savoir-faire nouveau ; elle apporte des techniques d’exploitation de nos ressources marines. Mais pourquoi alors cette suspicion autour de la zone de coopération Jin Fei ?
Il y a une part de psychologique dans ce malaise. Il naît peut-être de la disproportion entre la démesure du « don » et l’humilité du donneur. Ce financement à une échelle jamais vue sur notre terre est fait avec des airs de désintéressement déconcertants. La discrétion de la part de la Chine ferait presque conclure à quelque chose de sinueux, de louche. Mais ce n’est pas le cas.
C’est « la manière chinoise » de faire qui donne cette impression, l’Européen voire l’Indien étant plus exubérant.
Qu’est-ce alors ?
Ces questionnements porteraient peut être sur la motivation réelle de la Chine.
On connaît les raisons de sa présence en Afrique : sa croissance démesurée l’oblige à diversifier ses fournisseurs en hydrocarbures. Mais Maurice ? Quand l’Angola lui vend du pétrole, la Zambie le cuivre et Bamako du coton, qu’avons nous de si précieux qui explique cette grande générosité ? La « stabilité », disent les autorités. Difficile à avaler.
L’instabilité politique des pays africains n’a pas freiné l’intérêt de la Chine pour eux. Elle est d’ailleurs, politiquement, assez proche de leur vision selon laquelle la démocratie n’est pas un pré-requis au développement économique.
Les autres motifs évoqués ne sont pas plus convaincants : la constante non reconnaissance de Taiwan par Maurice ? Notre influence régionale ?
Notre… poisson, ressource moyennement précieuse ? La « persévérance » personnelle de Ramgoolam ? La possibilité d’immigration vers les pays africains, présentée comme une solution chinoise pour faire baisser la pression démographique, la surchauffe économique et la pollution ? Peut-être l’intérêt pour Maurice vient-elle de la conjugaison de ces facteurs.
Mais il y a encore ces échos qui viennent d’Afrique, qui contribuent au sentiment que JinFei n’est pas le paradis qu’on prétend. Dans plusieurs pays, la Chine a eu la même approche désintéressée et généreuse. Puis, les conflits ont émergé. En Zambie, qui lui a fait la fête quand, en 1998, elle sauvait de la fermeture une mine de cuivre, la tension dure depuis dix ans : mauvaises conditions de travail, faible rémunération.
Ailleurs, on l’a vu s’allier à des pays africains contestés pour leur absence de gouvernance. L’Afrique du Sud a, elle, dû refuser l’entrée au Dalai Lama.
Ailleurs, des appels d’offres ont été favorables aux « contracteurs » chinois. Quel type de dettes auront-nous face à la Chine demain ? Ce projet sera-t-il aussi « intégré » à nos réalités qu’on le dit.
C’est en somme le non-dit sur les conditions de cette coopération qui nourrit ce scepticisme. Les autorités avaient évoqué dans le passé les trente conditions imposées par la Chine, mais après les négociations, on ne sait pas ce qu’il en est aujourd’hui. L’absence de précisions incite à penser que ces conditions ne sont pas favorables à Maurice. Il n’en est sans doute rien, le cadre mis en place pour l’investissement étranger étant solide. Nous ne pouvons cependant pas ignorer le fait que beaucoup de pays africains se rendent compte aujourd’hui qu’ils n’ont pas été assez prudents.
Communiquer évitera les déceptions.
Le gouvernement devrait prendre le temps de rassurer la population. Il insiste sur l’effort qu’il a fallu fournir pour « intégrer » davantage le projet à la réalité mauricienne. Mais il ne nous dit pas les résultats de cet effort.
La population a besoin de savoir que nos dirigeants ont été suffisamment proactifs dans les négociations, qu’ils ont posé les barrières susceptibles de protéger nos intérêts, qu’ils n’ont pas agi pressés par l’échéance électorale. Nous voulons croire que l’intérêt du pays a primé, que l’envergure du projet n’a pas tourné la tête à nos dirigeants.
Nous ne savons pas par exemple s’il existe des conditions pour protéger l’industriel local. Ce nouvel horizon commercial pour les entreprises chinoises pourrait fermer celui de nos entrepreneurs. Les produits fabriqués à Riche-Terre, qui jouissent de facilités de l’Etat chinois et de main-d’oeuvre bon marché, seront compétitifs sur le marché mauricien et régional.
Nous ne savons pas dans quelle mesure les Mauriciens trouveront du travail grâce à JinFei, de quel type de travail il s’agira. Nous ne savons pas si les autorités le savent. Nous ne savons pas dans quelle mesure l’implication des constructeurs a été négociée pour cette nouvelle cité. Si les Chinois ont leur hôpital, ont leur école, ont leurs boutiques, se mêleront-ils à la population pour nourrir les petites affaires qui pourraient émerger autour de la zone ?
Ces incertitudes ne sauraient remettre en question l’intérêt majeur de ce projet. S’il a valu au gouvernement certaines concessions, ce serait mal venu de le critiquer. Il fallait ce projet.
La montée de la Chine est l’événement économique de notre temps. Passer à côté d’une telle proposition aurait été impensable. Si on a du mal à voir quelle part nous aurons concrètement dans les bénéfices de ce projet, on sait au moins que le gâteau est plus grand.
Bien plus grand.
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