Publicité

Le mirage démocratique

8 juin 2013, 22:07

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Le mirage démocratique

Une semaine après ses déclarations tonitruantes, Reza Isaack continue d’alimenter les discussions et les critiques. Surtout dans son propre camp ! Pendant que certains de ses camarades de parti lui reprochent de souhaiter publiquement une alliance avec l’adversaire mauve, d’autres lui tiennent rigueur d’avoir dénoncé l’incompétence de quelques ministres. Avec le retour au pays de Navin Ramgoolam vendredi, tout promet toutefois de rentrer dans l’ordre. 

 

A force, on a fini par connaître le refrain. Le Premier ministre s’absente du pays. Pendant ce temps, quelques trublions de son parti ou de son alliance s’agitent. Ramgoolam rentre. Ecoute puis recadre plus ou moins brutalement. Pour ensuite célébrer la sérénité retrouvée ainsi que la liberté de parole – jamais perdue, assure-t-on – des membres de la majorité lors d’une rencontre du groupe parlementaire du gouvernement. Le tout se termine invariablement par la même injonction : circulez il n’y a rien à voir…

 

Nous ne sommes pas tenus d’y obéir. Car au-delà des vérités dites, l’énième sortie d’Isaack nous donne l’occasion de constater le dysfonctionnement de notre système démocratique. L’absence de « checks and balances » institutionnels devient inquiétante. A tel point que la séparation des pouvoirs à la mauricienne se résume à l’exécutif et au judiciaire. Tant le Parlement - malgré la prestation sporadiquement correcte de l’opposition – semble s’être transformé en « rubber stamp » de l’action gouvernementale. On ne peut continuer à invoquer la nature westminsterienne de nos institutions pour cautionner la faiblesse de notre Assemblée nationale.

 

On a en effet la fâcheuse tendance à réduire l’Assemblée nationale au lieu folklorique où s’affrontent gouvernement et opposition. C’est une de ses vocations, mais on omet souvent de se souvenir que les députés de la majorité disposent également de la possibilité de questionner l’action de l’exécutif. Que chaque membre du Parlement a, de plus, le devoir de participer au processus législatif en examinant et critiquant les projets de loi soumis aux 69 représentants du peuple. Mais dans les faits, le vrai travail législatif n’est effectué que par à peine la moitié des 69 membres élus du Parlement.

 

Un petit calcul aide à comprendre cela. Actuellement la majorité gouvernementale est constituée de 39 membres, en y incluant l’Attorney General. Il convient d’y soustraire les 25 membres du Conseil des ministres qui, solidarité oblige, n’ont pas vocation à critiquer un projet de loi et encore moins à questionner l’action d’un de leurs collègues. Le Deputy Speaker, tenu de garder une certaine neutralité, ne peut non plus participer activement aux travaux. Tout comme le Chief Whip du gouvernement qui traditionnellement se tient en retrait.

 

Il suffit ensuite de soustraire les 10 Parliamentary Private Secretaries (PPS) assimilables à l’exécutif ‑ car chargés de participer à l’action de la National Development Unit ‑ pour se rendre compte qu’il ne reste alors que deux backbenchers dotés en théorie de liberté de parole et d’action pour questionner l’action du gouvernement : Stéphanie Anquetil et Nita Deerpalsing. C’est cette disette en backbenchers libres qui a conduit le groupe parlementaire de la majorité à encourager les PPS à poser également des questions aux ministres.

 

Ce sont donc essentiellement les 31 membres de l’opposition qui ont la charge d’exercer la fonction de contrepouvoir et de contrôle législatif face au gouvernement et à son Premier ministre omnipotent. Celui-ci a ainsi non seulement droit de vie et de mort sur le Parlement, à travers sa prérogative de dissolution. Mais également la maîtrise de l’agenda parlementaire à travers la délivrance des « certificates of urgency » en tant que Leader of the House.

 

Le Parlement, grâce aux 31 membres de l’opposition, n’est en fait qu’un contrepouvoir en matière d’amendements constitutionnels, car pour tout le reste, et conformément à l’adage latin, « ce qui plaît au Prince est loi ». Cela rend donc quelque peu comique le regret de Ramgoolam de ne pas disposer d’une majorité des trois quarts à l’Assemblée nationale. Car à bien y voir il est un superchef de l’exécutif qui ne dit pas son nom.

 

Il a le pouvoir de débloquer ou de bloquer des projets de développement. D’annoncer des tsunamis dans les corps parapublics puis de stopper net la vague si tel est son souhait. Il dispose également de la possibilité de faire voter n’importe quelle loi au Parlement du fait de sa majorité encore confortable. Barack Obama et tous les présidents ont dû rêver de disposer de tels pouvoirs. Ramgoolam, lui, l’a fait. Sans même recourir à un amendement constitutionnel !