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Le premier commandement
Devinez de quoi parlent 12 ministres assis autour d’une table ? Du rapport de la Commission Vérité et Justice (CVJ), bien sûr ! Et quelle est la tonalité des 19 mesures dont ils préconisent la mise en œuvre « plus ou moins rapidement » ? Essentiellement politique, bien évidemment !
La politique, on la retrouve dès la première recommandation du High-Powered Committee (HPC) chargé d’appliquer les recommandations de la CVJ. A travers un premier commandement aux airs révolutionnaires : « All boards of parastatals to be multicultural: any board composed of 65 % or more of one ethnic and/or religious groups to be reviewed and revised. » On comprend assez vite le raisonnement de Xavier Duval et de ses collègues ministres. En effet, des organisations comme la Fédération des créoles mauriciens soulignent, avec raison, depuis des années, le manque de diversité ethnique parmi les fonctionnaires et les employés d’agences paraétatiques. Mais, voila, assurer une réelle hétérogénéité dans la « staff list » d’un ministère ou d’une institution de la taille de la Mauritius Revenue Authority nécessite des vagues de recrutement successives, étalées sur plusieurs années. A la recherche de « quick wins », le HPC frappe fort, ailleurs. Là où le champ d’intervention du gouvernement est totale : les conseils d’administration des corps paraétatiques.
Si l’intention est sans aucun doute louable, une question demeure. Comment le HPC en est-il donc arrivé à déterminer qu’il est acceptable qu’un conseil d’administration d’une institution publique soit composé à 65 % de personnes de même profil ethnique ? Pour cela, il faut consulter le rapport de la CVJ. C’est la commission elle-même qui propose ce seuil de tolérance afin de favoriser « a more democratic public life ». Mais nulle part elle n’explique comment elle arrive à ce chiffre. Et surtout pourquoi cette proportion est préférable à celle, moins hégémonique, de 50 % par exemple.
Ce qui est vérifiable, par contre, c’est que le seuil de 65% est mis à mal dans de nombreuses institutions. Le Conseil des ministres lui-même s’en sort d’un poil, étant ethniquement homogène à 64 %. En effet, 16 de ses 25 membres font partie de la communauté majoritaire (hindi et non-hindi speaking). Ailleurs, c’est pire. 66 % des membres du conseil d’administration de la State Trading Corporation appartiennent au même ensemble ethnique. Ce taux grimpe à 71 % à la CWA. Tandis que le CEB fait figure de champion avec un conseil d’administration ethniquement homogène à 90 % !
Si le diagnostic ne souffre d’aucune contestation, la posologie du remède soulève, elle, de nombreuses interrogations. En effet, nos lois électorales obligent les candidats aux élections générales à déclarer leur appartenance ethnique afin de briguer les suffrages. Si l’on suit la recommandation du HPC, on conclut qu’une obligation de déclaration communautaire ou ethnique pèsera désormais sur chaque personne faisant partie du conseil d’administration d’une institution publique. C’est un signal très flou qu’envoient 12 ministres du gouvernement au moment où Navin Ramgoolam affirme régulièrement son opposition à l’obligation de déclarer son appartenance ethnique dans le cadre des élections.
Passons toutefois sur la géométrie variable des discours politiques pour nous intéresser aux détails de la mise en application de cette mesure. Afin de la traduire dans la réalité, le profil ethnique de chaque candidat à un conseil d’administration devra être dressé. Qui s’en chargera ? Une National Ethnic Profi ling Commission ? Au moyen de quels critères objectifs ou subjectifs ? Celui du « way of life » comme le préconisent nos lois électorales ? Dont les limites ont été démontrées par Michael Sik Yuen depuis mai 2010 !
Plus fondamentalement, se pose une question de définition. L’objet même de cette recommandation est d’assurer une plus grande représentation de la communauté créole au sein de la sphère publique. Or juridiquement, cette dénomination ethnique n’existe pas. Le gouvernement ira-t-il donc au bout de sa logique en créant une nouvelle nomenclature ethnique pour mettre en œuvre sa politique de promotion de la diversité ? De sorte que chaque
conseil d’administration parapublic, fi nisse, d’ici quelques mois, par afficher un certificat « Proudly multicultural and multiethnic » avec le décompte précis de ses administrateurs créoles, hindous, musulmans, sino-mauriciens et franco/anglo-mauriciens ?
C’est ce qu’il devrait se passer si l’on suit la logique du HPC. C’est la priorité actuelle du HPC. Plus tard, quand ses membres comprendront que tout ne se réduit pas à des considérations de quotas, le comité, dans sa sagesse, songera peut-être alors à recommander des mesures plus profondes visant non pas à récompenser quelques nominés politiques
supplémentaires au bon profil ethnique. Mais plutôt à amener une communauté délaissée à prendre part et à trouver sa place dans le « mainstream » de la sphère publique…
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