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Le syndrome Don Issack
Qu’ont en commun Don Quichotte et Reza Issack ? Le premier, un personnage de fiction convaincu de l’utilité de sa croisade, combat des moulins à vent. Le second, un homme politique en chair et en os, égratigne régulièrement son propre gouvernement… avec la même foi inébranlable que Don Quichotte. Loin de nous l’idée de nous moquer d’Issack, mais il va quand même falloir comprendre pourquoi le backbencher travailliste crie en permanence dans le désert.
Dans le passé, ses positions franches ont séduit les uns et indisposé les autres, souvent dans son propre camp politique. Un petit florilège, non exhaustif, peut aisément nous aider à comprendre pourquoi. De l’alliance PTr-MSM : « la stratégie du Premier ministre est d’unir les hindous. »
Des conseillers municipaux travaillistes : « dont la compétence académique se limite à la Form II et qui n’ont aucune notion de la gestion d’une collectivité locale. » Du ministre de la Culture Mookhesswur Choonee : « un homme frileux » pas « capable de prendre des décisions qu’il faut. »
Cette semaine, le député correctif de Stanley/Rose-Hill remonte sur son destrier et s’en prend à ces « quelques ministres vraiment médiocres » qui se retrouvent au gouvernement à cause de « l’ethno-castéisme » minant notre système politique (lire interview en pages 14-15). Mais à lire Reza Issack, on reste dubitatif. Car au fil des années, il a peut-être hérité du vingt-sixième ministère non prévu par la Constitution : celui de la parole.
Une autre personne pourrait prétendre à ce marocain : Nita Deerpalsing. La députée rouge est en effet l’autre grande gueule du backbench rouge. Mais contrairement à Issack, elle a obtenu des petites victoires symboliques sur le temps politique long. Ses critiques à l’égard de certains aspects des réformes économiques de Rama Sithanen ont fini par être entendues… par Pravind Jugnauth et le Premier ministre, qui a éjecté sans formalités son ministre des Finances de la période 2005-2010. Nita Deerpalsing, auteure du fameux « tout ce qui est légal n’est pas forcément moral » au sujet de la vente de la clinique Medpoint à l’Etat, a également sans doute savouré l’opération lev pake ale du MSM après ses nombreuses critiques à l’égard du partenaire d’alors du PTr.
Le manque de succès d’Issack, comparé à Deerpalsing, n’en est donc que plus frappant. Serait-ce parce que, comme il l’avoue lui-même, le député de Stanley/Rose-Hill n’est qu’un « rebelle obéissant » ? Une formule préalablement utilisée pour décrire l’abbé François Pfanner, qui avait des difficultés, à la fin du XIXe siècle, à faire coexister les exigences de la vie monastique et la nécessité de s’ouvrir à la communauté en Afrique du Sud.
L’analogie n’est pas inintéressante. Car contrairement à Deerpalsing, le croyant Issack s’attaque en fait à l’un des dogmes de notre système politique. Celui qui empêche Ramgoolam de se séparer de Sik Yuen car il n’a pas un autre candidat – d’équivalence ethnique – à qui attribuer un ministère. C’est cette même logique qui fait que l’actuel ministre de la Culture ne pourra pas être remplacé par Deerpalsing ou Issack sans qu’une série de corrections ne soient apportées au Conseil des ministres pour rééquilibrer les quotas des différentes ethnies du pays. Reza Issack est trop malin pour ne pas déjà le savoir : le remaniement, qu’il souhaite, basé uniquement sur des critères de méritocratie, n’aura pas lieu.
Pour une double raison. D’abord parce que le choix de Ramgoolam est limité. En effet, si seul le critère de compétence avait cours, le Premier ministre se retrouverait sans doute à constituer un conseil des ministres de six ou sept membres ! Ensuite, parce que le patron des rouges avoue volontiers, quand il se laisse aller à la confidence, que les logiques desquelles il voulait s’affranchir en revenant au Parlement en 1991 sont encore trop importantes et décisives pour être ignorées.
Reza Issack peut donc continuer à occuper le vingt-sixième ministère de la République s’il le souhaite. Ou aller au bout de son raisonnement. Passer de « rebelle obéissant » à rebelle tout court en démissionnant de l’Assemblée nationale. Certes, le retrait du député correctif qu’il est ne résulterait qu’en la nomination d’un autre best loser pour le remplacer. Mais le signal qu’il enverrait en faisant cela serait loin d’être un cri dans le désert. A quoi bon cautionner – en y participant – un système que l’on peut seulement critiquer sans le changer ?
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