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Le vœu pieux de Nita
«Quand je suis rentré à Maurice pour la première fois après mes études, je n’étais pas du tout d’accord sur beaucoup de choses avec mon père. Notamment sur ce principe dont tu me parles. J’étais comme toi. Mais j’ai réalisé ensuite ce qui était en jeu et le travail qui était en train d’être fait… Un jour, peut-être, tu comprendras. » C’est la transcription des propos que Navin Ramgoolam a tenus, il y a quelque temps, à un interlocuteur qui lui reprochait sa trop grande proximité avec le monde socioculturel. A-t-il pu tenir le même raisonnement, à un moment ou un autre, à Nita Deerpalsing ?
La députée travailliste a présenté une private motion, ce vendredi au Parlement, pour réclamer trois choses : que le mot « secular » soit utilisé pour qualifier notre démocratie dans la Constitution, l’élaboration d’un code de conduite régissant les relations entre politiques et religieux, et la réforme du système d’aide étatique et privée aux religions du pays. Difficile de remettre en question les propositions de la députée de Belle-Rose/Quatre-Bornes, tant elles relèvent du bon sens.
L’opposition ne s’est d’ailleurs pas fourvoyée sur le sujet en affichant, à travers son leader Alan Ganoo, son soutien à la private motion de Deerpalsing. Mais quand on est dans la politique, un fossé gigantesque peut séparer ce qui est souhaitable de ce qui est faisable.
Si l’opposition a officiellement soutenu Deerpalsing dans sa démarche vendredi, très peu de ses membres tiennent le même raisonnement en temps normal. Steven Obeegadoo est ainsi l’un des seuls à soulever avec constance la question de la séparation entre le religieux et le politique au MMM. Ce qui ne lui vaut pas nécessairement l’amitié de ses propres collègues de parti, qui se plaisent alors à rappeler que l’ancien ministre de l’Education vit dans « une tour d’ivoire ».
Ce n’est pas étonnant d’entendre ce genre de critique. Car tous les partis politiques du pays comptent sur le soutien de chefs religieux pour se constituer une caisse de résonance au sein des différentes communautés et ethnies du pays.
Chaque Premier ministre a ainsi eu ses Ramdhun, Dayal, Santokhee, Dulthumun, Manohur ou Bahadoor, pour ne citer que ceux qui ont assumé cette fonction auprès de la composante majoritaire de la population.
Certains, comme sir Anerood Jugnauth, ont pu le pratiquer plus ou moins discrètement pendant un temps. Tandis que d’autres, comme Bérenger, ont poussé l’effort jusqu’à se déguiser pour mieux emberlificoter ceux dont ils ont, en vain, espéré le soutien. Depuis 2005, Ramgoolam a porté ce jeu malsain à son paroxysme. En faisant de certaines associations socioculturelles ses auxiliaires de propagande tout en se réservant, par moments, le rôle de les défendre personnellement face aux critiques justifiées à leur égard.
C’est cet ordre établi qu’a contesté Nita Deerpalsing en proposant sa private motion vendredi. Consciente que sa position laïciste du passé ‑ elle a réclamé un temps l’arrêt pur et simple des subventions aux religions – poserait problème, la responsable de l’aile jeune du Parti travailliste ne réclame aujourd’hui qu’une réforme dans le financement (public et privé) des subventions aux religions. En arguant désormais que ses lectures sur l’impossibilité de cloisonner strictement religion et Etat l’ont amenée à prôner une position plus souple.
Mais on ne peut non plus s’empêcher de penser qu’une conversation avec son leader a pu lui faire comprendre les impératifs du jeu politique local. Si on pousse le cynisme plus loin, on pourrait même se demander si la violente sortie contre elle et l’immunité permanente dont semble jouir l’auteur de cette sortie – qui aime s’enorgueillir des « 400 000 votes qu’il contrôle » ‑ n’ont pas influé sur la posture toujours progressiste mais désormais plus mesurée de Deerpalsing.
Car avec huit ans au compteur comme députée, Deerpalsing doit s’être rendu compte que des réformes électorales ou institutionnelles, aussi ingénieuses soient-elles, ne changeront pas certaines mentalités. Comme celle de ces opportunistes qui continueront à monnayer leur influence, fictive ou réelle, dans des cercles religieux et communautaires, contre des avantages personnels. Mais également celle de ces hommes politiques, ces éternels anxieux maladifs, qui contractent toutes sortes de polices d’assurances, y compris religieuses, pour prévenir le risque de défaite.
Deerpalsing doit bien le savoir. Pour que les choses changent réellement, il faudrait qu’un tsunami divin balaie aussi bien la classe politique que les dirigeants socioculturels en place. Mais voilà, les miracles ne se produisent que très rarement. Que ce ne soit toutefois pas une raison de s’affliger. L’espoir, dit-on, fait vivre. La foi aussi, probablement…
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