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Les fausses sœurs siamoises

10 mars 2013, 13:34

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« La plupart des hommes religieux que j’ai rencontrés sont des politiciens déguisés. Pour ma part, je m’habille en politicien. Mais au fond de moi, je suis un homme religieux. » La citation est du Mahatma Gandhi, qui précise également que « ceux qui disent que la religion n’a rien à faire avec la politique ne savent pas ce qu’est la religion ». Le vice- Premier ministre Anil Bachoo pensait- il à Gandhi, jeudi soir, quand il a mis au défi son auditoire de le contredire quand il affirme « qu’on ne peut distinguer la politique de la religion » ? Ou alors n’a- t-il – comme bien d’autres politiques – fait que succomber à ce qu’on pourrait appeler « l’effet Maha Shivaratree » ?

La foule, c’est connu, a un puissant effet grisant sur les politiques. Or, les nôtres n’ont vu ni la couleur, ni l’odeur des immenses foules de 100 000 personnes massées à l’occasion de meetings politiques depuis des décennies. Maha Shivaratree, avec ses dizaines de milliers de dévots parqués en permanence au Ganga Talao chaque année, représente ainsi le dernier terrain de jeu de nos politiques en mal d’envolées oratoires au milieu d’une foule immense. Mais cet aphrodisiaque peut avoir de drôles d’effets.

Chez le Premier ministre, cela se traduisait, jusqu’à l’année dernière, par une irrépressible envie de prononcer son discours en hindi – une langue qu’il ne maîtrise absolument pas. Cette année-ci, c’est en créole qu’il a choisi de s’adresser à son auditoire. Sans doute conscient du fait qu’il s’était couvert de ridicule les fois précédentes en massacrant son discours en hindi avec une prononciation calamiteuse d’un mot sur deux.

L’ « effet Maha Shivaratree » se manifeste chez le ministre Bachoo par un besoin non contenu de se livrer à un « pravachan » : une sorte de discours religieux construit autour de l’interprétation et de l’analyse des textes sacrés de l’hindouisme. Puis, il y a Somduth Dulthumun, le président de la Mauritius Sanatan Dharma Temples Federation (MSDTF). Il est un peu l’Obélix du lot, tant « l’homme religieux » semble être tombé dans la marmite politique dès son plus jeune âge.

Peu (c’est le cas de Navin Ramgoolam) ou prou (comme pour Bachoo et Dulthumun), chacun y est donc allé de son amalgame entre politique et religion cette semaine. Le président de la MSDTF poussant le zèle jusqu’à appeler – une nouvelle fois – au boycott d’une « certaine presse ». Il aurait juste suffi qu’il appelle les dévots présents à acheter Advance à partir du 22 mars pour être le parfait religieux/ politique/ marketeur de service du Parti travailliste.

Au-delà des postures des uns et des autres, la question de fond reste toutefois posée : la politique et la religion sont-elles effectivement indissociables ? La réponse, au vu des textes sacrés hindous et de leur interprétation par des spécialistes, est claire. Oui, aussi bien pour des raisons pratiques que théologiques. En effet, si la première phrase du préambule de la Constitution indienne décrit la Grande péninsule comme une république « séculière », l’histoire du sous-continent fait plutôt apparaître religion et politique comme des siamoises.

Il y a d’abord la pratique. Les brahmanes ont été, durant des millénaires, les maîtres des familles royales en Inde. Enseignant aux futurs rois et généraux les mathématiques, les sciences politiques, l’art de la guerre aussi bien que la théologie. L’homme religieux Chanakya, né en 370 avant Jésus-Christ, est ainsi l’auteur d’Arthashastra , l’un des traités de sciences politiques et de stratégie militaire les plus connus et étudiés en Inde.

Plus fondamentalement, les textes sacrés hindous regorgent de « commandements » à l’intention des dirigeants politiques. Le « Ramrayja », le règne de Ram, tel qu’il est décrit dans le Ramayana passe pour être le modèle sur lequel doit s’appuyer tout dirigeant politique pour administrer sa cité. La Bhagvad Gita apparaît, elle, comme le traité par excellence de l’éthique que chaque responsable politique doit consulter avant de prendre ses décisions. La cause est donc entendue, Bachoo et Dulthumun ont raison. La politique et la religion ne font qu’un.

Mais il y a un hic. Les chiffres du recensement de la population de 2011 démontrent qu’un citoyen sur deux de la république n’est pas hindou. Pourquoi donc la moitié de la population devrait- elle consentir à ce que nos principaux dirigeants politiques prennent des décisions en se laissant influencer par des préceptes religieux d’une foi qui n’est pas la leur ? Pis, il y a aussi les hindous pratiquants mais laïques qui prônent un sécularisme rigoureux et n’acceptent pas que le religieux et la politique fricotent dans le dos des citoyens afin de satisfaire des intérêts particuliers.

La conclusion est donc très simple : Anil Bachoo peut continuer à penser qu’on « ne peut distinguer la politique de la religion ». Mais jusqu’à preuve du contraire, les 903 005 électeurs de la république élisent des représentants politiques et non religieux. Si ce n’était pas le cas, Somduth Dulthummun serait le Premier ministre du pays !