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L'information à temps
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L'information à temps
D’avoir été trop resservies, certaines formules en viennent à manquer de retenue face à la pudeur jamais démentie de la personne disparue. Ainsi, ce vers de Victor Hugo, repris par André Malraux pour son livre sur la retraite forcée du général de Gaulle, ces quelques mots « les chênes qu'on abat », sans doute faut-il éviter qu'ils ne résument trop vite, trop rapidement, à trop bon compte ce que perd la nation au départ du Dr Forget.
« Il avait tout compris »,disait un de nos esprits les plus vifs, visionnaire passionné et passionnant, José Poncini, dans le livre hommage publié à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'express. « Le Dr Forget était un découvreur de talents, parmi les gens qui l'entouraient. Il les invitaient alors à prendre plus de responsabilités », se souvenait, dans le même ouvrage, Karl Offman.
Et comme s'il fallait une preuve vivante de ce qu'avait retenu du docteur l'ancien président de la République, Jean-Claude de l'Estrac, le secrétaire général de la Commission de l'océan Indien, enchaînait : « Pour moi, il est un génie méconnu. Sans doute le plus grand visionnaire que l'île Maurice contemporaine ait connu. Il n'y a pas une question d'ordre politique, économique ou sociale agitant aujourd'hui l'actualité qui n'ait pas été anticipée par Philippe Forget ». Et à l'ancien ministre des Affaires étrangères, ancien rédacteur en chef de l'express et directeur général du groupe La Sentinelle de concéder sans détours : « Pour toute une génération de journalistes et d'intellectuels, Philippe Forget a été un gourou, le dernier de notre Panthéon. En tout cas, il a été le mien ».
Lauréat du Collège Royal de Curepipe, en 1947, aux côtés d'un autre futur médecin, Bernard Bancilhon, Philippe Forget était un grand, un immense esprit. De sa carrière publique, ceux qui en furent témoins, ne serait-ce qu'à travers la médiation du journal, auront effectivement retenu qu'il comprenait tous les grands enjeux plus vite que ses contemporains, parfois des années avant les autres, au risque, d'ailleurs, de nombreuses incompréhensions. Mais il n'avait pas qu'une tête bien remplie, il l’avait bien faite aussi, pour analyser et synthétiser comme peu d'autres. La volonté d'entrevoir des promesses chez ses collaborateurs relève d'autre chose, plus une vertu qu'un savoir-faire, de la conviction que le chef, celui qui porte le plus le projet, ne peut se soustraire à la responsabilité vitale de repérer les talents et de leur offrir des occasions de s'épanouir. Les entreprises qui pèchent à ce niveau n'ont sans doute pas beaucoup d'avenir et d'être une rédaction ou une entreprise de presse ne soustrait pas à cette exigence.
Philippe Forget a abandonné une profession libérale valorisée pour se donner à un métier dont les vraies normes professionnelles n'étaient pas encore résolument définies. Au journalisme, il a offert une des plus belles intelligences de ce pays, doublée d'un patriotisme sans réserve, d'un refus absolu de tous les sectarismes. Si la presse mauricienne veut se donner quelques chances de survivre à son déclin actuel, où ira-t-elle chercher les hommes et les femmes capables, au moins, de comprendre les enjeux les plus immédiats, de les exposer avec précision, de les commenter de manière à les mettre dans une juste perspective ? Faudra-t-il d'une fondation, faudra-t-il l'appeler Fondation Philippe Forget, pour former sérieusement ? Pour qu'on prenne la mesure de l'enjeu de l'intelligence au sein de cette profession qui, plus que tout autre, n'a pas le droit aux réflexes imbéciles.
Passé le moment de l'émotion, ce qui compte le plus, ce ne sont pas les grands arbres qu'on abat. Ce sont les pépinières où l'on protège les jeunes pousses.
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