Publicité

L’homme qui tombe à pic

1 août 2010, 03:25

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Les deux points de vue s’entrechoquent. Certains pensent que ce sont les hommes qui font les institutions. D’autres affirment que c’est l’inverse qui est vrai. L’arrivée de Megh Pillay à la tête de la State Trading Corporation (STC) nous permettra sans doute de confi rmer laquelle de ces propositions est la plus valable.

Pillay prend la tête d’une institution dont le signe distinctif est son manque de transparence. La STC fonctionne ainsi depuis de nombreuses années. Mais depuis l’arrivée de Ranjit Soomarooah à sa tête en 2004, la perception d’opacité n’a fait que s’accentuer. C’est notamment l’autisme de l’institution autour du « small print » de ses contrats d’approvisionnement – on les compte en milliards de roupies - qui a alimenté toutes sortes de spéculations. Les conditions étranges qui ont mené à la décision de renouveler le contrat de Soomarooah sur une base mensuelle et son départ précipité ont achevé de convaincre la population que la STC lui cache des choses.

Enter Pillay. L’homme sait ce que c’est que d’être en permanence « answerable » à une foultitude d’interlocuteurs. De 1993 à 2005, lorsqu’il a dirigé successivement Mauritius Telecom (MT) et Air Mauritius (AM), Pillay n’a pas seulement rendu des comptes aux politiques qui l’avaient nommé à ces postes de responsabilité. En effet, il a dû composer avec des actionnaires et syndicalistes belliqueux, des partenaires stratégiques hégémonistes et trop intrusifs. Ainsi qu’à nous, ses clients exigeants, soucieux d’obtenir le meilleur service possible. En reprenant la barre de la STC, Megh Pillay doit donc savoir que les Mauriciens attendent des comptes de lui.

On peut raisonnablement penser que le nouveau patron de la STC est en mesure de satisfaire cette exigence de la population. Durant l’année financière se terminant au 30 juin 2008, la STC a géré Rs 29 milliards de revenus. Ces chiffres, Pillay les a souvent maniés quand il était à la tête de deux des plus grosses entreprises du pays. L’homme avait également été appelé à leur tête au moment où elles faisaient face à des défi s majeurs. Il a ainsi négocié avec un certain succès l’entrée de Maurice dans l’ère de l’Internet et permis à MT d’avoir les bonnes cartes en main pour affronter la libéralisation des télécoms. A AM, c’est au moment où l’ouverture de l’accès aérien était débattue avec vigueur que Pillay a eu pour tâche de concilier la mission de service public d’un opérateur aérien national à celui de rentabilité et d’efficience dans un contexte de concurrence.

Le nouveau patron de la STC apparaît donc doté de l’expérience nécessaire pour administrer une institution lourdement endettée et dont le  fonctionnement et les choix stratégiques (lait amul, farine turque, hedging) se sont souvent avérés calamiteux dans un passé pas très lointain. Mais voilà, si à MT et AM, Pillay était redevable à une multitude de partenaires, à la STC, il ne prendra ses ordres et ne rendra des comptes qu’au gouvernement.

Il serait intéressant de savoir si, lors de sa conversation téléphonique de jeudi avec Pillay, Navin Ramgoolam lui a également donné comme mandat de redorer le blason de la STC en rétablissant la confi ance des Mauriciens dans l’institution. Si c’est le cas, Pillay devra s’atteler durant les mois à venir à réconcilier la population avec la STC. En faisant la démonstration que toute action ou inaction de la STC…ne cache invariablement des magouilles ou gabegies inavouables.

Mais est-ce seulement là l’une des priorités assignées à Pillay ? On ne le sait pas. Mais même si ce n’est pas le cas, on pourrait s’imaginer que le patron de la STC – en bon professionnel - fasse du rétablissement de la confi ance en l’institution une priorité aussi importante que  l’assainissement fi nancier de l’institution. Mais l’on doit malheureusement aussi envisager le scénario pessimiste. Celui où l’institution l’emporte sur l’homme. Pris dans une nouvelle logique et des directives précises, Pillay pourrait sombrer dans le même mutisme et opacité que Soomarooah.

On comprendra alors que c’est l’institution qui fait l’homme. On pourrait même alors aller jusqu’à penser que ce sont ceux chargés de veiller au bon fonctionnement de l’institution – au gouvernement – qui trouvent un certain intérêt à ce que l’opacité prévale là ou se négocient des contrats en milliards de roupies. De là à deviner le pourquoi de cette culture du secret…il n’y aura alors qu’un pas.

Rabin BHUJUN