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L’éthique de la responsabilité

5 septembre 2012, 12:27

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Notion essentiellement juridique en vue de créer une obligation ou d’infliger une sanction, la responsabilité dépasse néanmoins la question de la coercition : le concept de la responsabilité joue un rôle éminent dans les décisions et les interactions humaines.

En 1860, Abraham Lincoln discourait au Congrès des Etats-Unis en ces termes : «Vous ne pouvez pas forcer le caractère et le courage en décourageant l’initiative et l’indépendance. Vous ne pouvez pas aider les hommes continuellement en faisant pour eux ce qu’ils pourraient et devraient faire eux-mêmes.» Exactement un siècle plus tard, John Fitzgerald Kennedy déclarait au même endroit : «Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous ; demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays.» Deux messages qui appellent à ne pas confondre le «chacun pour soi» (l’égotisme) avec le «chacun par soi» (l’individualisme).

Etre individualiste, c’est être soi-même, une attitude légitime qui peut s’avérer la meilleure façon de contribuer au bien-être collectif. En revanche, on peut se servir du collectif (au nom du collectivisme) pour satisfaire son égo, pour ne faire profiter que ses intérêts personnels, quitte à ce que ses relations humaines en souffrent. Une société ne saurait abriter un tel refuge de l’égoïsme. Elle doit faire en sorte que s’améliorent et s’élargissent les rapports humains, lesquels tendent à devenir limités, anonymes et temporaires en raison des exigences du développement économique.

S’il y a une fraternité humaine, c’est celle par laquelle les gens constituent une société unie où ils peuvent développer leur individualité au bénéfice de la collectivité. Pour autant, ils ne doivent pas croire qu’ils ne sont responsables que de ce qui est collectif. Car il n’y a de responsabilité qu’individuelle : chacun doit assumer les conséquences de ses actes. Mais encore faut-il définir en toute clarté les frontières de la responsabilité individuelle.

Et cela dépend de notre conception de l’homme.

Relation consubstantielle

Dans Le Savant et le Politique (1919), Max Weber écrit que «le partisan de l’éthique de la responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l’homme (car, comme le disait fort justement Fichte, on n’a pas le droit de présupposer la bonté et la perfection de l’homme), et il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu’il aura pu les prévoir.» Il va de soi que la responsabilité doit être limitée et proportionnée aux capacités humaines émotionnellement et intellectuellement. Il est tout aussi destructeur du sens de la responsabilité de dire qu’on est responsable de tout, que de dire qu’on n’est responsable de rien.

L’imputation de responsabilité a une fonction opératoire dans la vie décisionnelle d’un individu. Elle l’amène à utiliser au mieux ses connaissances et ses capacités pour accomplir ses objectifs. Elle dirige son attention sur les causes des événements qui dépendent de ses actes. Elle vise à lui enseigner ce à quoi il devrait veiller dans des situations comparables à l’avenir. Et, elle tend à le faire agir raisonnablement.

La responsabilité est donc imputée à un individu aux fins d’influer sur ses façons d’agir.

Pour cela, cependant, elle ne doit s’étendre que sur ce qui est connu, c’est-à-dire seulement à ce que l’individu est présumé pouvoir juger. Elle ne doit porter que sur les seuls effets de sa conduite qu’il lui est humainement possible de prévoir. Elle doit être bornée de sorte que l’individu puisse s’en remettre à ses propres connaissances concrètes pour décider de l’importance relative de ses différents devoirs, appliquer ses principes moraux aux situations qu’il connaît, et contribuer à résoudre les problèmes d’autrui.

En cela, la responsabilité implique l’emploi judicieux des aptitudes. D’une part, c’est l’exploitation réussie des opportunités présentes qui valorise l’utilité concrète des talents d’une personne. D’autre part, la valeur d’un individu ne doit pas être fonction de ce qu’il peut faire dans l’abstrait, c’est-à-dire de ses capacités intellectuelles et techniques à l’état brut, mais de sa manière de mettre celles-ci  concrètement au service des citoyens qui en font de même envers lui. Il doit donc être reconnu et récompensé, non pour une attitude théorique, mais pour son emploi à bon escient. Car, si capable que soit un homme ou une femme dans un domaine d’activité, ses services n’ont forcément de valeur que lorsque les autres peuvent en bénéficier au maximum.

Condition sine qua non de la réussite collective, la responsabilité individuelle doit être un critère d’appréciation fondamental.

C’est que la responsabilité est consubstantielle à la liberté individuelle, l’une n’existant pas sans l’autre. Autant on ne peut être responsable d’un acte auquel on a été forcé de se soumettre, autant on ne peut revendiquer sa liberté sans être comptable de ses actes.

Lorsque l’Etat croît, la sphère privée se rétrécit, la liberté individuelle diminue, et la responsabilité disparaît. On ne veut plus avoir de la responsabilité à l’égard des autres, à l’instar de ces parents qui ne se sentent pas responsables de l’éducation de leurs enfants. On développe alors la culture de toujours blâmer les autres : c’est la faute de l’Etat,  de l’école. On demande à l’Etat d’enseigner des valeurs morales qui sont plutôt du domaine de la famille. Or l’éducation des enfants passe par la responsabilité de la famille.

La première règle morale

Pour reprendre une distinction conceptuelle de Karl Popper, dans une société fermée, l’individu s’impose des règles strictes qui sont plutôt adaptées aux petits groupes, alors que dans une société ouverte, il est appelé à prendre des décisions individuelles et à en subir les conséquences. Dans l’histoire des sentiments moraux, 2000 ans sont une nullité : nos règles de comportement ont été largement formées par l’éthique de la société fermée.

Cependant, nous devons adapter nos règles morales à l’explosion des relations humaines et à la grande circulation des informations, qui caractérisent la société ouverte. Il ne s’agit pas de savoir si telles valeurs, religieuses ou culturelles, sont supérieures aux autres, c’est une position relativiste. Il faut plutôt poser cette question : quel est le degré de tolérance et d’acceptation de l’autre dans une société à multiples cultures et religions, comme l’île Maurice ?

C’est la responsabilité qui doit être notre première règle morale par laquelle, suivant Kant, la liberté est limitée à un minimum qui assure le minimum de liberté des autres. C’est une limite au sens, non pas d’obligation, mais de réciprocité.