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Nos quarts-mondes à nous

24 août 2013, 05:41

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Nos quarts-mondes à nous

C’est vrai que nous faisons des progrès. Ils sont surtout d’ordre materiel et ils s’affichent et s’étalent sous la forme de bâtiments à multiples étages, de «malls» flamboyants et vantards à souhait, de kilometers de goudron saupoudrés de «cats eyes», d’IRS où nous ne mettrons pas les pieds, de nouveaux ponts (dont un qui est encore un «dream». Heureusement, peut-être !), de blocs d’appartements les uns plus tape-à-l’oeil que les autres….

 

Mais en parallèle de ces progrès indéniables, comment se fait-il que nous n’éliminions pas nos poches de honte et nos insuffisances les plus criardes ? Je ne parle pas des institutions qui se dégradent, ou de moeurs qui se détériorent et don’t on parle tout le temps. Non. Je parle ici de pratiques et de normes qui ont toujours relevé de notre quart-monde et auxquelles on s’est tellement habitué, qu’on n’en parle plus, mais alors, là, plus du tout !

 

Je vous en livre deux exemples.

 

Commençons par le bazar de Port-Louis. On peut en dire ce que l’on veut, mais il est vrai qu’il y a quelques années, on a fait de grands travaux dans la section légumes et dans celles proposant des marchandises diverses (vêtements, artisanat, infusions locales, aloudas etc…). On ne pouvait dès lors pas trop se plaindre : c’était bien mieux, même si les niveaux de travaux d’entretien étaient (et sont toujours) plutômoyens, voire insatisfaisants. Le problème que je veux évoquer est juste à côté, dans la section poisson – viande, entre la rue Farquhar et l’autoroute, où l’on se croirait sorti tout droit d’un autre siècle ! Et d’être à Lagos ! J’y étais par curiosité il y a quelques semaines. Entre les odeurs pestilentielles des caniveaux ce que l’on comprend mieux quand ceux-ci sont ouverts pour le «nettoyage» (comme ce jour-là), les mooches généralement vertes, les rats dont les corps chausseraient au moins du 44, les marchands ambulants solidement incrustés à l’entrée, on ne peut qu’évoquer le quart-monde. Un ministre, Ghurburrun, si je ne me trompe, a bien tenté dans le passé, de justifier l’injustifiable en proclamant que cela faisait partie de la «couleur locale» que recherchait le visiteur, mais il n’y avait des touristes, ce jour-là, que dans la section reconstruite où il y avait certes au moins un rat, mais pas d’odeurs. Les vents généraux du sud-est, c’est pratique ! Je ne suis pas retourné au bazar de Rose-Hill, de Quatre-Bornes où de Curepipe depuis plus de 20 ans, je pense. Vous croyez que nous y avons progressé ?

 

Ensuite, les toilettes publiques. L’autre jour,quand nous en avons parléavec des journalistes, lemot le plus fréquent dansles commentaires était  «Aioooo !», prononcé lesdeux yeux solidement fermésafi n de ne pas revoirce qui s’y trouvait. Et on a quand même fait du progressdepuis l’époque ! Il y a35 ans, jeune professionneloeuvrant à Port-Louis, jeme souviens d’une vessietrop pleine qui m’avait menéaux toilettes publiquesdu Jardin de la Compagnie.L’odeur de purin neme choqua pas : c’étaitcomme ça partout ailleurs.Par contre, il y avait une initiative technologique triomphale de quelqu’un pourfaciliter l’accès aux pissotières! En effet, six petitesmoques vides de lait, àl’envers, toutes percéesd’un trou unique, central,étaient disposées commedes pas, pour permettreaux téméraires d’avancersans mettre le soulier dansles 5 centimètres de pissequi couvraient le sol… Letrou, voyez-vous, c’étaitpour que la moque n’aitpas tendance à flotter ! Lesdeux dernières moques étaient, elles, alignées, par souci fonctionnel, je pense, en parallèle avec les pissotières afi n d’améliorer le confort du client. Ma vessie fut, ce jour-là, sévèrement corrigée de sa folle témérité et je ne saurais donc jamais comment on faisait, une fois la vessie évacuée, pour pivoter et s’en retourner sur ses pas ! J’ai toujours soupçonné que celui qui avait bricolé ce système, venait avec une septième moque, qui l’assurait, en quelque sorte d’un monopole d’utilisation.

 

Quoi en conclure ? Que nous créons nous-mêmes, Mauriciens, nos propres démons? Que nous finissons par vivre avec, et même intérioriser ?

 

Je n’en sais rien. Mais, si on touche un salaire de misère, que l’on a pris un bus CNT qui tremble un peu au freinage, pour aller acheter un morceau de viande de cabri au bazar de Port-Louis et que l’on doit s’arrêter aux toilettes publiques à un moment, avant de retourner dans son logis de fortune où l’on dort à quatre dans une chambre, les chances ne sont-elles pas qu’un jour ou l’autre on pète un plomb et qu’on blesse, qu’on tue, qu’on viole, qu’on vole, qu’on se drogue ?

 

Est-ce vraiment ainsi que vivront les hommes ?