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Plus qu’une crise d’ego
Plus qu’une crise d’ego
Non, ce n’est pas de la politique de pacotille. C’est de l’économie du droit et du bon sens ! Rangeons donc les clichés dans un tiroir. Le célèbre « effortless sense of superiority » oxfordien de =Manou Bheenick n’est sans doute pas à l’origine de ses querelles avec le minister des Finances. De même, Xavier Duval ne voue probablement aucun dédain viscéral au gouverneur de la Banque de Maurice (BoM). Pas au point d’aller demander au Premier ministre de choisir entre Bheenick et lui... Pourquoi les deux hommes se livrent-ils donc en ce moment à une bataille à distance par déclarations
de presse interposées ?
Pour répondre à la question, il faut commencer par accepter le fait que la relation gouverneur/ministre des Finances va bien au-delà des dynamiques personnelles. Ainsi, les épisodes de tension entre ministres des Finances et gouverneurs ne sont pas dus au hasard. Ce qui peut arriver arrive… surtout si la loi le permet. La Bank of Mauritius Act autorise le gouverneur à faire une
chose simple : ignorer l’avis du ministre des Finances.
Le grand argentier a, en effet, très peu de possibilities d’infl uer sur les décisions du Gouverneur. Déjà, celuici et ses deux adjoints sont choisis par le Premier ministre. Le chancelier de l’échiquier préside certes le Financial Stability Committee de la BoM composée, entre autres, du Gouverneur et du Financial Secretary et dont la mission est « d’examiner à intervalles réguliers la robustesse et la stabilité du système fi nancier ». Mais il ne peut rien ordonner au comité. Tout au plus peut-il faire une requête d’avis ou de rapport. Le très médiatique
Monetary Policy Committee ne règle pas, non plus, toujours son pas sur celui du ministre des Finances. Même si ce dernier nomme cinq de ses huit members en consultation avec le Gouverneur.
Dans les faits, c’est la mission de la Banque centrale qui peut être appréhendée différemment selon que l’on se place au sommet de la BoM Tower ou au rezde- chaussée de l’Hôtel du gouvernement. C’est que l’objectif assigné à la BoM de « maintain price stability and to promote orderly and balances economic development » peut faire l’objet d’une lecture strictement économique ou alors économico-politique.
A la BoM, on considérera que la roupie doit rester robuste vis-à-vis des devises afin de ne pas alourdir notre facture d’importation et nourrir l’infl ation. Tout comme on y jugera qu’un taux d’intérêt trop bas encourage l’emprunt, remet trop d’argent en circulation, réalimentant le cycle infl ationniste. A la Government House, par contre, l’on pourra juger qu’il est primordial de donner aux entreprises la capacité de créer de l’emploi et de se développer en empruntant à un taux plus bas. Mais aussi penser qu’un euro à Rs 42 favorise la compétitivité de nos industries d’exportations même si cela plombe le pouvoir d’achat des ménages. Toutefois, ce ne sont pas les divergences de vue potentielles qui sont le problème. Mais plutôt le fait que le ministre des Finances n’a aucun moyen de forcer la BoM à avoir le même point de vue que lui.
On ne doit pas toutefois penser que les banquiers centraux et les gouvernements ont vocation de regarder dans des directions opposées. Même si les exemples allant dans ce sens ne manquent pas. Le mythique et républicain
Alan Greenspan, président de la Fed américaine, ne s’était jamais entendu avec Georges W. Bush. Mario Draghi, l’actuel président de la Banque centrale européenne, réussit peu à peu la prouesse de courroucer aussi bien les dirigeants d’économies fortes comme l’Allemagne que les cancres de l’UE comme le Portugal ou la Grèce.
Une relation normalisée, voire partenariale, est-elle donc possible entre gouvernement et Banque centrale ? A lire le prix Pulitzer Bob Woodward dans l’édition du 10 novembre 2000 du Washington Post, on peut croire que si. Dans l’article « Behind the Boom » relatant le bon bilan économique des années Clinton, Woodward raconte comment Alan Greenspan et Bill Clinton, en devenant les « best partners », ont fait croître l’économie américaine. L’article precise les deux ingredients essentiels de ce duo gagnant : des concertations régulières, approfondies et à bâtons rompus entre les deux hommes. Ainsi que la croyance profonde et partagée en une reprise économique.
Changeons d’époque et de lieu. Et constatons l’évidence à Maurice. D’une part, le dialogue entre la BoM et le ministère des Finances s’appauvrit d’annéeen année. D’autre part, le pessimisme et un certain manque d’ambition semblent peu à peu devenir le moteur de la prise de décision économique dans le pays. Ne nous étonnons donc pas qu’avec une telle confi guration, la BoM Tower et la Government House, même si elles ne sont séparées que de quelquesmètres,paraissent parfois très éloignées l’une de l’autre.
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