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Post-esclavagisme et post-indépendance…
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Post-esclavagisme et post-indépendance…
Post-esclavagisme et post-indépendance : Le capitalisme n’est un fléau que s’il n’est pas perçu comme un sport collectif à pratiquer (Quand les qualités métaphoriques du sport tentent de prescrire de nouvelles visions dans le jeu de rôle capitaliste à Maurice)
Dans le but d’explorer, d’analyser, de comprendre et de théoriser l’impact du capitalisme dans le monde, de nombreux sociologues et socioéconomistes de l’hémisphère nord plongent dans les contextes institutionnels et respectifs des pays concernés. Parmi les multiples conclusions pertinentes et théoriquement généralisables escomptées, deux aspects saillants captent principalement l’attention des inquisiteurs : d’une part, la pratique du capitalisme bien que de plus en plus mondialisée reste variée d’un contexte national à l’autre. D’autre part, ces variantes du capitalisme n’éliminent en moins celui-ci en faveur d’une autre option de modèle de production, mais démontrent que les élans décisionnels des dirigeants d’un pays découlent d’une logique à la fois historique et institutionnelle. Le capitalisme sous ses formes nuancées perdurera tant que le développement économique et social sera à l’agenda politique. Jouer son propre rôle dans ce contexte est ce dont il faut se soucier.
Il est plus que probable que l’argument gouvernant la démarche académique exprimée plus haut ne soit né que grâce à l’acceptation quasi collective d’un phénomène perçu dans le monde industriel. L’évolution du travail et du modèle de production le contenant demeure inévitable et indéniable quoi que régie par un parcours institutionnel plus linéaire que sinueux. Certes, le travail ou plutôt sa morphologie à la fois technique et institutionnelle est suggestible face à des meta-innovations technologiques ainsi qu’à des circonstances propres au pays en question : des facteurs donc exogènes. En guise d’illustration, un pays en permanence concerné par son développement économique se cramponnera assez fermement aux prescriptions de ses institutions surtout en période non-critique. Toutefois, il ne sera jamais en mesure de décliner des opportunités de progression telle que celles offertes par des découvertes technologiques. Ni ne sera-t-il capable d’exercer quelque contrôle ou pouvoir providentiel sur les calamités naturelles dans le cas où sa production phare est de nature agricole.
Malgré l’éventualité de tels facteurs, il a été constaté que le travail évolue selon le chemin historique emprunté par un état surtout si celui-ci ne vit que pour son développement économique. On a fait tomber le mur de Berlin certes, mais ceci était une démarche vers et non à l’encontre de l’uniformité capitaliste ou du progrès. Penser qu’un gouvernement fera en sorte un jour de faire reculer son économie est chimérique. Tout ceci a été à juste mesure démontré par le cas de l’île Maurice pendant ces quatre décennies.
Par conséquent, crier ‘non au capitalisme’à tue-tête dans les rues mauriciennes pourrait avoir et une connotation paradoxale et un arrière-goût de déni dans le jeu de salive de ceux qui prennent cette initiative de nos jours. Je propose l’institution du sport comme base métaphorique pour expliciter tout ceci. Il est toutefois impératif de préciser qu’il n’est pas question ici de brosser un tableau subjectivement positif du capitalisme, de mettre en veilleuse son caractère exploitatif ni de nier ses manquements éthiques et moraux. D’ailleurs le sport est une pratique inhéremment objective. Pour qu’il y ait une défense, il faut l’élément d’attaque et vice-versa. A l’image du sport, il est possible ici de suggérer que toute pratique demeure donc ce qu’elle est : une plateforme de jeu.
Précisément, les règles du jeu représentent ses paramètres institutionnels, sont établies par des tiers certes, mais humains, et ne sont révisées que dans des moments de crise. Comme le veut la tendance grandissante dans le domaine de la sociologie et socioéconomie, le capitalisme est perçu comme une telle plateforme de pratique. Cette plateforme consiste en un ensemble de paramètres à la fois suivis et dynamisés par un jeu de rôle assumés par des individus qui visent à s’enrichir ou éventuellement à éviter l’appauvrissement. Ici gît le vif de la plaie. Il doit y avoir un jeu perpétuel d’attaque-défense sur un terrain partagé qui met en exergue les ambitions économiques, les satisfactions personnelles et collectives, un jeu qui ne peut être nié et qui remet également en question les valeurs morales et les sources de déception.
Par ailleurs, si l’on se rapporte aux institutions du travail puisqu’il est question de cette branche sociologique ici, le syndicalisme a, à juste titre, été décrit comme étant ce mouvement radical qui s’oppose à l’exploitation d’un groupe d’individus par un autre groupe. Ce dernier se démarque de par sa possession des capitaux. Si l’on parle d’exploitation, l’initiative syndicale préserve en tout honneur sa légitimité.
Toutefois, il y a un piège.
Tout comme sur un terrain de jeu, il est plus facile de prendre la dite initiative de se défendre surtout dans le but de revendiquer instinctivement sa survie. Il est facile de crier ‘non au capitalisme’dans les rues de nos villes pour se faire entendre. Il est facile d’importer des discours de souche européenne telle que le marxisme, comme l’a démontré le MMM pendant les années qu’a connu l’île Maurice postcoloniale des années 1970.
En d’autres mots, l’esprit collectif y est : Maurice l’a côtoyé. Toujours est-il qu’une initiative défensive demeure ce qu’elle est : défensive. Il ne faut pas confondre une défense avec une stratégie d’attaque. Au cas contraire, pour revenir au sport, toute équipe augmenterait son score à chaque bonne défense. Les dirigeants de nos institutions l’ont compris. En 1982, le défenseur des dits exploités des années 1970, notamment le MMM, a, bien que sous un ramage rhétorique différent, fait comme ses prédécesseurs. Nos institutions ont heureusement continué d’opérer selon la norme collective postcoloniale et nullement contestée à Maurice : celle du développement économique à tout prix. Le pays en a bénéficié.
Toujours est-il qu’il n’est pas impertinent de mettre en garde les auteurs des mouvements anticapitalistes d’aujourd’hui. Ce qu’ils qualifient d’attaque envers les capitalistes mauriciens que ce soit avec un zeste revendicatif du problème communal local ou pas, n’est, si l’on se réfère à la pratique du sport, qu’une action défensive. Une action n’est pas une attaque a priori. Il est impératif que le peuple mauricien, qui plus est sa branche juvénile, réalise qu’une action défensive ne représente en rien une stratégie d’attaque. Prévenir des incidents comme ceux du centre d’appel Infinity en manifestant et en soutenant les grévistes de la faim demeure une initiative défensive et judicieuse. Le sens de la réactivité règne. Il en est de même pour l’action de critiquer le secteur privé avec des bannières.
Cependant, la démarche métaphorique du sport ici présente met en évidence le besoin de se rappeler qu’un match est composé de deux types d’action : il ne faut pas écarter le besoin d’une attaque pour se contenter de défendre. Ceci dit, le type d’attaque approprié pour les matchs économiques et institutionnels que connaît le peuple mauricien reste subjectif et pourrait être le sujet d’un autre débat. D’un point de vue plus général, il semblerait que le peuple mauricien, dans son réflexe défensif, omet de réaliser qu’il peut lui aussi attaquer à sa façon. Malheureusement, ce dit réflexe défensif et monolithique résulte encore aujourd’hui en un statu quo d’une classe sociale précise, d’une communauté type, ou d’un ensemble d’individus avec les mêmes désavantages de départ ou omissions.
Le mécanisme du marché libre et capitaliste n’a jamais interdit à un groupe en faveur d’un autre de se mettre à produire lui aussi, au lieu de rester dans sa position de défenseur. D’ailleurs, les institutions, bien qu’impersonnelles, sont créées par les humains. Certes il y a des fabricants de règles et des pratiquants de règles, mais quand il n’y a pas d’interdit, le groupe d’humains formant leurs vies autour des institutions en question peuvent se donner le droit d’utiliser les normes à bon escient. En d’autres mots, les lois, telles que les lois du marché libre ne sont favorables uniquement à un groupe spécifique que si cette façon de voir les choses est prise pour acquis. Le syndicaliste mauricien semble ne pas réaliser que malgré son devoir au sein du mouvement collectif, sa mise en pratique d’une loi ou d’une norme implicite telle que l’institutionnalisation des divisions communales dans le capitalisme mauricien, demeure individuelle. Tout en partageant une idéologie avec ses camarades, il peut simultanément se remuer et avancer pour le progrès de sa propre personne s’il y croit. Post-esclavagisme et postindépendance : Le capitalisme n’est un fléau que s’il n’est pas perçu comme un sport collectif à pratiquer 3
En effet, rien n’empêche l’institutionnalisation d’une combinaison responsable de l’individualisme et du collectivisme dans la façon de penser de nos jeunes. Lors des matchs d’un sport collectif, tous les joueurs ne courent pas forcément dans la même direction au même moment même s’ils font partie de la même équipe. Sil se donne les moyens et si les institutions politiques sont en sa faveur, rien n’empêche le jeune subalterne mauricien de passer outre les normes sociales de son environnement et d’aspirer à devenir patron. Il n’est pas éthiquement ni politiquement incorrect de devenir entrepreneur commercial tout en gardant ses valeurs morales et en restant sensible aux malheurs des autres. Que les jeunes mauriciens démontrent leur solidarité envers leurs compatriotes qui ont malheureusement subi les rebondissements d’une exploitation capitaliste (le cas Infinity en est un exemple), est bien. Mais se lancer dans un échange commercial en créant sa propre entreprise, en ne voyant pas que l’aspect négatif dans l’échange vente-achat tout en restant sensible aux violations éthiques dans le pays, est encore mieux. La métaphore du sport propose ici que le jeune mauricien, au lieu de s’engager uniquement dans la défense de sa survie en manifestant contre l’exploitation, soit économiquement proactif et de ce fait, bipolaire : il peut défendre et simultanément apporter individuellement ou au sein de petits collectifs, sa participation dans la production.
Il est vrai aussi que de par son passé colonial, l’ile Maurice a été un terrain où la détention des capitaux a été entre les mains d’un groupe défini qu’il soit qualifié dans un jargon communal ou ayant trait aux classes sociales. Cette prise de conscience a bien sa raison d’être, encore plus pendant la période de commémoration de l’abolition de l’esclavage. Toutefois, que le ballon ait été pendant longtemps dans un camp précis n’écarte pas le fait que tout match requiert d’un arbitre. Si certains partis politiques ont dans le passé mis en évidence le mouvement syndical et la situation défavorable des classes qu’ils défendaient, il est légitime de se demander pourquoi ces partis ne se montrent pas plus offensifs lorsqu’ils sont au pouvoir en peaufinant leur élan syndical d’antan avec la proposition d’une stratégie d’attaque pour les jeunes d’aujourd’hui. Il n’est pas question ici de proposer que le gouvernement encourage une attaque à la Robin des bois, mais plutôt l’institutionnalisation d’une nouvelle prise de conscience. Il est temps que notre système d’éducation fournisse en sus de l’instruction des matières principales, l’initiation au jeune à la prise de conscience de ses droits, de son potentiel, de son savoir faire, et d’un parcours alternatif. Par exemple, il est dommage que le syndicalisme soit découvert par le jeune mauricien à l’âge adulte, uniquement dans un contexte révolutionnaire et non comme une pratique légitime de prévention. Il ne faut pas s’étonner de la connotation péjorative attribuée au syndicalisme à Maurice. On peut excuser les lacunes de l’époque coloniale. L’esclave ou le subalterne asiatique n’était pas éduqué l’écart entre lui et son maître aurait été comblé avec difficulté.
Aujourd’hui est un autre jour : une uniformité des mentalités est possible à Maurice et l’appartenance ethnique ne doit plus servir d’instrument de catégorisation capitaliste. Cette uniformité doit être initiée par l’éducation locale et par la vision de nos dirigeants. Même si dans notre métaphore, le jeune sportif a besoin de beaucoup d’entrainement pour réussir son attaque individuelle ou collective, les règles institutionnelles doivent évoluer pour enfin permettre le fair play. Peut-être alors cesserons-nous de crier dans les rues des ‘non au capitalisme’ sans alternative concrète même si nous ne devrions pas nous opposer aux ‘non au capitalisme irresponsable’ légitimes. Avec la formule métaphorique du sport en arrière-plan, la proposition ici présente vient à son tour crier à tue-tête : A bas le jeune syndicaliste mauricien mono- fonction, longue vie au jeune mauricien conscient et des bienfaits du syndicalisme responsable et de son potentiel offensif dans la préservation de sa survie. Il est temps que le jeune mauricien cesse de souffrir de son histoire avec un grand H, bien qu’elle soit indélébile. L’erreur a été de faire croire aux jeunes que le capitalisme à Maurice ne peut être qu’un jeu communal à somme nulle. L’erreur a aussi été de ne pas penser que l’évolution du travail pouvait aller de pair avec l’évolution des mentalités dans ce jeu de rôle. Jamais deux sans trois, l’erreur jusqu’ici de nos dirigeants bien qu’en faveur du développement, a été de ne pas inciter assez les jeunes mauriciens, toutes communautés confondues, à exploiter leur potentiel pour passer à l’attaque, la vraie.
Blandine Emilien
Doctorante Université de Leicester Royaume-Uni
 
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