Publicité
Pour l’amour du fric
Drôle de rapport que celui des Mauriciens avec l’argent. Le sentiment pourrait presque se résumer en une phrase : « Sois riche et cache-toi ! » Il ne fait aucun doute que certains lecteurs pousseront des cris d’effroi à la lecture de notre dossier de cette semaine (voir pages 10-13). Des « c’est indécent, comment peut-il toucher tant de millions par an ? » se feront probablement entendre. C’est dommage…
Si la conscience collective locale est composée d’un fatras d’apports européens, africains et asiatiques, ce sont souvent les a priori européens et judéo-chrétiens qui se manifestent dans nos rapports avec l’argent. La fortune, quand elle n’est pas discrète, devient invariablement obscène… ou même sale. « Finn kokin sa, li fi nn fer tranzaksion, piti misie la sa, alerma li proteze… » Voilà quelques variantes de ce que l’on peut entendre au sujet des signes extérieurs de richesse qu’arborent quelques-uns de nos compatriotes.
Des psychosociologues ont encore à décrypter cette étonnante défiance qu’ont les Mauriciens envers ceux qui réussissent. Jean Suzanne – même s’il est loin d’être un patron modèle – a sans doute été desservi par son image de golden boy pouvant se permettre de fl amber un demi-million de roupies sur une montre. De même, on se prend presque à comprendre Navin Ramgoolam quand il a balayé la polémique au sujet de son Aston Martin d’un hargneux : « Ki zot oule, mo roul dan saret bef ? »
Le Premier ministre a démontré, le 1er mai dernier, qu’il a une lecture très « complexée » de certains comportements et critiques. Toutefois, contrairement à ce qu’il affirme, les écrits de Frantz Fanon n’expliquent pas tout. Là où Ramgoolam voit des esprits « colonisés », nous voyons des esprits coincés dans une logique de classe. Hier encore, les grands-parents d’une majorité de Mauriciens étaient des ouvriers mal payés dans les champs et sur les chantiers et docks.
En à peine une génération et demie, leur niveau de vie, et surtout celui de leurs enfants, a connu un bond phénoménal.
Sauf que l’émancipation économique n’a pas été accompagnée de l’affranchissement des esprits. Le petit-fils de laboureur qui devient cadre est une progression acceptée. La fi lle d’infirmière qui fi nit avocate force l’admiration des voisins. Mais au-delà de ces scenarii, le « Mauritian Dream » cahote. Si aux États-Unis, le « tout est possible » est érigé en dogme quasi religieux, ici, un succès trop éclatant passe vite pour être suspect… voire immérité.
Le Mauricien moyen semble trouver parfaitement acceptable que certains de ses compatriotes mènent une vie rêvée à New York ou à Singapore en tant qu’as de la fi nance ou chef d’entreprise. Mais il suffi t de replacer ces mêmes enfants du pays dans le contexte local pour que leur train de vie soit soudain considéré comme presque illégitime.
Si Prakash Maunthrooa a pu gagner Rs 200 000 en un mois en tant que consultant international, certains esprits chagrins ne verront en lui qu’un nominé politique, qui ne mérite nullement le même package en tant que directeur général du Board of Investment. De même, si les Rs 20 millions que coûte annuellement le grand patron de la MCB peuvent paraître faramineuses, ce chiffre ne représente, en fait, qu’à peine la moitié du centième des bénéfices de cette banque !
L’émancipation économique des Mauriciens passera par notre capacité à voir grand, en nous décomplexant vis-à-vis des gros sous et des gros salaires. Si un Premier ministre ou un ministre compétent encaissent respectivement un chèque de Rs 200 000 et de Rs 145 000 à chaque fin de mois, nous ne devrions pas avoir à y redire. Seule la compétence compte. Celle-ci est d’ailleurs parfaitement mesurable car liée aux résultats que produisent élus, fonctionnaires, nominés politiques ou grands pontes des affaires.
Publicité
Les plus récents