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Que faire de Bérenger ?

8 mars 2009, 18:44

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Le poids électoral de PravindJugnauth, la stratégie de Navin Ramgoolam… l’on ne cesse, depuis une semaine, d’en débattre. Ce n’est pourtant pas là l’essentiel de la leçon de Moka-Quartier- Militaire : cette élection remet en lumière le rôle et la place de Paul Bérenger, devenu équivoque sur l’échiquier politique. Une grande hypocrisie entoure la question, il faut l’exposer.

On ne doit  pas chercher bien loin les causes de la défaite d’AshockJugnauth. Il a commencé à perdre le jour même où son concurrent, le leader du MSM, a désigné Bérenger comme son principal adversaire, celui contre lequel il venait mener le combat, au-delà de tout autre considération. Il était facile dès lors de mobiliser ces électeurs, toutes tendances partisanes confondues, qui depuis quarante ans, expriment leur hostilité électorale à l’égard de Bérenger. Ces électeurs hindous qui n’ont jamais cessé de voir en Bérenger un leader des minorités, susceptible de menacer leurs intérêts. Il y a eu certes des moments, plutôt rares, où ils se sont laissé séduire par la fougue et les idées de ce chef politique charismatique, mais le plus souvent, ils s’en sont méfiés. Ils s’en méfient toujours.

Les raisons de cet atavisme politique peuvent être analysées. Elles sont complexes. Elles remontent à l’histoire mais elles tiennent aussi compte de la personnalité et des fourvoiements occasionnels du leader du MMM.  Elles sont socioculturelles mais elles ne sont pas toujours d’ordre strictement racial, même si les plus incultes et les plus cyniques des adversaires de Bérenger puisent une large part de leur opposition dans le puits du racisme ordinaire et de l’ordre religieux. Mais là n’est pas mon propos.

Instruits  par ce qui vient de se répéter à Moka-Quartier-Militaire et ce qui s’est systématiquement passé à chaque joute électorale, sauf en de très rares occasions, les Mauriciens et leurs chefs politiques doivent reconnaître ces « réalités » auxquelles PravindJugnauth fait souvent référence à mots couverts. Quelles sont-elles ? Il veut dire que Paul Bérenger, un non-hindou, ne doit pas prétendre diriger ce pays à majorité hindoue. Navin Ramgoolam n’en pense pas moins. Tant que Bérenger paraîtra vouloir le faire, personnellement ou par procuration, il mobilisera contre lui un fort segment de la communauté dite majoritaire.

Outre les raisons psychologiques, cette opposition s’est construite au fil des ans sur le constat de l’incapacité démontrée de Bérenger à gérer la psyché et les susceptibilités des leaders politiques hindous quand ils ne sont pas ses vassaux. La rupture avec AneroodJugnauth en 1983 a été désastreuse. Depuis, ses nominations successives de remplaçants bricolés, ses déguisements d’hindou honoraire, ses recrutements réguliers de « bons profils » sociologiques, tout cela, au fait, lui aliène ceux-là mêmes qu’il espère séduire. Je ne crois pas que Bérenger veuille tromper son public, je pense même qu’au fond, c’est sa manière – naïve et ridicule, je le concède – de rendre hommage à une communauté qui n’est pas la sienne. Mais parce que cette démarche ne peut être dissociée de sa stratégie de conquête du pouvoir, elle est entachée. C’est le premierministrable qui fait peur aux hindous.

J’ai bien dit : c’est le candidat à la magistrature suprême qui leur cause des appréhensions. Mais ceux-là qui le vouent aux gémonies quand il affiche des prétentions premierministérielles, l’accueilleraient en héros s’il se mettait au service du chef politique hindou du moment. C’est ce que Bérenger doit faire maintenant : négocier une alliance avec le Parti travailliste de Navin Ramgoolam, un chef politique légitimé ; Bérenger ne devrait avoir aucune gêne à se trouver à ses côtés, il l’a déjà été. C’est une chance pour lui-même et son parti. Et c’est une aubaine pour Ramgoolam qui reviendra ainsi au pouvoir sans difficulté, avec une équipe renforcée et remaniée. Le Premier ministre en aura bigrement besoin par les temps effrayants qui s’annoncent au plan économique et social. Le pays aussi a bien besoin d’une période d’apaisement et de calme politique, d’un gouvernement fort et déterminé, largement représentatif, capable de prendre les décisions difficiles qui s’imposent.

C’est curieux, mais ce serait pour Bérenger le moyen de terminer sa carrière sur les idées qui ont été les siennes quand il s’est signalé pour la première fois à l’attention des Mauriciens. Bérenger a toujours été un partisan des gouvernements de coalition. Il y voit un moyen de s’assurer que toutes les composantes de la nation soient adéquatement représentées dans l’appareil d’Etat et soient ainsi tranquillisées. C’est ce qui l’avait incité à proposer, en 1967, à la veille des élections législatives menant à l’Indépendance, un gouvernement de coalition entre les principaux adversaires de l’époque, le Parti travailliste de sir Seewoosagur Ramgoolam et le PMSD de Gaëtan Duval. Il écrivait, le 5 août 1967, avant les élections : « Que l’idéal pour notre avenir à tous soit un gouvernement de coalition qui laisse peu de doutes. Nombre de penseurs politiques l’ont écrit : pour ce qu’ils ont appelé la ‘multiracial or plural society’ – société comportant différentes races, tribus ou communautés – l’idéal est et reste le gouvernement  de coalition. »

Dans cet article prophétique publié par « l’express », Bérenger cite généreusement le professeur Arthur Lewis, un économiste britannique né à La Barbade, qui avait beaucoup théorisé sur l’efficacité démocratique des gouvernements de coalition. Bérenger avait repris le propos de cet homme fait Prix Nobel d’économie, en 1979 : « L’idée que la démocratie est efficace seulement quand il y a deux partis, l’un au gouvernement et l’autre dans l’opposition, est un mythe anglo-saxon… La société plurielle remonte à la définition première de la démocratie, selon laquelle tous ceux qui sont affectés par une décision devraient avoir une chance de participer à la prise de cette décision. Il est évident que le système de coalition est ce qui convient aux sociétés plurielles. »

Dans le contexte mauricien de l’époque, aux lendemains d’une campagne électorale intense et « communaliste », Bérenger appelait de ses vœux de jeune patriote « un vrai gouvernement de coalition avec garanties et bonne foi et minimum de confiance ».

Il reste à Bérenger, vieilli sans avoir préparé sa relève, embourbé dans de stériles arrangements, de s’engager dans la voie constructive d’un nouveau service au pays. A moins que Ramgoolam, échaudé et traumatisé par sa précédente expérience avec le leader du MMM, jaloux de son pouvoir sans partage, ne  souhaite plus renouveler l’expérience. Dans lequel cas, l’on verra un nouveau soleil au firmament…

Coalition ou pas, reste une certitude : il n’y aura pas de « vide politique ». PravindJugnauth est là qui attend son heure. Il n’a pas de meilleur moyen d’y arriver qu’une bonne cure d’opposition.

Jean Claude de l''Estrac