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Questions pour un copain

7 février 2010, 05:44

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A force d’ingurgiter du poison à petite dose, on finit par devenir insensible à celui-ci. C’est selon la légende, ce qui serait arrivé au roi Mithridate dans l’antiquité. C’est ce qui arrive aussi au peuple mauricien. Sinon comment expliquer que le mauvais cinéma du Trésorier du Parti travailliste, Ah Fat Lan Hing Choy nous laisse à ce point indifférent ?

Copinage et népotisme sont autant de mots qui correspondent à l’épisode dont le Premier ministre lui-même est un acteur. L’attitude de Navin Ramgoolam face à la menace de démission du trésorier de son parti illustre même ce que beaucoup d’opposants à son parti appellent « la culture travailliste ». Cette propension à confondre volontairement les intérêts particuliers et l’intérêt public. C’est cette même culture qui amène des nominés politiques à se considérer comme les maîtres des institutions qu’ils dirigent. C’est toujours cette approche du pouvoir qui les conduit à demander « to kone ki sann la mo ete ? » à ceux qui ont l’outrecuidance de les traiter comme des citoyens ou des clients comme les autres.

Mettons donc l’épisode Ah-Fat en perspective. Admettons qu’un cadre de la « State Trading Corporation » (STC) est transféré à un poste dont il refuse d’assumer la responsabilité. Car celui-ci ne correspond pas à son profil académique ou professionnel. Que se passe-t-il ? Il y a d’abord une phase de négociation entre la direction et l’employé. Si les pourparlers échouent, les alternatives suivantes s’offrent à lui : accepter la mutation, démissionner ou demander à la justice de se prononcer sur la légalité du transfert.

Voici ce que les citoyens ordinaires ont comme possibilités. Et posons-nous donc d’autres questions. Est-ce qu’il viendrait à l’idée du père de ce cadre   admettons qu’il soit un haut fonctionnaire   d’appeler le directeur de la STC pour l’insulter en le traitant de « roder boute » ? Irait-il ensuite, jusqu’à menacer de démissionner s’il n’obtient pas gain de cause ? Et cette menace lui vaudrait-elle d’être reçu par le Premier ministre. La réponse à toutes ces questions est NON.

On doit donc conclure qu’Ah-Fat et sa fille n’ont pas agi comme des citoyens ordinaires. Ce constat appelle invariablement une autre interrogation : est-ce le statut de travailliste, de proche de Ramgoolam qui leur a ouvert le droit à ce traitement spécial ? Nous sommes bien obligés de conclure que la réponse est cette fois-ci OUI !

C’est bien dommage. Car l’un des principes fondamentaux de toute République est l’égalité de ses citoyens devant la loi. Et souvent les lois de la République répriment les entorses à cette égalité. Ainsi, l’article 9 de notre « Prevention of Corruption Act » de 2002 interdit à toute personne « d’exercer toute forme de violence ou de pression à travers des menaces sur un ‘public official’ afin de l’amener à faire ou à ne pas faire un acte dans l’exercice de ses fonctions ». Cette même loi définit un « public official » comme un employé ou membre ou directeur d’une « statutory corporation » ou une « government company ».

Il ne fait aucun doute que si le père du cadre anonyme de la STC avait appelé le directeur de la corporation pour l’insulter et le traiter de « roder boute » tout en exigeant un meilleur traitement pour son fils, il serait illico convoqué, lui chez…les policiers. A la suite de la plainte plus que probable du directeur de la STC. Ce scénario se passe dans le monde des citoyens ordinaires. Dans l’autre scénario, celui qui se déroule dans le monde des copains et des protégés politiques, de telles incartades restent impunies. A voir l’attitude de Ramgoolam à l’égard d’Ah-Fat, on est même tenté de croire que les auteurs de ce type de coups d’éclat sont récompensés. Drôle de monde que celui des petits copains.

Rabin BHUJUN