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Semi-progressiste ?

14 avril 2013, 11:51

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Semi-progressiste ?

Qualifiez Navin Ramgoolam de « grand démocrate » et de « progressiste ». Vous aurez une forte chance que ce compliment lui aille droit au coeur.

 

Le Mauricien lambda ne s’en rend pas encore compte, mais Geoffrey Robertson vient probablement de donner l’opportunité au Premier ministre d’être qualifié de démocrate et de progressiste par toute une nation. Tant le rapport soumis hier (voir page 8) par le juriste australo-britannique promet de révolutionner les lois régissant les médias de notre république. Si…

 

Dans son document Media Law and Ethics in Mauritius, qui se veut le brouillon d’un futur Media Commission Bill, Robertson effectue un diagnostic assez pointu. Le juriste répertorie sans complaisance les forces, il y en a, mais également les faiblesses – elles existent sans conteste – de la presse locale. Ses préconisations sont éclairées. Car sa critique est mesurée et juste.

 

En ce moment même, par exemple, la presse cède à l’irrationalité en accordant de l’intérêt au « touni minwi ». Tandis qu’un autre « confrère », incite, lui, chaque semaine à la haine raciale. De même, dans un passé pas très lointain, un titre a cédé au sensationnalisme de caniveau en publiant la photo du cadavre de l’Irlandaise Michaela Harte. Pendant ce temps, la presse « mainstream » peut elle, être accusée, à raison, de faire preuve de légèreté par moments. Notamment, en omettant parfois l’étape cruciale de la contre-vérification d’une information. Cela a pu arriver à l’express dimanche…

 

Robertson, connu pour être un défenseur des libertés fondamentales, ne suggère pas toutefois la mise en place d’un arsenal répressif pour lutter contre les turpitudes de la presse locale. Qu’il considère – Nandanee Soornack appréciera – « happily free of the disgraceful behaviour of the British tabloid press which led to the Leveson Inquiry »… Le juriste propose donc d’empêcher les dérives ou de les sanctionner, le cas échéant, à travers un cadre déontologique, juridique et institutionnel adapté aux pratiques journalistiques et démocratiques actuelles.

 

Sur papier, les propositions de Robertson sont diamétralement opposées à la posture du pouvoir envers la presse. Ramgoolam insulte les journalistes et menace la presse d’un durcissement des lois. Robertson propose d’aligner Maurice sur la pratique des grandes démocraties en dépénalisant le droit de la presse. Tout en plaçant un fort accent sur la déontologie et la formation pour prévenir ou corriger ses dérives. 

 

A priori, ce divorce philosophique devrait nous amener à déclarer l’essentiel des propositions de Robertson probablement voué à l’échec face à un Premier ministre qui considère la presse comme son meilleur ennemi. Mais au-delà du jeu politicien, se pourrait-il que Ramgoolam souhaite en son for intérieur moderniser le droit de la presse ?

 

A son crédit, on peut penser que le Premier ministre fait parfois des crises de « progressisme ». Depuis plus de cinq ans, il s’est ainsi prononcé de manière régulière sur la nécessité de toiletter notre Constitution afin, notamment, d’y enlever toute classification ethnique des citoyens. De même, Ramgoolam passera à la postérité comme le Premier ministre qui – malgré les réticences dans ses propres rangs – aura fait voter, en juin dernier, une loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse dans certains cas. C’est dire que Ramgoolam sait par moments défendre ses convictions envers et contre tous.

 

Mais que fera-t-il au sujet du Rapport Robertson ? Ramgoolam nourrit, en effet, une rancune tenace envers certains titres de presse et leurs responsables. Un sentiment que partage un grand nombre de proches du Premier ministre – ce qui contribue à attiser la hargne de ce dernier. L’homme craint également la capacité de la presse de creuser et de révéler ce qui doit rester caché. Cela explique pourquoi une Freedom of Information Act ne figure pas parmi les priorités du discours programme 2012-2015. Mais aussi pourquoi – de l’aveu de Robertson – l’une des contributions les plus directes de Ramgoolam à son rapport a été effectuée à travers l’humour. Quand le Premier ministre a souligné le coût politique élevé que son homologue britannique Tony Blair a payé à l’issue du vote d’une Freedom of Information Act. Ramgoolam l’a redit hier encore.

 

Si Robertson a brillamment effectué la première partie de sa mission, le Premier ministre doit encore définir la sienne. Se laissera-t-il mouvoir par sa rancoeur et sa peur des dégâts politiques auxquels une liberté de la presse accrue peut conduire. Et ainsi réagir par une reculade ? D’aucuns le qualifieront alors d’inconstant, d’hypocrite ou de versatile. Nous ne choisirons aucun de ces adjectifs dégradants. Si Ramgoolam renie Robertson, nous nous contenterons alors d’un qualificatif plus descriptif : semi-progressiste.