Publicité

Sexe, presse et (d)égouts

17 juillet 2011, 09:24

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

 
 
Nous connaissions la presse de caniveau. Désormais, nous découvrons qu’il y a pire, celle des égouts. C’est l’expression adoptée depuis ces derniers jours dans la presse anglo- saxonne pour qualifi er les dérapages intolérables dont News of the World s’est rendu coupable ces dernières années. Le défunt titre phare du milliardaire Rupert Murdoch a – au nom d’une certaine conception du journalisme – choisi de payer des personnes pour violer l’intimité de familles endeuillées ou de personnalités. Dans l’unique but de vendre plus de papier en satisfaisant la curiosité malsaine et le goût immodéré du lecteur lambda pour le pathétique.

Cette tempête médiatico- politique, qui se déroule à près de 10 000 kilomètres de nos côtes, n’est pas que l’affaire des autres. Elle nous concerne également.

A contrario, le scandale News of the World aide à souligner le fait que malgré ses travers – oui, ils existent –, la presse locale est à des années- lumière de ce que pratiquent les tabloïds britanniques. Certains de nos politiques dénoncent régulièrement son manque de responsabilité. Pourtant, cette presse- là ne s’est pas permise jusqu’ici de décrire à profusion le goût immodéré de celui- là pour les femmes. Ni de raconter les problèmes d’alcoolisme de l’autre. Ou de relater les câlins publics d’un ministre à sa maîtresse en classe affaires d’un vol d’ Air Mauritius . Si la presse locale se refuse à violer cette intimité- là, c’est parce que l’ensemble des titres s’entend sur le fait que l’intérêt public ne nécessite pas qu’on livre en pâture la vie privée des hommes politiques. Si dans le passé, par exemple, leurs choix et comportements privés ont pu intéresser la presse, c’est d’abord à cause de l’incohérence de leur comportement. Si un Premier ministre s’offre un bolide de Rs 14 millions au moment même où son gouvernement prône une politique de rigueur et d’austérité, il commet une faute de communication et brouille son propre discours. En relayant l’information au sujet de cet achat, la presse permet au citoyen de se faire sa propre opinion sur la détermination des décideurs politiques à pratiquer eux- mêmes ce qu’ils prônent chez les autres… De manière plus directe, toutefois, le scandale News of the World nous amène à nous poser des questions par rapport au respect que la presse locale accorde, non pas à l’intimité des puissants, mais plutôt à celle des faibles.

Le fait divers en soi ne fait pas vendre. Jusqu’ici, aucune étude n’a démontré que les lecteurs achètent en priorité un journal local pour y lire ce type d’article. Toutefois, le fait divers devient un ingrédient incontournable des couvertures de journaux. Les titres des textes indiquent d’ailleurs la tendance. Ils deviennent de plus en plus racoleurs.

Depuis quelques années déjà, chaque crime sexuel est décortiqué dans la presse. Il ne s’agit pas de dire qu’une femme ou un enfant a été violé. Il est devenu impératif – pour obéir aux canons de ce style d’écriture – de décrire dans les détails les plus scabreux, comment le crime a été commis, le temps que l’assaillant y a mis et chaque mot qu’il a pu prononcer. En bonus… la déchéance de la victime racontée sans la moindre retenue. On constate même une extension du domaine du voyeurisme. Des détails de procédures de divorce fi nissent par occuper régulièrement des pages entières de nos journaux. Surtout quand des épouses exaspérées dénoncent des pratiques sexuelles particulièrement abusives dans leur « divorce petition » . La presse éclaire- t- elle vraiment ses lecteurs en s’étalant sur ce type « d’actualité » ? Sert- elle vraiment l’intérêt public en faisant cela ? Diffi cile de répondre par l’affi rmative. Ce qu’il est facile de dire, par contre, c’est que cette manière de pratiquer le journalisme contient en elle les germes de la surenchère.

Aujourd’hui, dans sa quête d’assouvir l’appétit de voyeurisme de certains, le journaliste ne fait qu’interroger les victimes et transcrire fi dèlement ce que lui confi ent les enquêteurs de la police. Demain, il s’agira impérativement d’en dire davantage que le concurrent. Ayant parlé aux mêmes enquêteurs et aux mêmes victimes, on se tournera alors vers d’autres « solutions » pour battre la concurrence.

Ceux qui ont une vraie déontologie sauront vraisemblablement s’arrêter avant que certaines limites ne soient franchies.

Les autres… iront rejoindre le fan- club de News of the World .