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Sommes-nous des esclaves de l’argent ?
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Sommes-nous des esclaves de l’argent ?
Sommes-nous des esclaves de l’argent ?
Lors de l’une des célébrations marquant la fête de Divali, le président de la République
regrette le fait que trop de Mauriciens soient devenus des esclaves de l’argent.
Qu’en est-il au fait ? Notre rapport à l’argent nous aurait-il déviés de l’essentiel ?
LA société a évolué. Et le système des valeurs et des références parallèlement. «Aujourd’hui, nous
vivons dans une société matérialiste. Les gens ne peuvent plus vivre sans le portable ou la voiture de dernière mode», explique, en ce sens, l’anthropologue Sophie Le Chartier. «Le président de la République a raison de dire que nous sommes devenus des esclaves de l’argent dans le sens où il
y a très peu de gens qui vivent selon leurs moyens», enchaîne Vina Balgobin, chargée de cours à l’université de Maurice.
Le phénomène se vérifi e au niveau des jeunes notamment. Ils n’auront pas les moyens pour
s’acheter, cite en ce sens Vina Balgobin, des livres. Mais, ils ont les ressources pour s’acheter des chaussures et des vêtements à la mode. «Le campus universitaire est devenu une sorte de fashion show aujourd’hui», se lamente la chargée de cours.
Les jeunes, pour cette dernière, sont dans une course du paraître. Elle nous confi e que, dans ses cours de soutien, des jeunes lui demandent pourquoi faire autant d’effort sur le plan académique pour un salaire de Rs 10 000 alors qu’ils peuvent se faire la même somme en quelque s jours
par des voies illégales. Les mentalités ont bien changé. «En milieux universitaires, certains qui sortent avec un diplôme ne savent pas lire et écrire comme il le faut. Pourtant, ils aspirent à des
salaires élevés», précise Vina Balgobin.
Tous ces réflexes résultent à des frustrations, à une sensation de manques. D’où le besoin de développer des mécanismes de compensation. Cela traduit, selon Sophie Le Chartier, un mal-être intérieur. «On veut toujours s’affi cher et prouver un statut social», affirme-t-elle. Nous sommes dans une société qui ne pense pas au lendemain. Tout se joue dans l’instant. «Il s’agit des’amuser aujourd’hui. Lorsque les problèmes surgiront demain, alors on verra», soutient notre interlocutrice.
Dans les faits, la société, ellemême, nous pousse à ce genre de comportement. Tout incite à consommer, à acheter et à être à la page. On a perdu le sens des valeurs universelles comme celui
de ne pas vivre au-dessus de ses moyens. «Certains ont un peu perverti les valeurs pour pouvoir
naviguer et promouvoir la société de consommation», fait ressortir Vina Balgobin. Pour elle, on n’a pas enseigné aux jeunes à développer un rapport sain à l’argent. Elle cite les publicités sur Facebook et sur d’autres supports où les gens sont amenés à dériver vers une société de consommation. Quelque part, les citoyens ne voient pas d’autres alternatives. «On nous dit que
nous sommes une société rattachée à des valeurs parce que nous prions beaucoup. Mais, force est de constater qu’il y a une forme d’hypocrisie derrière», insiste la chargée de cours à l’université de Maurice.
Il importe de saisir que ces nouveaux réflexes prennent naissance à partir des années 1990. On entre à partir de cette époque dans la société de consommation. «Les adultes de cette époque doivent se poser des questions. Vingt ans après, ce sont leurs enfants qui reproduisent les mêmes
réflexes», analyse-t-elle. «Nous sommes devenus des moneymakers et des money-spenders»,
enchaîne, dans le même souffle, Sophie Le Chartier. Elle précise, cependant, qu’il est très facile de critiquer ceux qui vivent au-dessus de leurs moyens. Du moment qu’on impose un modèle de vie, comment s’attendre à ce que les gens ne tendent pas tous leurs efforts pour être à la hauteur de ce modèle ? «Et lorsqu’il y a des personnes qui essaient de vivre en dehors de ce système, on
les considère comme des marginaux, comme des parias. En fi n de compte, on veut que les gens deviennent des esclaves de la consommation. Tous les jours, il y a des messages de tous les
côtés qui les poussent à faire des emprunts », rappelle l’anthropologue.
Il y a aussi une facilité à éviter. «Je ne souscris pas au fait que les gens soient devenus des esclaves de l’argent. C’est les ridiculiser par rapport à leur pauvreté. Il ne faut pas oublier qu’ils se battent pour joindre les deux bouts», souligne, pour sa part, le sociologue Ibrahim Koodoruth. Ces gens n’essaient, selon lui, que de répondre à des attentes et à un modèle de vie. Il y a une qualité de vie qui a été imposée et on déploie les moyens pour répondre à ces besoins.
«Il ne faut pas non plus oublier que nous sommes, aujourd’hui, dans une société où tout se paie. L’argent n’est pas une finalité mais un moyen pour avoir accès à tout ce dont on a besoin», fait
ressortir le sociologue. De même, il estime qu’il faut se mettre dans la peau des gens. Chacun essaie de vivre ses rêves. Les valeurs ne sont plus les mêmes. Le mode de vie non plus. Opposer les valeurs ancestrales à ce désir de vivre d’une certaine manière est manichéen. En fin de compte, on a toujours été esclaves de quelque chose.
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