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S’organiser contre la violence organisée
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S’organiser contre la violence organisée
On a déjà eu un meurtre, quelques viols et de frequents vols dans les chambres d’hôtels, mais c’est bien la première fois qu’un groupe de Mauriciens armés de gourdins saccagent, avec une telle colère inouïe, les locaux d’un hôtel de luxe et agressent un responsable de l’établissement sous les yeux médusés des touristes. Ceux-ci, traumatisés, ont découvert avec frayeur et stupeur le revers de la carte postale qu’on leur a vendue sur Internet. Des caméras de surveillance ont tout fi lmé. Cette violence a de quoi choquer, mais les autorités tergiversent pour mener leur action jusqu’au bout, car la politique s’y est mêlée entre-temps…
Ne nous voilons pas la face. Les sérieux incidents autour de l’île-aux-Cerfs et sur les routes de l’Est, la semaine dernière, sont graves. Suffisamment pour que trois ministres et plusieurs députés aillent jouer aux pacificateurs entre un groupe d’habitants de Trou-d’Eau-Douce, et le joyau de «Sun Resorts» de la région, Le Touessrok, et les autorités de l’État. Les négociations, qui ont eu lieu jusqu’à fort tard dans la nuit au plus fort des tensions, sont difficiles, car les intérêts des acteurs et des opérateurs divergent trop. D’autres gouvernements ont essayé auparavant de mettre de l’ordre dans ce dossier, mais en vain.
Cette fois-ci, l’affaire sera portée au Parlement par le même MMM qui avait tenté de déloger ces opérateurs de grillade quand il avait le ministère de l’Environnement. Hier ce parti voulait appliquer la loi comme un défenseur de l’environnement et avait la benediction du Touessrok. Aujourd’hui, il se pose en défenseur de certains opérateurs de grillade et prend une posture davantage populiste qu’écologiste.
S’il est possible que les relations souvent tendues entre villageois et établissements hôteliers ont tendance à se corser davantage quand les arrivées touristiques baissent, il importe de comprendre que les autorités sont souvent prises entre plusieurs feux dans ce genre de conflit qui comporte plus d’une vérité. Dans le cas qui nous concerne, eu égard aux incidents relatifs à l’île aux- Cerfs, si les «bouncers» ont été arrêtés le même jour après une folle course-poursuite, en revanche, les habitants qui ont réagi à la violence par la violence n’ont pas été inquiétés. Car sinon la situation allait s’envenimer, nous dit-on le plus tranquillement du monde… Et puis les «bouncers» ont le dos suffisamment large pour tout encaisser. Ils ne sont que les maillons d’une longue chaîne, et ils sont justement payés pour «pran charge». Les villageois accusent l’hôtel d’avoir payé les gros bras «pou mett l’ordre». L’hôtel dément. Et les politiques sont alertés pour trouver un compromis. Hier c’était dans le Nord, puis dans l’Ouest, aujourd’hui c’est dans l’Est. C’est normal tout cela, m’explique un haut gradé de la police, habitué aux interventions intempestives des politiciens dans la résolution de conflits criminels. Il faut aussi étudier de manière profonde les relations dynamiques que peut générer la coexistence d’un hôtel et d’un village et leurs impacts multiples et variés sur un peuple.
Mais pour qui roulent-ils ces «bouncers» ? Après le gang de «Lapin» qui a récemment fait la une de nos journaux, l’arrestation de ces sept «bouncers», armés jusqu’aux dents, à Melrose, est révélatrice de la violence inouïe qui s’installe durablement dans nos moeurs, au grand dam des autorités. Ces gros bras, qui fonctionnent comme des tueurs à gages, et qui feront n’importe quoi pour Rs 5 000 à monter, sont des pions de plus en plus importants pour tous les milieux affairistes. Face à une police démobilisée, les «bouncers», dont le nombre grandit à mesure que le taux de chômage augmente, amplifent en grande partie le climat d’insécurité, puisqu’ils profi tent du business qui en découle. Les «bouncers» sont partout, ils sont vigiles le jour et la nuit, à la ville comme à la campagne, ils sont agents des politiciens de tous bords, des directeurs de corps parapublics et du privé, et ils s’érigent en contacts indispensables pour obtenir des permis d’opération en tous genres, ils s’affichent aux côtés des puissants pour arracher des contrats et des faveurs tous azimuts. Certains «bouncers» font du social et vont distribuer des vivres aux pauvres, quand ils ne distribuent pas les coups…
Que faire alors contre la violence organisée qui gagne du terrain et qui a tendance à se normaliser ? D’abord il convient de reconnaître que cette violence de gangs génère des défis complexes que les institutions de l’État à elles seules ne peuvent ni surveiller, ni affronter. C’est pour cette raison que les acteurs des secteurs public/ privé et de la société civile doivent collaborer à la mise en oeuvre d’une démarche multidimensionnelle pour contrecarrer cette violence qui ne pourra que tuer notre vivre ensemble et notre modèle de paix et d’interculturalité.
À l’instar de la violence et la pauvreté, les autres macro-problématiques, comme la corruption (qui vient ces jours-ci entacher les officines de notre Cour suprême, longtemps considérée comme le dernier rampart du pays contre les dérives), et la mauvaise gouvernance, sont peu susceptibles d’être rectifiées rapidement. Il faut travailler au-delà des échéances de cinq ans.
Le désenchantement face aux dirigeants politiques et autres institutions de l’Etat s’exprime, qu’on le veuille ou pas, par la violence : des attentes sociales inassouvies et des promesses politiciennes en l’air constituent les facteurs essentiels de cette violence organisée qui nous éclate aujourd’hui en plein visage.
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