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Sucre : Mieux vaut tard…
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Sucre : Mieux vaut tard…
Alors qu’à Bruxelles les experts du dossier sucre manifestaient leur désarroi depuis juin 2013, à Port-Louis, on avait choisi de minimiser l’affaire en pratiquant une politique de l’autruche...
Ainsi donc, le Syndicat des sucres et les politiciens mauriciens affichent désormais leur inquiétude face à l’échéance 2017 quand l’Union européenne mettra fin aux quotas sucre et isoglucose. Pourtant, dès juin 2013, réagissant de Bruxelles, Geo Govinden, représentant à l’étranger du Syndicat des sucres, alertait l’express de la gravité de la mesure prise par trois institutions européennes (la Commission, le conseil des ministres et le Parlement). Geo Govinden, avec ses pairs du bloc ACP, qui oeuvrait depuis des décennies pour retarder jusqu’en 2020 l’abolition des quotas, était manifestement déçu d’avoir perdu cette bataille diplomatique. Mais à Port-Louis, on ne sentait pas encore le danger, ou plutôt on ne voulait pas le réaliser.
Donnant la réplique portlouisienne à l’alerte de Bruxelles, Jean-Noël Humbert, CEO du Syndicat des sucres, en juin 2013 toujours, affirmait publiquement, le plus sereinement du monde, que «l’abolition des quotas ne nous inquiète pas outre mesure». En privé, certains nous accusaient même de faire preuve de «précipitation», voire de «sensationnalisme » en faisant une mauvaise lecture de la situation européenne.
Ces affirmations conservatrices nous semblaient alors déroutantes, surtout eu égard aux nombreux efforts déployés depuis de nombreuses années pour combattre l’abolition des quotas. On nous expliquait qu’il fallait placer la posture du Syndicat des sucres dans le contexte local : «Il ne faut pas décourager des investissements, et ce, surtout dans un contexte où la relation entre secteur public et secteur privé, plus précisément entre la Plantation House et l’hôtel du gouvernement, reste souvent en dents de scie, avec davantage de pics de passion que de pointes de raison».
AUTOSUFFISANCE
Mais la realpolitik et les relations internationales sont sans passion – qu’on le veuille ou non. Il n’y a que des intérêts qui priment. Le fait demeure que l’Europe a d’énormes problèmes économiques à régler sur le plan intérieur et le vieux continent souhaite atteindre l’autosuffisance en sucre, pour calmer les betteraviers, entre autres. Quant à nous, les interrogations sont importantes et on les répète. Si l’Europe entend maximiser tout son potentiel de production pour satisfaire sa consommation, voire pour exporter, quelle place alors reviendrait à Maurice et aux ACP malgré leurs raffineries ? Est-ce que le fait de produire du sucre blanc et des sucres spéciaux nous protège vraiment contre des concurrents comme le Brésil ? Comment encourager nos petits planteurs de canne quand le prix du sucre va forcément chuter (car ils disparaissent déjà malgré les quelques privilèges que nous avons actuellement) ? Comment prétendre que le prix du sucre ne va pas baisser alors que Coca-Cola et Nestlé, parmi les gros utilisateurs industriels, cachent difficilement leur joie devant la perspective d’avoir leur matière première à bien moins cher ?
Depuis les années 60, l’express écrit que la seule vente de notre sucre (hier connu comme King Sugar) ne suffira pas pour garantir une croissance susceptible d’améliorer le niveau de vie du Mauricien. Notre journal a toujours poussé vers une diversification soutenable, car le coût de la production du sucre à Maurice a pratiquement toujours été supérieur au cours mondial. Le changement s’est finalement opéré notamment après la baisse du prix européen «garanti» : les terres ont été réaménagées à d’autres fins, les usines ont été centralisées pour plus d’efficience, le sucre roux est devenu blanc.
Mais hier nous avions encore des liens privilégiés avec l’Europe qui avait un devoir d’accompagnement. Aujourd’hui, l’Europe est elle-même en péril et il ne faut plus compter sur elle. Il nous faut regarder ailleurs et trouver d’autres partenaires. Le monde a changé. Le centre de gravité n’est plus occidental. Certains discours mauriciens demeurent trop rassurants eu égard aux réalités mondiales.
Par exemple, pourquoi n’arrive-t-on pas à débloquer politiquement la situation de l’éthanol à Maurice alors même que le Brésil salue l’avance technologique que nous avons prise dans ce domaine ?
Hors sucre, nous avons aussi d’autres challenges qui sont en fait des opportunités pour réinventer notre place dans ce monde en changement perpétuel. Le démantèlement de l’accord multifibre nous a obligés à revoir notre secteur textile-habillement en montant en gamme. Il en sera de même pour notre secteur financier offshore, avec les changements que compte apporter l’Inde à ses traités bilatéraux, en amont de la nouvelle version des General Anti-Avoidance Rules reportée à avril 2016. Les sursis ne font que prolonger notre sort. Et pour l’améliorer, on ne devrait compter que sur nous-mêmes, sur notre inventivité, notre débrouillardise et notre capacité à rebondir…
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