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Un choix éclairé

19 avril 2009, 10:00

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Le débat sur la légalisation de l’avortement a-t-il véritablement commencé ? Nous avons surtout eu droit à deux intégrismes se heurtant sans se rencontrer. Ici, c’est un « Non » sans condition, au nom de la Moralité ; là, un « Oui » tout aussi totalitaire, au nom de la Liberté. Chacun veut ériger en loi sa croyance.

Ces postures radicales donnent l’apparence de la simplicité à une question fort complexe. On est pour l’un ou pour l’autre. En vérité, on peut être résolument du côté de la Vie mais refuser de donner naissance. On peut avoir, pour valeur fondamentale, le respect de la dignité de l’homme mais accepter que l’avortement soit autorisé.

Ces brèches qu’il est nécessaire d’ouvrir pour que progresse le débat, Mgr Maurice Piat en a creusé une cette semaine. L’Eglise veut offrir une alternative. On n’attend pas d’elle qu’elle aille à l’encontre de ses messages fondateurs, mais qu’elle s’ouvre aux problèmes suscités par les réalités de la société. C’est une ouverture, petite certes. Une autre posture est possible dans le camp du milieu.

Je suis sûre qu’un grand nombre prendrait le parti des « Oui à la légalisation, mais à condition… ». C’est le mien. A Moralité, à Liberté, opposons Dignité. Celle de l’embryon. Une dignité qui se définirait par le projet dont l’embryon serait porteur.

Rien ne prouve, à ce stade de nos connaissances, que l’embryon soit une Personne. Aucun texte, aucun dogme ne lui a encore reconnu ce statut. Il est indéfinissable. A-t-il une âme ? Personne ne le sait. L’Eglise catholique demande de le considérer « comme » une personne humaine. C’est une « potentialité » de personne.

Lui devons-nous alors un respect inconditionnel ? A la personne « qu’il est appelé à devenir », oui, mais pas à ce seul œuf, pas à cet amas de cellules. Pour qu’il devienne homme, pour qu’il soit une personne, il faut qu’il soit l’objet de désir, il faut qu’il soit porteur d’un projet parental. Il faut qu’un couple dise « je le veux ». C’est lorsqu’il est espéré par le couple, lorsqu’il est « habité » par le désir d’une maman, lorsque sa venue est souhaitée, c’est là qu’il est sacré. La maternité prend son sens lorsqu’elle est un état désiré, non subi. Si ce n’est pas le cas…

Ce point de vue est inspiré par le professeur René Frydman. A l’origine du premier bébé éprouvette français, ce gynécologue a beaucoup bataillé pour faire admettre la conception médicalement assistée. Il écrit : « Le fondement de la personne est dual, à la fois biologique (seul un être humain peut devenir une personne) et relationnel (il faut acceptation de l’autre pour qu’il y ait vie). La vie procède autant de l’esprit (des parents) que de la matière (la potentialité biologique). »

La vie, dit Mgr Piat, commence à la conception. A dire vrai, elle ne s’arrête jamais, elle est dans toutes nos cellules, en tout, partout. Mais l’humanité de l’homme, elle, n’est pas dans la matière organique mais dans l’appel d’un désir qui est adressé par les êtres humains à l’embryon, qui évoluera alors lui-même en humain. D’ailleurs, l’Evangile ne définit-il pas l’homme dans sa relation d’amour aux autres ?

Parce que s’entremêlent science, justice et religion, la question est complexe. On comprend sans mal que les tentatives politiques de légiférer n’aient pas abouti. Et nous renouvellerons les échecs si nous nous contentons d’aligner les points de vue sans créer une plate-forme commune en vue d’un projet national. Cette plate-forme pourrait prendre la forme d’un Comité consultatif d’éthique sur lequel siègeraient des personnalités de confession et d’univers différents : juristes, sociologues, médecins, religieux, « Ombudsperson »…

Ce comité agirait de conseil au législateur. Il pourrait, par exemple, recommander des procédures à être appliquées par tout médecin. Dans l’esprit de ce que propose Mgr Piat, que le praticien consulté dirige vers un service d’accompagnement la jeune fille ou la femme en détresse. Ce service aurait pour mission d’établir le motif de détresse, d’analyser les motivations de celle-ci, de lui proposer des alternatives, de l’aider à assumer le regard de l’autre ou d’organiser sa vie. Une approche au cas par cas. Ce comité pourrait aussi recommander un seuil légal pour l’avortement, un seuil « psychologique » à partir duquel le droit d’existence de l’embryon sera reconnu ; il est souvent de 12 semaines. Ce comité pourra encore influencer la formulation de la loi. Que celle-ci proclame le droit de l’embryon à la vie mais autorise une dérogation au principe de respect de la vie pour motif de détresse. Qu’elle ne reconnaisse pas à la femme le droit de disposer de son corps comme elle l’entend.

Que nous réserve la réunion annoncée par le ministre de la Femme pour le 29 avril ? Il serait souhaitable qu’elle jette les bases d’une telle plate-forme afin qu’on arrive à un choix éclairé. En attendant, je ne peux pas résister à un coup de griffe. Est-ce très « moral » de se focaliser sur l’embryon et d’en oublier l’homme ? Combien de ces partisans de la Moralité et du caractère sacré de l’Humain se sont rendus auprès d’enfants qui pleurent leur maman ? A prendre trop à cœur le sort de nos embryons, on s’empêche de penser à la détresse des vivants.

Ariane Cavalot-De L''Estrac