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Une nation de «triangueurs»
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Une nation de «triangueurs»
Quand l’un des hommes les plus riches de Maurice est mêlé à une fraude fiscale pour importer une voiture de luxe, ce n’est pas une affaire banale. Elle est révélatrice d’un mal profond qui ronge plusieurs couches de notre société, apparemment indistinctement des hautes sphères du privé jusqu’aux petits fonctionnaires qui peinent à joindre les deux bouts. Et ce n’est pas le congé temporaire de M. Lagesse qui y changera quoi que ce soit dans le fond.
Expérience vécue. Au début de cette année, quand je suis revenu au pays, après quelques années à l’étranger, on m’a parlé du «Returning Resident Scheme» et on m’a conseillé d’utiliser ce privilège : «L’État pe donn ou sa, kifer ou pa profite?» Curieux, je suis effectivement allé aux renseignements à la «Mauritius Revenue Authority » et là-bas, un gentil préposé, après m’avoir expliqué les procédures, n’a pu s’empêcher de commenter : «Ou bizin pran enn bel masinn, lerla ou ganyn, si ou pran enn ti silindre, se enn gaspiyaz.» Ce fonctionnaire, pétri de bonne volonté pour plaire à un compatriote qui rentrait au bercail, s’est sans doute basé sur la tendance des «profi teurs» du «Returning Resident Scheme»… Pour moi, ce n’était pas une priorité et j’ai vite oublié le «Scheme» jusqu’à ce qu’il occupe la Une des journaux…
Ce qui nous amène à la réflexion suivante : s’il s’avère que Thierry Lagesse, qui confie utiliser la «Benz SLS 63» comme un jouet pour passer le temps, est bel et bien trempé dans une combine pour priver l’État de revenus substantiels, alors que ne ferait un moniteur d’auto-école marron qui «triangue» dans sa voiture «Recond» pour que son client obtienne ne serait-ce qu’un «Learner» ?
Les revenus officiels des Mauriciens, selon des chiffres disponibles au CSO, ne permettent mathématiquement pas à un nombre impressionnant de Mauriciens de vivre décemment (cette notion de «vivre décemment» est somme toute relative). Clairement, il y a une rupture dans la réalité des chiffres entre les 35 000 individus qui touchent moins de Rs 3 500 par mois et les quelque Rs 8 500 dont une famille de quatre a besoin pour se nourrir. Faut-il dès lors «trianguer» pour survivre ?
Faisant une lecture biaisée des statistiques (avec pour mantra le fameux slogan «lies, damned lies and statistics» utilisé pour soutenir des arguments qui souvent ne tiennent pas la route), quelques capitaines d’industrie du privé pensent que l’extrême pauvreté n’existe pas vraiment à Maurice car les gens ne crèvent pas de faim sur le trottoir. C’est une vision coupée du réel. Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas des images comme celles de Madagascar ou de la Somalie qu’on se porte nécessairement bien à Maurice.
Contrairement à Tim Taylor, «Chairman» du groupe CIM (qui nous a accordé une interview dans «l’express» Économie du 7 août), je pense qu’il importe d’attacher de plus en plus d’importance à l’indice de Gini, qui mesure l’écart des salaires entre ceux qui touchent plus de Rs 70 000 et la centaine de milliers de nos compatriotes qui touchent un salaire de moins de Rs 6 000. Il y va du «feel good factor» du pays et de la survie de notre tourisme, mais aussi de la situation de «law and order» qui marche de pair avec le développement intégral – et intégré.
À ce titre, le «Corporate Social Responsibility», ce fameux CSR, est sur papier une bonne initiative pour faire reculer la pauvreté – et cela peut aussi donner bonne conscience à plus d’un. Mais il a aussi donné naissance à un business : toutes sortes d’ONG ont fait leur apparition ces dernières années et, parmi elles, beaucoup ne sont que des «triangueurs», des malins qui veulent profiter des sous des autres…
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