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Vrais problèmes, mauvaises solutions

31 janvier 2010, 05:07

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Ecœurant. C’est le seul qualificatif qui nous vient pour décrire la tournure que prend la question de l’introduction du créole à l’école. D’ailleurs, il faut dès ici prendre une précaution de langage. Notre langue nationale, dans sa version desethnicisée, s’appelle le morisien. Cette précision faite, revenons au débat sur le morisien à l’école…

Depuis juin dernier, la Fédération des créoles mauriciens (FCM) a porté un coup dur au débat. En décrétant que l’introduction du morisien à l’école se justifie par le fait que c’est « la langue ancestrale des créoles,» la FCM a commis une grave erreur. Par son  positionnement, cette organisation a minimisé le caractère national de notre langue pour faire d’elle l’affaire d’une communauté d’abord. Ils en payent le prix aujourd’hui. Nos enfants le paieront demain…

Vendredi, les représentants d’une quinzaine d’organisations socioculturelles se sont ainsi prononcés sur la question. Pour eux, la vérité est expéditive.
Des dirigeants de la « Voice of Hindu », la « Mauritius Sanatan Dharma
Temples Federation » ou de l’Arya Sabha se sont relayés pour dire non au
morisien à l’école.

Ce non monolithique démontre deux choses. D’abord, que ces associations semblent  vouloir ignorer les vertus pédagogiques de l’utilisation de la langue maternelle dans les processus d’apprentissage. De nombreuses études, de l’UNESCO notamment, le démontrent. Ensuite, la posture de ces associations indiquent qu’ils n’ont rien compris à la complexité du débat. Et à la palette de possibilités qui s’y rattache. Notamment  l’utilisation du morisien comme langue de support pour l’enseignement oral en classe.
Ensuite, l’introduction du morisien comme médium d’enseignement. Ce qui impliquerait, par exemple, l’élaboration de manuels d’histoire et de géographie ou de trigonométrie rédigés en morisien. Enfin, troisième possibilité, l’apprentissage du morisien comme langue à part entière. Comme c’est le cas aux Seychelles, par exemple.

Mais tout indique que nous n’aurons pas le loisir de débattre de ces questions. Si Vasant Bunwaree a jusqu’ici été assez avare en propositions sur l’utilisation du morisien dans le cadre de sa réforme de l’éducation, les positionnements rétrogrades de la FCM et des Krit Manohur et Somduth Dulthumun risquent de le convaincre de se réfugier dans le  mutisme le plus complet. Le contexte politique est particulier. Aucun gouvernement, même le plus courageux, ne prendrait le risque de laisser perdurer un débat qui a glissé sur le terrain ethnique au moment même où le pays s’apprête à aller aux urnes. Les possibilités de dérapages sont trop nombreuses.

Qui sont donc les gagnants ? Qui sont les perdants dans toute cette affaire ? Les grands gagnants sont tous ceux qui pensent que chaque débat national peut être abordé par le prisme ethnique. Dans la polémique autour de l’utilisation du morisien à l’école, ce sont les réflexes ataviques de certains d’entre nous qui s’en sont trouvés renforcés. Autant dire que ceux qui défendent leurs « bouts » ou qui recherchent le leur sont aujourd’hui convaincus de la justesse de leur mission.

Devant ce blocage, de nombreux membres de la FCM sont peut-être aujourd’hui persuadés de la nécessité de durcir, voire de radicaliser les revendications. Pour d’autres, il est sans doute temps de monnayer de manière ostentatoire les votes créoles pour faire avancer « leur cause » dans le pays. En face, les  Manohur et Dulthummum, sont probablement plus que jamais convaincus de leur pouvoir de persuasion auprès de nos décideurs politiques. Et vont continuer à s’ériger en gardiens d’une certaine petite
bourgeoisie. Celle-là même qui considère l’éducation nationale, depuis bientôt 30 ans, comme la fabrique servant à asseoir son hégémonie dans la société mauricienne. Et dont il vaut mieux empêcher l’accès à d’autres sections de la population, jugées trop chercheuses de « bouts ».

Dans toute cette futile bataille, les premiers perdants sont nos enfants. Ceux provenant des milieux les plus défavorisés – qu’ils s’appellent Caroline, Idriss ou Satish – qui, à la rentrée prochaine, continueront à recevoir un enseignement qui ne leur sera pas  entièrement accessible. Parce qu’ils seront en train d’apprendre « A for Apple, B for Ball… » sans  nécessairement comprendre tout ce que leur enseigne leurs maîtres. Qui se
soucie vraiment de leur sort ?

Rabin BHUJUN