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Jacques d’Unienville: La décision de passer du charbon à la biomasse vise «à répondre aux objectifs nationaux»
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Jacques d’Unienville: La décision de passer du charbon à la biomasse vise «à répondre aux objectifs nationaux»
Jacques d’Unienville, CEO d’Omnicane Ltd
Omnicane Ltd a conclu un accord de collaboration «novateur» avec l’International Finance Corporation (IFC) concernant sa transition énergétique du charbon vers la biomasse durable, en exploitant à la fois des biomasses d’origine locale et importée, respectueuses de l’écologie. La signature de l’accord s’est déroulée le 8 avril à l’Omnicane House, à Plaine-Magnien. Le «Chief Executive Officer» (CEO), Jacques d’Unienville, affirme qu’Omnicane Ltd est chanceuse de pouvoir collaborer avec l’IFC. Il développe davantage sur cet accord dans cet entretien.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste précisément cet accord de collaboration entre Omnicane Ltd et l’IFC pour la transition énergétique du charbon vers la biomasse durable ?
La nature de la collaboration entre Omnicane et IFC est multidimensionnelle, reflétant l’engagement des partenaires en faveur d’une évaluation holistique et rigoureuse du projet proposé. Les éléments clés sont les suivants : une évaluation des implications sociales et environnementales afin que la transition soit alignée aux meilleures pratiques internationales pour s’assurer du bien-être pérenne des communautés et des écosystèmes ; une étude visant à évaluer la viabilité financière, l’impact économique ainsi que les implications liées au changement climatique ; le développement d’un modèle financier, et l’exploration des diverses options de financement, incluant les mécanismes liés au changement climatique, afin de sécuriser et d’optimiser les ressources financières nécessaires à la transition énergétique.
Comment cet accord contribuera-t-il aux objectifs nationaux de Maurice en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de promotion des énergies renouvelables ?
L’île Maurice est un petit État insulaire en développement (PEID) de l’océan Indien, très vulnérable aux impacts du changement climatique. Bien que Maurice ne contribue qu’à hauteur de 0,01 % aux émissions mondiales de dioxyde de carbone, elle s’est engagée à jouer son rôle dans l’atténuation du changement climatique. En effet, le gouvernement a comme objectif ambitieux de réduire substantiellement nos émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % d’ici 203. De ce fait, il s’est engagé à augmenter la part des énergies renouvelables dans le mixte énergétique à 60 % et d’éliminer progressivement l’utilisation du charbon dans la production d’électricité. Cette décision souligne non seulement l’engagement de Maurice en faveur du développement durable, mais positionne également le pays comme un précurseur dans les efforts mondiaux de transition vers des sources d’énergie propres et renouvelables. La transition à la biomasse de nos centrales permettra au pays d’atteindre 35 % de l’objectif sur la part des énergies renouvelables et 25 % de l’objectif de réduction de GES.
Vous avez mentionné dans votre discours que l’intégration de la biomasse dans le réseau électrique et la recherche de sources durables de biomasse sont des défis importants. Comment comptez-vous relever ces défis ?
Il est vrai que l’approvisionnement en biomasse est un défi important car plusieurs facteurs sont à prendre en compte, notamment la disponibilité de la ressource à échelle industrielle, les propriétés physico-chimiques, les aspects environnementaux et de durabilité, la logistique, et bien sûr, le prix. Nous privilégions les filières locales et régionales et sommes en contact avec plusieurs fournisseurs potentiels de l’Afrique du Sud, de Madagascar, de la Namibie et du Mozambique, et progressons de manière satisfaisante sur ces différents sujets, dont de nous assurer que la biomasse provienne de filières agro-forestières certifiées afin d’avoir une garantie sur la durabilité de la chaîne d’approvisionnement.
Pouvez-vous nous parler des implications économiques de cette transition énergétique, notamment en ce qui concerne les investissements nécessaires et le financement apporté par l’IFC ?
Si nous ne tenons pas compte des externalités négatives d’une production d’énergie à base de ressources fossiles, la transition vers une énergie verte passe inévitablement par une augmentation des coûts de production, et ce, peu importe la ou les solutions choisie(s) (s), pourvu que l’on compare ce qui est comparable. À titre d’exemple, une centrale thermique comme les nôtres est typiquement disponible toute l’année sur environ 8 000 heures, produisant une énergie dite de base, contre quelque 1 500 heures pour un système photovoltaïque ou 3 000 heures pour un parc éolien. Ces derniers sont ce qu’on appelle communément des énergies intermittentes, car elles sont en fluctuations constantes et dépendent soit de l’ensoleillement ou du vent à un instant t. Afin de pallier cela, il existe certes des solutions avec batterie, mais cela reste onéreux si nous souhaitons en faire une énergie de base disponible sur 8 000 heures.
Bien que se chiffrant à plusieurs milliards de roupies, les investissements nécessaires à la transition de nos centrales à la biomasse, notamment les facilités de stockage et de manutention de la biomasse au port et sur nos sites de production ainsi que de nouveaux investissements au niveau des centrales elles-mêmes, ne sont pas les éléments pesant le plus sur l’augmentation des coûts de l’électricité. Le combustible, à savoir la biomasse, en est l’élément principal et l’enjeu est donc d’en minimiser les coûts autant que possible. Cela passe par une optimisation de la ressource locale, un choix judicieux du type de biomasse et la passation de contrats à long terme sur la partie import avec des fournisseurs de biomasse, ainsi qu’avec des affréteurs.
En ce qui concerne l’IFC, nous en sommes au stade de collaboration en amont sur la phase de développement du projet afin d’en faciliter la levée de fonds auprès de partenaires financiers locaux et internationaux, dont IFC, quand le moment sera venu.
Quels sont les avantages et les mécanismes avantageux que vous avez mentionnés pour passer du charbon à la biomasse ? Comment comptez-vous maximiser ces avantages tout en minimisant les coûts supplémentaires ?
Les mécanismes avantageux auxquels nous nous référions dans une précédente interview font référence aux divers fonds climatiques et subventions mis sur pied afin de venir soulager la transition des PEID qui, comme mentionné plus haut, auront inévitablement à faire face à des surcoûts de production. Bien qu’à travers une stratégie d’approvisionnement bien réfléchie nous pourrions en minimiser l’impact, ces types de mécanismes nous semblent primordiaux et nous souhaitons collaborer étroitement avec l’État mauricien sur ce sujet.
En quoi ce projet de transition énergétique est-il important pour Omnicane Ltd et pour l’île Maurice dans son ensemble ?
La centrale de La Baraque est le moteur de notre cluster industriel cannier car elle garantit nos besoins en énergie (électricité et vapeur) essentielle dans la transformation et la valorisation de la canne à sucre en produits à forte valeur ajoutée. La centrale de St-Aubin joue aussi un rôle important dans la stabilité du réseau en réduisant les pertes de transmission sur des longues distances. Passer à du 100 % biomasse sur ces deux centrales permettra de produire de l’énergie renouvelable en base qui aidera à stabiliser le réseau et à permettre à ce dernier de prendre davantage d’énergies dites intermittentes, comme l’éolien ou le solaire.
Quelles sont vos attentes concernant les retombées de ce projet sur le long terme, tant pour votre entreprise que pour le pays ?
Le développement durable est déjà bien ancré dans l’ADN d’Omnicane et cette transition à la biomasse sera un tournant afin qu’on puisse atteindre notre objectif de neutralité carbone dans un proche avenir. Cette transition va aussi consolider la sécurité énergétique de notre île sur le long terme dans un contexte de tension géopolitique grandissant dans plusieurs régions.
Pourriez-vous nous parler des prochaines étapes de ce projet et de vos plans pour étendre cette transition énergétique à d’autres parties du monde, comme mentionné par le «Country Manager» de l’IFC ?
Notre priorité demeure la transition de nos deux centrales localement et toutes nos énergies y sont concentrées. En temps et lieu, nous considérerons les opportunités qui pourront se présenter à nous à l’international, notamment sur le continent africain.
Nous finalisons actuellement nos études de faisabilité sur la centrale de St-Aubin qui, de par sa taille relativement petite, se prête bien pour enclencher la transition et mettre à l’épreuve nos pistes les plus prometteuses en matière d’approvisionnement de la biomasse. Cela nous laissera le temps d’étudier les meilleures options et d’affiner notre stratégie d’approvisionnement pour la transition des centrales de taille plus importante.
Comment Omnicane Ltd envisage-t-elle de s’assurer que la transition vers la biomasse se fasse de manière écologiquement durable, en tenant compte des aspects de préservation de l’environnement et de la biodiversité ?
Nous allons nous assurer que la biomasse provienne des filières agro-forestières certifiées afin d’avoir une garantie sur la durabilité de la chaîne d’approvisionnement. Nous allons exiger des labels de durabilité reconnus tels que le FSC (Forest Stewardship Council) et le SBP (Sustainable Biomass Program) auprès de nos fournisseurs.
Comment comptez-vous impliquer les parties prenantes locales, y compris les communautés environnantes, dans ce projet de transition énergétique ?
En décembre 2023, nous avons participé à la COP28 au sein d’une délégation de Maurice comprenant des représentants des secteurs public et privé. Cela a été l’occasion pour nous de présenter notre projet de transition énergétique, en ligne avec les objectifs nationaux. Nous pensons aussi qu’à terme, on pourra développer une filière locale de production de biomasse impliquant des agriculteurs de la région. Je pense aussi qu’il y a une attente des Mauriciens dans leur ensemble à voir notre pays réussir cette transition énergétique.
Envisagez-vous de développer des initiatives de sensibilisation et d’éducation pour informer et mobiliser le public sur l’importance de cette transition énergétique et ses bénéfices pour la communauté ?
Ce travail de pédagogie et de sensibilisation commence au plus jeune âge et je dois dire que le gouvernement, à travers la division «Changement Climatique» du ministère de l’Environnement, sensibilise les jeunes sur les enjeux et aussi sur la contribution de tout un chacun dans la préservation de notre environnement. À Omnicane, à travers l’Omnicane Foundation, nous réalisons divers projets en faveur de la protection de l’environnement. Je voudrais ici profiter pour citer le thème de la compétition inter-collèges Omnicane Award 2024 qui est axée sur les enjeux du changement climatique pour notre île comme PEID, et comment faire pour avoir un modèle socioéconomique résilient et écologiquement harmonieux.
Comment votre entreprise compte-t-elle mesurer et suivre l’impact environnemental et social de ce projet, en termes de réduction des émissions de CO2, de création d’emplois locaux et de développement économique durable ?
À Omnicane, nous travaillons actuellement sur un projet pour mesurer notre empreinte carbone à travers toutes les entités du groupe. L’objectif étant de définir une «base line», pour ensuite venir avec des objectifs de réduction de nos émissions afin d’atteindre la neutralité carbone, en incluant l’impact positif de transitionner à la biomasse sur nos centrales. Nous avons été un des pionniers à Maurice en 2010 à volontairement adopter un mécanisme de reporting sur le développement durable, en ligne avec le GRI (Global Reporting Initiative), qui permet de mesurer les impacts de nos activités sur des indicateurs ESG (Environnement, social et de gouvernance).
Quels sont les défis potentiels que vous anticipez lors de la mise en œuvre de ce projet et comment comptez-vous les surmonter ?
Il y a d’abord les défis techniques liés aux modifications et aux nouveaux investissements nécessaires au port et aux centrales afin de pouvoir transitionner vers la biomasse. Il y a aussi les défis liés à l’exploitation de nos outils industriels, post-conversion, avec ce nouveau combustible plus complexe. Sans en minimiser l’importance, nous sommes sereins sur ces points étant donné l’expérience de nos équipes sur place et l’excellent partenariat de longue date que nous avons avec la société française Albioma, qui opère des centrales similaires aux nôtres en Guadeloupe, en Martinique et à l’île de La Réunion, et où elle a déjà transitionné vers de la biomasse à 100 %. Nous pouvons donc compter sur son savoir-faire et son retour d’expérience.
Ensuite, comme mentionné plus haut, il y a l’enjeu de la biomasse elle-même où nous devons nous assurer d’un apport durable, d’une quantité et qualité suffisante et d’un prix abordable. Nous y ferons face par la mise sur pied d’une stratégie d’approvisionnement, incluant la maximisation de la biomasse locale, une diversification de nos sources d’approvisionnement et des contrats à long terme.
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