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«Je trouve cela très hypocrite de réduire la sodomie aux gays»

8 octobre 2023, 20:00

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«Je trouve cela très hypocrite de réduire la sodomie aux gays»

Mercredi dernier, la Cour suprême a rendu deux verdicts historiques sur la sodomie. Les juges ont estimé qu’interdire cette pratique entre hommes adultes consentants était contraire à la Constitution. Dans la société civile, la nouvelle est très bien accueillie.

Fabien Huët a 21 ans. Pour lui, cette décision représente avant tout la libération d’une chaîne coloniale que traînait le pays depuis plus de cinq décennies après son Indépendance. «Cela fait des années que les ONG font des plaidoyers pour l’abrogation de cette section de la loi, et il a finalement été prouvé qu’elle allait à l’encontre des droits humains», avance le jeune homme. Désormais, il espère que sans le label criminel, la vie des membres de la communauté LGBTQIA+ changera pour le mieux. «Par exemple, il y a beaucoup de business qui refusent toujours l’accès aux gens de la communauté.» Fabien rappelle cependant qu’il ne faut pas se reposer sur ses lauriers car il y a des groupes qui ont exprimé leur désaccord et qui souhaitent faire appel du jugement (voir plus loin).

Jordan Lascarie, 27 ans, a un tout autre point de vue. La sodomie a existé depuis la nuit des temps, et criminalisée ou pas, la pratique est répandue. Et pas que chez les homosexuels. «C’est certes tabou, mais ça existe. Je trouve très hypocrite de réduire cela aux gays. De toute façon, cela continuera à se faire en privé. C’est légal maintenant, mais dans la pratique, rien ne change !» Megane Fabre, mère de deux enfants, estime que si désormais, les homosexuels peuvent avoir une vie sexuelle sans risquer la case prison, c’est définitivement une avancée pour le pays.

Cependant, si c’est une bataille de gagnée, ce n’est pas la fin du combat pour l’égalité. «C’est un pas en avant, mais c’est aussi l’ouverture d’une porte pour d’autres revendications progressistes. Ce jugement est venu renverser une loi patriarcale datant des années 1800», souligne Yannick Jeanne, 39 ans. Il estime aussi qu’il est temps que la question des droits de la communauté LGBT soit à l’agenda des partis politiques et rappelle que Lalit a déjà proposé que deux adultes du même sexe soient libres de se marier.

Anomalie juridique

Hicham Khamlichi renchérit sur le point politique. «Ce jugement est l’exemple parfait de l’action du judiciaire lorsque la classe politique est inactive sur la question des droits humains.» Il précise que le jugement inclut le concept d’orientation sexuelle dans notre Constitution, ce qui est une démarche très progressiste. D’ailleurs, il confie que depuis le temps, il avait perdu espoir de voir changer la section 250. «Au fil des années, cela a commencé à apparaître comme une anomalie juridique qui fait partie de notre ‘patrimoine’. Je suis ravi que la justice ait pris les devants.» Le jeune homme rappelle que Ryan Ah Seek, dans son témoignage, avait parlé de l’association de l’homosexualité et l’illégalité avec le volet moral en plus. «Bien évidemment, le jugement n’est pas une finalité en soi. Ce n’est pas la panacée qui va résoudre tous les problèmes. Il faut désormais que la perception de cette illégalité change.» Mais il y a maintenant de l’espoir, après ce jugement…

«Décision historique»

Le débat sur la sodomie ne date pas d’hier. Nous sommes en 2007. Rama Valayden est Attorney General. Le Sexual Offences Bill est présenté à l’Assemblée nationale en première lecture. S’il n’a jamais été débattu par les élus, il a tout de même suscité des débats au sein de la société civile. Le projet de loi faisait état de viols, d’agressions sexuelles par pénétration, d’agressions sexuelles en général et de nécrophilie, entre autres. Le mot sodomie n’était jamais mentionné, il était clairement mentionné que le viol et les agressions consistaient en la pénétration vaginale ou anale forcée. Il était aussi stipulé que la section 250 du Code criminel allait être amendée pour enlever la sodomie et ne parler que de la bestialité. À l’époque déjà, cette décision était saluée. Lalit, dans une analyse de cette loi, avait estimé qu’il était «appropriate to define forced anal penetration as rape, and decriminalize consensual anal intercourse between adults in private. This decriminalization is essential to bring legislation in line with the fundamental right to privacy which is guaranteed by the Constitution».

Sollicité après le jugement, Rama Valayden parle d’une «décision historique», précisant : «J’ai toujours été un grand défenseur des droits humains et je félicite ces deux juges qui ont fait montre de beaucoup de courage. Il ne faut pas s’arrêter là mais aller plus loin pour voir comment changer nos lois pour garantir la protection des droits humains. C’est pour cela que nous avons fait plusieurs propositions en ce sens.» Mᵉ Rama Valayden souligne aussi que le pays est dans un contexte électoral et qu’il faut faire attention pour ne pas créer des divisions sur le plan communal et religieux.

Appel du jugement: faible probabilité

Les appels dans les affaires constitutionnelles sont rares en raison de leur nature particulièrement technique et des enjeux importants. Les erreurs judiciaires graves sont moins fréquentes dans ces affaires spécialisées, réduisant ainsi la nécessité de faire appel. Cependant, même dans les affaires constitutionnelles, le droit d’appel reste sacré. Il est ancré dans nos lois que tout individu ou entité a le droit de contester toute décision judiciaire.

Les parties défenderesses, notamment l’État, le bureau du Directeur des poursuites publiques et le commissaire de police, ont le droit de contester ces conclusions. Lorsqu’un jugement remet en question la constitutionnalité d’une loi, les enjeux sont exceptionnellement élevés. Les tribunaux prennent des décisions qui peuvent remodeler la législation et l’avenir de toute une nation. Malgré cela, même ces décisions sont sujettes à l’appel. «L’appel dans de telles circonstances repose souvent sur l’interprétation précise de la Constitution, laquelle peut être sujette à des opinions divergentes. Les parties mécontentes peuvent estimer que la décision initiale a mal interprété la Constitution ou que des éléments cruciaux ont été négligés», explique un Senior Counsel.

À ce jour, aucune des parties défenderesses n’a donné avis d’appel. D’ailleurs, lors du procès, l’État avait plaidé pour la compréhension, expliquant «qu’il n’est pas insensible aux préoccupations et aux représentations formulées par les membres de la communauté LGBT, concernant l’article 250 (1) du Code criminel et qu’il reconnaît les préoccupations générales de la communauté LGBT». Lors des plaidoiries, les représentants légaux de l’État avaient aussi fait ressortir que des lois ont été promulguées pour interdire la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans plusieurs domaines d’activités, tels que l’emploi, l’éducation, la fourniture de biens, de services et d’installations.

«L’amendement de l’article 250 pour permettre des activités sexuelles consensuelles entre membres du même sexe est à l’ordre du jour. Il s’agit d’une question très sensible à Maurice compte tenu de la délicate trame socio-culturelle et religieuse de la société mauricienne et ne peut être introduit au Parlement que lorsque les conditions nécessaires favorables à son adoption seront réunies», ont fait valoir les avocats. Ainsi, les possibilités d’appel semblent peu probables après ces déclarations.