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Violences

La Citadelle: le concert nous ronge

24 octobre 2023, 19:15

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La Citadelle: le concert nous ronge

Vue aérienne pittoresque.

Une «sentinelle» qui charme autant qu’elle irrite

Perché sur une colline dominant Port-Louis, le Fort Adélaïde, plus connu comme la Citadelle, trône majestueusement. Célèbre pour accueillir de nombreux concerts mettant en scène des artistes locaux et internationaux, ce site emblématique a été le théâtre d’un événement déplorable et exceptionnel, samedi, lors du concert du groupe Attitude. Cependant, les résidents des environs du Fort Adélaïde ne sont pas tous réfractaires à l’effervescence qui y règne de jour comme de nuit.

La route menant à la Citadelle est congestionnée et il faut parfois patienter quelques minutes pour atteindre son entrée en raison du va-et-vient de voitures et de vans touristiques en ce début de semaine. Que les touristes soient français ou indiens, leurs visages s’illuminent d’un large sourire en contemplant le panorama qui s’offre à leurs yeux du haut de cette fortification. Que ce soit par rapport aux imposantes structures comme la tour de Mauritius Telecom jusqu’au Champ-de-Mars, sans oublier la vue sur le port, tous sont émerveillés par la beauté des lieux. Nul ne semble conscient qu’à peine 72 heures plus tôt, le dernier concert organisé en ces lieux a pris fin de manière traumatisante pour plus d’un. Un groupe d’individus, certains d’entre eux cagoulés, ont fait irruption et ont exigé que le concert prenne fin dans les plus brefs délais, affirmant par la même occasion que Port-Louis leur appartient.

Pourtant, la Citadelle de Port-Louis, bien que connue principalement comme une forteresse historique, a été le lieu de nombreuses soirées musicales inoubliables au fil des ans. De la performance de Patrick Bruel le 9 juin 2001 à l’incroyable prestation d’Atif Aslam le 18 octobre 2008, en passant par la nuit mémorable animée par le célèbre DJ David Guetta le 13 janvier 2007, cet endroit a toujours été un théâtre d’événements festifs qui ont laissé une empreinte durable dans le cœur des habitants de la région. La Citadelle a également accueilli une diversité d’artistes musicaux, des chanteurs internationaux comme Pascal Obispo (le 21 avril 2001), Yannick Noah (le 6 mai 2005), Christophe Mae (le 15 decembre 2007), Christophe Willem (le 27 mai 2008) et Henri Salvador (le 29 mars 2003), aux stars indiennes et pakistanaises, notamment Shaan (le 3 juillet 2004).

Affluence touristique.jpg Affluence touristique aux abords de la Citadelle.

À la rue Arsenal, les résidents ne s’en plaignent pas. «Au contraire, cela contribue à créer une ambiance agréable», confie Sophia*. «Nous avons l’opportunité d’apprécier de la musique de qualité gratuitement, alors pourquoi s’en plaindre ?» Elle vit dans la région depuis de nombreuses années et avoue n’avoir jamais fait de plaintes à ce sujet.

C’est également l’avis de Mohammed*. «Étant donné que nous résidons derrière la Citadelle, nous entendons parfois un peu de musique. Cependant, cela ne nous dérange en aucune manière. Parfois, le bruit est à peine perceptible. Je pense que cela dépend des organisateurs, certains veillent à ce que les concerts se terminent avant 22 heures pour respecter la loi.» Le même sentiment prévaut à la rue Corneille, située à seulement 100 mètres de la Citadelle. «Le bruit ne nous affecte pas», déclare une résidente. C’est également l’opinion d’une autre habitante de l’impasse Eugène Laurent.

Cependant, la situation est différente aux abords de la rue Inkerman. Dès le départ, Reza* exprime sa frustration concernant les bruits émanant de la Citadelle. Il tient toutefois à préciser que cette gêne ne résulte pas uniquement du concert de samedi. «En réalité, des jeunes viennent en soirée et font beaucoup de bruit. Ils apportent des tambours et jouent jusqu’à très tard dans la nuit.»

Malgré de nombreuses plaintes aux autorités, aucune solution n’a été trouvée. «Il y a non seulement des personnes âgées qui vivent dans cette région, mais aussi de jeunes enfants comme chez moi. Il devient difficile de les faire dormir avec tout le bruit ambiant.» Il espère que les récents incidents pousseront les autorités à agir. «Pourquoi ne pas affecter des policiers pour effectuer des patrouilles régulières ? Cela pourrait nous garantir un peu de tranquillité d’esprit.» Néanmoins, il condamne fermement les incidents survenus samedi, soulignant que «nous vivons dans un pays où la tolérance devrait prévaloir...»

* Prénoms modifiés


One Day : pour que la paix vienne un jour…

One Day, c’était la chanson qui devait clôturer la soirée du Grand Konser samedi à la Citadelle. Un chant à 1 000 voix pour la paix, reprenant le titre One Day de Matisyahu, devait être interprété en chœur par la foule, avait annoncé le groupe hôtelier Attitude, dans le cadre de la célébration de ses 15 ans. La chanson qui n’a pas été appréciée par certains qui ont préféré pénétrer les lieux armés pour semer la panique et stopper la diffusion de cette chanson qui devait, selon les artistes ayant travaillé dessus, prôner et passer un message de paix.

One Day est une chanson interprétée par Matisyahu en 2008. Une chanson que le chanteur a voulu sortir pour rassembler les gens et prôner un message de paix. Dans le premier couplet, «Sometimes I lay Under the moon, And thank God I’m breathing, Then I pray, Don’t take me soon, ‘Cause I am here for a reason, Treat people the same, Stop with the violence, Down with the hate», Matisyahu commence par exprimer sa gratitude pour sa vie et le fait qu’il respire encore. Il reconnaît que la vie est éphémère et qu’il veut profiter au maximum du temps qu’il passe sur terre. Il souligne également que chacun a un but et une raison d’être ici.

Un jour, tout cela changera. Il va enchaîner par un appel à l’unité, à l’égalité et à la fin de la violence et de la haine. Il reconnaît qu’il y a des problèmes dans le monde et que les choses doivent changer. Mais au lieu de s’attarder sur les aspects négatifs, il se concentre sur la possibilité d’un avenir meilleur.

«One Day

Open up my eyes

And tell me who I am

Let me be myself

And not another man, Or I’ll never feel alive»

Ici, le chanteur parle de l’idée de la découverte de soi et de l’acceptation de sa véritable identité. Il exhorte les auditeurs à être eux-mêmes, plutôt que d’essayer d’entrer dans le moule de quelqu’un d’autre. Il reconnaît également que ce processus peut être difficile, mais qu’il est nécessaire au développement et à l’épanouissement personnel. Le refrain est répété deux fois, ce qui souligne l’importance du message. Matisyahu veut que les auditeurs comprennent que le changement est possible si nous nous rassemblons tous et travaillons pour atteindre un objectif commun.

En disant «Under the same sun», Matisyahu exprime l’idée de liberté et d’égalité. Il imagine un avenir où chacun peut être fier de qui il est et d’où il vient, indépendamment de sa race, de sa religion ou de ses origines. Il souligne que nous partageons tous le même monde et que nous devons travailler ensemble pour le rendre meilleur. Depuis sa sortie, One Day est devenu un hymne à la paix et à l’unité. La chanson a été utilisée dans différents contextes, notamment lors des Jeux olympiques d’hiver de 2010 à Vancouver, de la Coupe du monde de football féminin de 2011 et de divers rassemblements. Dans une interview accordée à NPR, Matisyahu s’est exprimé sur son impact, expliquant que c’est une amorce de conversation qui amène les gens à réfléchir au monde et à ce qui est possible.

La chanson a également été saluée par la critique. Le magazine Rolling Stone l’a classée parmi les «500 plus grandes chansons de tous les temps» en 2021. Depuis, elle a connu plusieurs reprises, dont Enn zour, version mauricienne. La traduction en kreol a été faite par le poète Michel Ducasse. Plusieurs personnes ont contribué afin que cette chanson soit reprise samedi, telles que Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, Aurélie Fleuriau-Château, Nico B et Saira. Les paroles et la version créole étaient déjà en circulation sur Facebook, invitant les spectateurs à l’apprendre pour chanter tous ensemble au Gran Konser.


Prevention of Terrorism Act : une loi «vase à fleur»

Depuis les incidents à la Citadelle samedi dernier, un mot revient dans tous les débats : terrorisme. D’ailleurs, la police a fait savoir que les suspects, qui font face à une charge provisoire de «damaging property by band», pourraient être inculpés sous la Prevention of Terrorism Act (PoTA). La raison pour laquelle cette charge n’a pas été retenue d’office n’est pas connue, d’autant plus que selon des juristes, non seulement cette loi s’applique parfaitement aux incidents qui se sont déroulés, mais il sera difficile de modifier la charge par la suite.

Selon la PoTA, tout acte «intended or can reasonably be regarded as having been intended to seriously intimidate a population» ou «seriously destabilise or destroy the fundamental (…) constitutional (…) or social structures of a country (…)» est un acte de terrorisme. Il faut noter que la loi fait bien mention de «a population» et non «the population», ce qui signifie que l’intimidation d’une partie de la population est aussi considérée comme du terrorisme. Les attaques sur l’intégrité d’une personne sont aussi considérées comme un acte de terrorisme. Lorsque cette loi avait été votée en 2002, la PoTA (Denial of Bail Act), qui prévoit que les personnes arrêtées sous cette loi ne peuvent pas bénéficier d’une caution, avait été votée en même temps. La loi a été amendée à plusieurs reprises pour combattre le blanchiment d’argent et rendre la législation mauricienne conforme aux normes internationales du combat contre le financement du terrorisme.

Un policier explique que «lorsqu’un groupe de personnes entre dans un lieu avec des armes et terrorise les autres avec des slogans religieux, cela devrait automatiquement entraîner des poursuites sous la PoTA». Il explique qu’il ne comprend pas pourquoi cette loi, en vigueur depuis des années, n’a pas été appliquée dans ce cas particulier.

Sollicité, un homme de loi abonde dans le même sens. Il ajoute que cela sera difficile de faire retirer la charge provisoire de «damaging property by band» pour inculper les suspects sous la PoTA. Selon lui, il est possible de modifier l’accusation provisoire après la charge pour la rendre moins grave. «Il est très rare que l’accusation initiale soit modifiée pour une accusation plus grave. Si cette affaire se poursuit avec la charge de dommages matériels en bande pendant deux mois, il est peu probable que cela change par la suite», dit-il. Il est d’avis que le commissaire de police et le Premier ministre auraient dû envoyer un signal fort en les inculpant sous la PoTA.


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