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Efficience et productivité

La «Competition Commission» fait le procès du port

27 novembre 2024, 22:00

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La «Competition Commission» fait le procès du port

Ce ne sont ni l’opinion publique, ni les utilisateurs des services portuaires, qui dressent ce tableau très négatif de l’état actuel du port de Port-Louis. Mais une équipe de spécialistes, qui maîtrisent les services portuaires. Le gouvernement est prévenu : si rien n’est entrepris pour renverser la tendance actuelle, ce sera la descente aux enfers du port où, selon la «Competition Commission», on ne peut plus attendre grand-chose, ni de la Mauritius Ports Authority, ni de la Cargo Handling Corporation Ltd, pour faire face à la montée en flèche de nos concurrents régionaux.

La publication, il y a quelques jours, d’une étude sur le port par la Competition Commission (CC), organisme créé en 2009 pour promouvoir la compétition et la lutte contre tout ce qui l’empêche d’être effective, est venue tout simplement confirmer l’existence de nombreux facteurs qui l’en détournent, si rien n’est entrepris dans les meilleurs délais pour renverser la tendance en développant ce qui est indispensable à son maintien en activité et à sa survie. Il s’agit de sa capacité à faire face à la concurrence des ports régionaux où des facilités de transbordement sont disponibles.

Le transbordement, cette pratique, qui consiste à déposer des conteneurs à quai avant qu’ils ne soient embarqués pour une autre destination, fait partie intégrante des stratégies des lignes maritimes. Pour une raison toute simple : le transbordement leur permet de limiter la présence d’un navire dans un port, mais surtout d’éviter les coûts d’entreposage. Une option, qui permet de baisser leurs coûts d’opération, et un facteur qui peut ronger leurs possibilités d’améliorer tant leur performance que les revenus.

Les rédacteurs du rapport n’ont pas inventé les éléments indispensables pour maintenir et améliorer le niveau de compétitivité. Il s’agit de l’efficience qui concerne ce souci de vouloir constamment améliorer la performance dans l’exécution d’une tâche ; et de la productivité, qui s’obtient en comparant les résultats des ressources engagées dans une activité quelconque. Ces deux éléments sont inséparables.

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Échec total sur deux plans

Voici l’observation faite dans un rapport de la Banque mondiale (Dappe et al.) en 2017 portant sur 35 ports du Bassin de l’océan Indien et de l’océan Pacifique occidental, qui offrent un service de manutention de conteneurs. «Mieux que quiconque des 35 ports, celui de Port-Louis est le mieux placé pour tirer des bénéfices escomptés d’un rehaussement de sa productivité. Si les services offerts par Port-Louis étaient aussi productifs que ceux du port du Sri Lanka, le meilleur de l’échantillon proposé, les coûts du transport maritime y auraient enregistré une baisse d’au moins 14 %. Ce qui signifie l’enregistrement d’une hausse significative dans le volume des activités commerciales.» L’analyse d’une étude commandée en 2023 sur l’impact du facteur efficience sur la croissance économique dans 28 pays du continent africain est éloquente. «S’il y avait une hausse de 10 % de l’efficience des services portuaires à Maurice, cela occasionnerait une croissance du Produit intérieur brut (PIB) dans la fourchette de 0,14 % à 0,38 %. Une hausse annuelle du PIB de Maurice de 0,2 % aboutirait après une période de dix ans à un montant supérieur à Rs 64 Mds.»

Le rapport n’hésite pas à dévoiler l’identité du responsable d’une telle situation : c’est la Cargo Handling Corporation Ltd (CHCL), qui est chargée de la manutention dans le port. «Il est du devoir de la CHCL de veiller à ce que le niveau de sa productivité augmente de manière significative. La vitesse à laquelle les conteneurs sont manipulés est le principal souci des utilisateurs du port. La CHCL est bien loin d’atteindre les objectifs qui auraient dû être les siens en matière de productivité par rapport au nombre de mouvements de ses grues. Sa performance, bien en dessous des moyennes internationales et des meilleures pratiques, n’est pas convaincante. Par rapport à l’échantillonnage international, Port-Louis est loin derrière les leaders régionaux qui, eux, enregistrent une amélioration rapide de leur performance. Le fait que les lignes maritimes considèrent de moins en moins Port-Louis comme une plaque tournante des services portuaires de la région est un sujet d’inquiétude, si on tient compte de l’ambition du gouvernement de positionner Maurice comme un port régional de référence ayant tout le potentiel pour accroître les revenus.»

Si la gouvernance se rapporte à cette exigence de toute organisation de se doter d’un ensemble de règles, pratiques ou décisions visant à faire en sorte que cette organisation fonctionne de façon optimale, le rapport portant la signature de John Davies, un consultant indépendant et membre du Competition Appeal Tribunal de la Grande-Bretagne, n’y va pas de main morte contre le style de gouvernance actuelle dans le port. Les signataires du rapport sont aussi loin de faire l’unanimité sur le rôle de la Mauritius Ports Authority (MPA) en tant qu’organisme régulateur du secteur portuaire. Ils donnent de nombreux exemples pour confirmer leur posture et avancent finalement que «la MPA, son mode de gouvernance et ses relations avec le gouvernement central doivent changer si elle veut agir comme une organisation régulatrice indépendante, qui a le sens de l’orientation stratégique».

Le rapport déplore les relations de la MPA avec la CHCL et donne à penser aux raisons qui, dans les conditions actuelles, ne permettront jamais à la CHCL d’atteindre les objectifs que le pays attend d’elle. Ce constat se résume en deux phrases percutantes : «La CHCL semble incapable, dans les circonstances actuelles, de recourir dans les meilleurs délais et de manière efficiente à la mise en route d’investissements dans de nouveaux équipements qui, de toute évidence, est une nécessité que personne ne peut contester. Sa performance opérationnelle est largement déplorée par les utilisateurs des services portuaires.»

La MPA a-t-elle un rôle à jouer sur ce plan ? Si tel est le cas, de quel rôle s’agit-il ? La réponse des signataires du rapport est on ne peut plus positive : «La MPA doit être en mesure de demander à la CHCL d’améliorer le niveau de sa performance ou de n’importe quel autre opérateur susceptible d’entrer en scène dans ce secteur; elle doit, dans le même souffle, l’amener à assumer les conséquences de tout manquement sur ce plan. C’est une situation qui est loin d’être effective, si dans le cas actuel, la MPA est perçue comme étant directement concernée par la gestion des affaires de la CHCL.»

Peut-on envisager que la MPA puisse faire montre d’autorité à l’endroit de la CHCL ? Selon le rapport de la CC, il va falloir attendre encore longtemps, voire très longtemps, avant qu’une telle posture ne se manifeste au niveau de l’ossature actuelle, l’organisme régulateur du secteur portuaire étant caractérisé par «the large number of senior management positions unfilled, with existing managers acting in post and often acting in multiple posts». John Davies et son équipe ajoutent: «La MPA donne à penser qu’elle est incapable d’amener la CHCL à faire en sorte d’atteindre ses objectifs en termes de performance ou de prendre les dispositions requises pour l’achat dans les meilleurs délais et effectivement de nouvelles grues et tout autre équipement dont l’installation est indispensable.»

Toutefois, ce n’est pas l’avis de la MPA. On explique que «dans le port, à part le cargo handling géré par la CHCL, il y a plusieurs autres activités entreprises par des privés ou la MPA. Cette dernière gère le port des croisières et offre les facilités pour le bunkering et autres marine services. On n’a pas enregistré de critiques pour ces services. La manutention est la responsabilité exclusive de la CHCL, une entité autonome et indépendante depuis 1983. La CHCL détient une concession de la MPA pour la manutention. Les conditions de cette concession sont contenues dans un protocole d’accord entre la CHCL et la MPA. Au chapitre de la productivité, il y est stipulé que la CHCL devrait manager 25 conteneurs par heure, ce qui est relativement bas comparé à la tendance du marché qui est de 27 à 35 conteneurs/heure. Or, la CHCL ne parvient à réaliser que 21 conteneurs/heure. Parfois cette performance se limite à 17 ou 19 conteneurs/heure pour des raisons inhérentes à l’organisation et son fonctionnement. Le Memorandum of Understanting ne prévoit rien pour permettre à la MPA de contraindre la CHCL à honorer ses engagements. Le régulateur ne peut prendre aucune part du blâme. Une amélioration de la productivité ne peut venir que de la CHCL.»

Cerise sur le gâteau : le rapport de la CC prévient le consommateur mauricien des effets occasionnés par les retards dans le port. «Delays cause significant costs, ultimately paid by Mauritian consumers, with vessels costing approximately USD 50,000 per day to operate.» Il avertit qu’en fin de compte, c’est le consommateur, et lui seul, qui fera les frais des dysfonctionnements des services portuaires lorsqu’il va se présenter à la caisse des centres commerciaux.


Quelques recommandations du rapport

  • La nécessité pour la CHCL d’augmenter substantiellement sa productivité et son rythme de manutention des conteneurs ;

  • La mise en route des nominations dans des postes clés à la CHCL et la fin des interventions politiques dans la nomination à des positions stratégiques de l’organisme ;

  • Le recours à des solutions capables de mettre fin aux tentatives de certaines lignes maritimes de menacer de revoir leur position en raison du coût des retards sur leurs opérations ;

  • L’importance pour la MPA de se recentrer sur ses activités spécifiques et de manifester son intérêt à évoluer plus comme un régulateur plus qu’autre chose avec l’ambition de concevoir des mesures stratégiques ;

  • La nécessité pour la MPA de prendre ses distances du fonctionnement des affaires propres à la CHCL en commençant par l’abandon de son siège comme membre du conseil d’administration de cette organisation ;

  • L’obligation pour l’organisme régulateur qu’est la MPA de faire son devoir de demander à la CHCL d’augmenter le niveau de sa performance et de la tenir responsable si cet objectif n’est pas atteint ;

  • La mise en place par la MPA d’un système compétitif d’opérations de remorquage et, dans le même souffle, le recours à un système pour rendre plus compétitives les appels d’offres pour l’obtention de concessions ;

  • L’importance pour la MPA de changer son style de gouvernance et ses relations avec le gouvernement central si elle veut évoluer comme un organisme régulateur indépendant et stratégique. Cela, en créant un environnement susceptible d’inciter des opérateurs privés de manifester leur intérêt pour des projets d’investissement et de compétition dans le port.


Maersk discontinue ses services jusqu’à nouvel ordre

Avec les reproches faits au mode de fonctionnement du port par rapport à son maigre niveau de productivité et d’efficience, ce que l’on craignait dans tous les milieux, à savoir l’annonce éventuelle d’une ligne maritime de sa réticence à continuer à s’appuyer sur la destination port-louisienne dans son programme de transbordement, s’est finalement produit. Cette ligne maritime n’est ni plus, ni moins que Maersk, dont la réputation n’est pas à refaire pour rapport à son rôle dans la région. Elle vient de décider de ne plus accepter, jusqu’à nouvel ordre, de nouvelles demandes de ses services tant dans l’exportation que dansl’importation à Port-Louis.La raison avancée est que Maersk ne peut plus continuer à supporter les effets de la piètre performance de la productivité des infrastructures dont dispose le port.

Cinq mesures pour amener une performance optimum

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Drishtysingh Ramdenee, secrétaire général de la MCCI, préconise cinq mesures pour que la performance soit au cœur de l’écosystème commercial et logistique, de l’import-export au freeport et au transbordement régional : (1) L’établissement d’un comité public-privé pour orchestrer une réponse coordonnée aux défis structurels du port ; (2) La restauration urgente des capacités techniques, notamment la remise en service des grues portuaires hors-service, constitue un prérequis pour maintenir la crédibilité opérationnelle de Port-Louis ; (3) L’optimisation des processus et une gestion revue des équipes représentent des leviers essentiels pour rehausser la productivité portuaire aux standards internationaux ; (4) l’accélération significative pour répondre aux limitations actuelles des capacités d’amarrage et anticiper l’évolution des exigences du commerce maritime international ; (5) la mobilisation de toutes les parties prenantes pour permettre à PortLouis de revendiquer à juste titre son statut.


Réactions

Devesh Dhukira,

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Chief Executive Officer du Syndicat des sucres : «Il est indispensable de mettre sur pied un comité spécifique composé des têtes pensantes du privé et du secteur public pour aider PortLouis à revendiquer son statut de port hub de la région du Bassin del’océan Indien.»

Dominique de Froberville,

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président de la Mauritius Export Association (MEXA) : «Toutes les pistes susceptibles de conférer à Port-Louis la dynamique qu’on souhaite lui attribuer se trouvent dans le rapport portant la signature de John Davies, un consultant indépendant et membre du Competition Appeal Tribunal de la Grande-Bretagne.»