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Première juridique

La Cour suprême ordonne l’exhumation d’un corps pour un test de paternité

14 janvier 2024, 17:00

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La Cour suprême ordonne l’exhumation d’un corps pour un test de paternité

La Cour suprême a pris une décision historique mercredi en ordonnant l’exhumation d’un cadavre après 23 ans, marquant ainsi un tournant majeur au sein du judiciaire. Cette décision fait suite à une bataille juridique acharnée entamée en 2001, lorsque la plaignante a cherché à établir sa filiation avec le défunt. Pour la plaignante, cette quête de vérité a été une épreuve déchirante. Cependant, la souffrance ne se limite pas à la plaignante elle-même. Les proches du défunt qui ont, eux, fait la demande d’exhumation du cadavre après 23 ans afin d’obtenir justice vivent également des épreuves difficiles. Revenons sur cette saga judiciaire de plus de deux décennies.

Cherchant simplement à prouver qu’elle est la fille légitime du défunt, elle a dû surmonter d’innombrables obstacles juridiques et émotionnels. La plaignante affirme être la fille naturelle du défunt bien qu’aucun document officiel ne mentionne le nom de son père. Elle soutient que ce dernier a toujours assumé son rôle de papa, fournissant soins, attention, et affection jusqu’à son décès en décembre 1999. Des éléments de preuve, tels qu’une lettre datée de 1995 et des relevés bancaires, avaient été présentés lors du procès pour étayer ses allégations.

Premier test de fratrie à Maurice

L’affaire a pris un tournant significatif en 2011 lorsque la cour a autorisé un test ADN entre la plaignante et le fils du défunt pour déterminer toute relation familiale entre eux. Un premier rapport daté du 12 mai 2011 a été déposé. L’expert du Forensic Science Laboratory (FSL) affirme que le FSL n’était pas équipé pour effectuer un test de fratrie, l’affaire a été reportée à plusieurs reprises en attendant la formation de l’analyste ADN et l’achèvement de la validation d’un kit de marqueurs génétiques. Le 10 octobre 2013, un rapport daté du 17 mars 2012 est produit. Le représentant du FSL explique qu’après avoir obtenu et comparé le profil génétique complet de la plaignante et du fils du défunt, elle a constaté que seulement trois des 16 allèles paternels étaient communs, alors qu’il aurait dû y en avoir quatre ou plus. Elle a donc conclu que la probabilité que la plaignante et le fils soient apparentés était très faible. C’était la première fois que le FSL effectuait un test de fratrie. La cour devait cependant conclure que le test le plus fiable est un test direct entre les principaux concernés. Le défi majeur de l’affaire réside dans l’impossibilité d’effectuer un test sanguin direct, le père présumé étant décédé. Cela a conduit à des débats complexes sur la recevabilité des preuves génétiques, mettant en lumière la nécessité d’une analyse minutieuse de la loi en vigueur.

Reconnaissance paternelle

Lors du procès, la mère biologique de la plaignante a aussi témoigné de sa relation avec le défunt, expliquant que leur amitié s’était transformée en relation amoureuse en 1984. Après la naissance de la plaignante en 1990, il aurait pris en charge les frais médicaux et éducatifs, confirmés par des témoignages de l’époque. Le débat s’est intensifié avec la présentation d’un document que la plaignante considère comme une reconnaissance paternelle et un «don» en faveur de son avenir. Cela a conduit la cour à conclure que le défunt avait effectivement reconnu la plaignante comme sa fille naturelle.

Preuves scientifiques

Enfin, après une longue série d’audiences et d’appels, en 2014, la juge alors Nirmala Devat, siégeant en Cour suprême a statué en faveur de la plaignante, déclarant officiellement le défunt comme le père naturel, ordonnant ainsi une modification de l’extrait de naissance. Mais la demande pour être les seuls héritiers a été rejetée en raison de témoignages contradictoires. Le 24 mai 2018, la cour d’appel civile a confirmé que la juge Nirmala Devat avait eu raison de conclure que le défunt était le père naturel de la plaignante. Insatisfaits de la décision des tribunaux mauriciens, ses héritiers ont interjeté appel devant le Privy Council. Dans un jugement rendu le 2 novembre 2020, les Law Lords ont accueilli l’appel et renvoyé l’affaire de la plaignante pour une nouvelle audience devant un juge différent afin de déterminer la question de la paternité, en tenant compte non seulement des preuves sociologiques mais aussi des preuves scientifiques. Le Judicial Committee of the Privy Council a estimé que si une demande d’analyse postmortem, une question délicate, était poursuivie, elle devrait faire l’objet de présentations complètes devant le nouveau juge d’audience, qui aurait le pouvoir de statuer non seulement sur la loi, mais aussi sur la faisabilité et/ou l’opportunité d’un tel test post-mortem dans le cas présent. Une nouvelle audience a donc commencé en 2022. L’avocate des héritiers du défunt, Me Angelique Desvaux de Marigny, a elle-même demandé la réalisation d’un test de filiation postmortem entre la plaignante et le présumé père, conformément à l’article 8 de la loi sur l’identification de l’ADN.

Cette demande a ouvert un nouveau chapitre dans cette affaire complexe, mettant en avant la délicatesse de la question des tests post-mortem et la nécessité d’une délibération approfondie sur la faisabilité et la pertinence de ces tests dans ce contexte particulier. Le débat juridique s’est donc étendu à la question cruciale de savoir si les tests post-mortem étaient justifiables dans les circonstances spécifiques, soulevant ainsi des questions éthiques, légales et scientifiques complexes. Ce dossier met en lumière la nécessité d’évolutions législatives pour traiter de manière plus efficace les questions de filiation postmortem et de tests ADN dans le système judiciaire.


Le cas d’Yves Montand

La cour d’appel de Paris avait décidé, le 6 novembre 1997, d’ordonner l’exhumation du corps d’Yves Montand, décédé en 1991, pour que soit pratiqué un test génétique de recherche en paternité. L’arrêt de la cour faisait suite à huit années de procédures judiciaires entamées par une jeune femme, Aurore Drossart, née en 1975 et qui affirme être la fille naturelle d’Yves Montand. L’acteur et chanteur s’était toujours refusé du temps de son vivant à se soumettre à de tels tests. Le 6 septembre 1994, le tribunal de Paris avait jugé en première instance qu’Aurore Drossart était bien la fille de l’acteur. La cour d’appel avait alors été saisie par la famille d’Yves Montand.

A la demande de la cour, le professeur Rouger avait réalisé une première expertise comparant le sang de Valentin, le fils d’Yves Montand, de Carole Amiel, sa mère, de Lydia Livi, la soeur du comédien, et d’Aurore et Anne-Gilberte Drossart «afin de dire si Yves Montand, peut ou non être le père d’Aurore Drossart». Le professeur avait estimé que «la difficulté de cette expertise résultait de l’absence de prélèvement du père putatif. La preuve formelle de paternité ou de non-paternité ne pourra être apportée que par l’étude de cellules ou de tissus prélevés chez M. Yves Montand». La cour d’appel de Paris a ordonné, jeudi 6 novembre 1997, l’exhumation du corps. Déclenchant une polémique éthique en poussant jusqu’au bout la logique de la vérité scientifique en matière de recherche de paternité. L’exhumation d’un corps, six ans après la mort, pour établir une filiation avait de quoi horrifier. Cette première était rendue juridiquement possible par la réforme de 1993 sur l’ouverture des recherches en paternité et par la loi bioéthique du 29 juillet 1994.

Les examens génétiques pratiqués sur la dépouille du comédien ont conclu cependant qu’Aurore Drossart n’était pas sa fille. Le rapport, daté du 22 mai 1998, signé des trois experts mandatés par la cour d’appel de Paris, mettait fin à ce que les médias français ont appelé la plus médiatique des mystifications maternelles.