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La dette publique : quelques pistes de réflexions

30 mai 2024, 09:12

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La dette publique : quelques pistes de réflexions

La dette publique a dépassé la barre des Rs 500 milliards pour atteindre Rs 511,9 milliards au 31 décembre 2023 (L’Express, 6 février 2024). Cette dette représente 78,6 % de la production intérieur brut (PIB) et demeure donc toujours au-dessus du niveau prépandémique qui se situait à environ 60% du PIB. Vous noterez que j’utilise le mot ‘environ’ puisque les chiffres de Statistics Mauritius ne sont pas toujours clairs et sont révisés au fil du temps.

A la fin de mars de cette année, cette dette aurait encore augmenté pour atteindre Rs 524,7 milliards (L’Express, 16 mai 2024). En termes absolus, le montant de la dette a plus que doublé depuis dix ans. Certains pensent que ce chiffre ainsi que le ratio dette/PIB sont encore plus élevés à cause des fonds spéciaux qui ne sont pas toujours comptabilisés, et une surestimation du PIB.

Qu’importe, le ratio dette/PIB est donc à peu près égale à 80% selon les statistiques officielles. Fait intéressant, même si la dette représente plus de Rs 400,000 par habitant, le ratio dette/PIB a diminué du sommet de plus de 90% qui avait été atteint en pleine pandémie en 2021. Après tout, à Maurice comme ailleurs, la plupart des gouvernements avaient pris des mesures extraordinaires – fiscales et monétaires – pour atténuer les répercussions de la pandémie.

Le surendettement peut avoir un effet néfaste sur la croissance du fait d’un effet d’éviction des investissements productifs. Quand le gouvernement finance ses dépenses à travers la création monétaire ou en empruntant, cela peut occasionner une augmentation de la demande sans créer une offre équivalente. Le déséquilibre qui en résulte va être corrigé par une combinaison de divers mécanismes tels que l’inflation, une augmentation de l’impôt sur le revenu, une dépréciation de la monnaie ou encore une augmentation du prix des biens dont le gouvernement détient le monopole.

Il est important de noter que la dette publique est financée en grande partie sur le marché local. On se souviendra que l’agence de notation Moody’s avait rabaissé la note de Maurice à Baa3 en juillet 2022, soit le dernier rang de la catégorie investissement. A long terme, cette décote pourrait compromettre la possibilité de lever des fonds sur les marchés internationaux de capitaux.

On notera aussi que la loi sur la gestion de la dette publique de 2008 avait fixé un seuil de 60% pour le ratio dette/PIB, et que ce même seuil avait été abrogé en 2020. Depuis, le FMI a recommandé un seuil de 80% à moyen terme ; l’objectif est de maintenant ramener le ratio dette/PIB au niveau prépandémique le plus rapidement possible (2030 selon le ministre des Finances). Est-ce que cet objectif est réaliste et réalisable ? La formule peut sembler très simple : augmenter les revenus de l’État à travers une croissance économique soutenue et contenir les dépenses en évitant les gaspillages, donc une saine gestion des finances publiques. Pour cela, il faudrait une croissance économique soutenue qui est plus élevée que le taux d’intérêt. En d’autres mots, il faudrait que le gouvernement dégage un excédent budgétaire primaire pendant les prochaines années, Le même raisonnement s’appliquerait pour une croissance économique soutenue afin d’augmenter les recettes de l’État.

Or, ni un excédent budgétaire primaire, ni une croissance suffisamment élevée ont été au rendez-vous depuis assez longtemps, et ce même pendant les années prépandémiques. Par exemple, les chiffres nous indiquent clairement que les taux de croissance ne dépassaient presque jamais 4% pendant les années qui ont précédé la Covid ; parallèlement, les excédents budgétaires primaires n’ont presque jamais été la norme.

L’exception jamaïcaine

Le cas de la Jamaïque est intéressant. C’est un des rares pays au monde qui a diminué sa dette publique pendant ces dernières années, non pas à cause d’une différence significative entre la croissance et le taux d’intérêt mais plutôt grâce à un accord de partenariat social (Arslanalp, Eichengreen et Blair, 2024). En dix ans, la Jamaïque a réduit sa dette de moitié, notamment de 144% du PIB a 72% du PIB, en dégageant des excédents budgétaires primaires de 7 ou 8% du PIB, année après année.

Selon Arslanalp, Eichengreen et Blair (2024), ce succès se résume à deux facteurs principalement. Premièrement, l’adoption d’une loi fiscale depuis 2010, qui a contraint le ministre des Finances à atteindre en 2016 l’équilibre budgétaire, un ratio dette/PIB de 100% et un plafonnement des salaires des fonctionnaires à 9% du PIB. Cette loi a par la suite été amendée avec comme objectif un ratio dette/PIB de 60% en 2026. Deuxièmement, le gouvernement jamaïcain a créé un large consensus social en réunissant les partis d’opposition, les syndicats, le secteur privé et la société civile afin que le plan de réduction de la dette soit le plus équitable possible. Ce consensus social découle en partie d’une histoire post-indépendante qui a mené à une diminution de la polarisation politique.

Maurice gagnerait beaucoup à rétablir sa loi sur la gestion de la dette publique de 2008, accompagnée d’une feuille de route avec des objectifs précis à moyen et long terme. Tout comme la Jamaïque, Maurice est un petit état et en principe ne devrait pas avoir du mal à dégager un consensus social sur les enjeux économiques importants, incluant la dette publique. Mais cela requiert du leadership et une volonté politique. Finalement, il incombera aux partis politiques qui aspirent à former le prochain gouvernement d’expliquer à la population comment ils vont financer leurs promesses électorales tout en maintenant une gestion saine des finances publiques.


Serkan Arslanalp, Barry Eichengreen and Peter Blair Henry (2024). “Sustained Debt Reduction: The Jamaica Exception”, NBER Working Paper 32465 (May).

Par Yiagadeesen (Teddy) Samy - Professeur Titulaire et Directeur de la Norman Paterson School of International Affairs, Université Carleton, Ottawa, Canada.