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La finance est une arme...

11 mai 2024, 11:52

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...la politique, c'est de savoir quand il faut tirer.

Clairement, le clan Jugnauth ne compte pas organiser les prochaines législatives pour les perdre. Les enjeux étant bien trop importants après dix ans au pouvoir.

En 2019, les allégations de fraude électorale, visant à modifier la volonté du corps électoral étaient suggérées, à la fois par des membres de la société civile et de l’opposition. Mais la Cour suprême et le Privy Council ont invalidé les pétitions, alors que le gouvernement a consolidé son emprise sur l’Electoral Supervisory Commission et l’Electoral Boundaries Commission.

En raison de l’importance d’une élection dans l’obtention du pouvoir politique, la fraude risque d’être toujours perçue comme présente, surtout de la part de ceux qui se sentent exclus d’un système électoral inique – avec un pourcentage de votes qui ne reflète pas le pourcentage de sièges (avec 37 % des votes, l’Alliance Morisien avait raflé, en 2019, 63 % des 70 sièges au Parlement).

En attendant que se déclenchent les procédures électorales, par rapport à la partielle du no10 – qui n’aura pas lieu ! – et aux législatives, l’on gagnerait à prendre un recul nécessaire par rapport à la compilation de la liste d’électeurs (qui franchirait pour la première fois la barre d’un million) et de candidats. Puisque cela soulève le problème de la réception de la démocratie. D’où l’idée que ce ne sont pas tant les manipulations qui sont au coeur des problèmes de la dynamique électorale que l’acclimatation ou la «tropicalisation» du nouveau constitutionnalisme lui-même avec son cortège de limites constitutionnelles et institutionnelles. Par exemple, qui devrait revoir la Constitution, pour modifier le système électoral et le financement politique ? Peut-on demander aux politiciens seuls de s’en charger ?

Dans nos sociétés, il y a, surtout, deux logiques différentes : l’une plutôt d’essence autoritaire ou institutionnelle où le droit électoral semble exclusivement régi par les gouvernants au pouvoir, l’autre d’essence disons plutôt démocratique qui implique que les droits électoraux, propres aux peuples, doivent être garantis, objectivement à tous et subjectivement à chacun, par les gouvernants agissant collectivement. La question demeure: comment mettre fin à cette logique d’affrontement ?

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Ailleurs, en matière électorale, la fonction d’un juge électoral par exemple comprend l’opération par laquelle ce juge veille au triomphe et à l’effectivité de la loi électorale. L’exercice de ce contrôle ne peut se faire sans la reconnaissance d’un redoutable pouvoir juridictionnel au profit du juge.

À Maurice, la contestation doit se faire au niveau de chaque circonscription. On peut contester l’élection d’un candidat ou des «magouilles» dans une circonscription spécifique. Historiquement, on n’a jamais contesté des élections dans leur ensemble au niveau national. Pour que l’affaire soit admise en cour, l’on doit, dans un délai ne dépassant pas 21 jours, récolter des «preuves» dans chaque circonscription. Comme il n’y a jamais eu de jurisprudence, c’est à la Cour suprême de trancher et de décider s’il faudrait de nouvelles élections ou pas. D’où l’importance d’avoir une vraie séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire. Mais quand c’est l’exécutif qui peut choisir le président et vice-président de la République parmi les anciens juges, avant de soumettre le «vote» au Parlement, la perception que les dés soient pipés, ou que le doute s’installe encore plus est bel et bien là… surtout quand on cultive le flou sur les registres électoraux. Je ne sais plus qui a dit que la majorité a toujours raison, mais la raison a bien rarement la majorité aux élections.

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«Les liens entre l’économiste et le politique sont connus. L’économiste étudie les phénomènes sous le point de vue de sa science et le politique utilise les arguments des économistes pour développer sa propre synthèse économique», nous expliquait Renganaden Padayachy, alors qu’il officiait comme First Deputy Governor de la Banque centrale (dans une interview à Business Magazine, en juin 2019). Aujourd’hui, ministre des Finances, et à quelques semaines du dernier Budget (qui s’annonce décisif) de cette législature, le grand argentier doit mieux réaliser l’écart entre le discours théorique et les faits politiques.

Malgré sa courtoisie et son envie empathique de bien faire, et de réduire les inégalités (son grand dada à la Piketty), Padayachy n’aura pas les coudées franches à cause de l’endettement public. La roupie qui ne cesse de glisser provoque par ailleurs d’autres complications dans son équation. Et la logique politique pourrait avoir pris le pas sur la sagesse économique.

En 2019, avant le Covid, les solutions domestiques, générées par des consultations tripartites, ne suffisaient déjà plus. Patronat, syndicats et gouvernement, chacun essayait de tirer son épingle du jeu sans évoquer, par exemple, le lien entre la productivité qui stagne (ou qui progresse trop mollement) par rapport aux salaires qui sont, eux, en constante évolution. Surtout après la pandémie et en amont des élections.

Relativisons; le problème mauricien n’est guère insulaire. Prenons le secteur textile par exemple. Un fait mondial, depuis 2015 : plus de 25 % de la totalité des biens manufacturés produits dans le monde le sont par la Chine, condamnant les autres pays à se partager le reste dans un marché hypercompétitif. L’autre réalité c’est que les entreprises, jadis séduites par une maind’oeuvre bon marché et malléable, ont déjà commencé à se tourner vers des destinations où elles peuvent tirer un meilleur parti des nouvelles technologies (robotique de pointe, impression 3D, Internet des objets qui révolutionnent les procédés de fabrication et qui réduisent le poids relatif des salaires, fixés ou pas).

Ainsi l’annonce, disons, du patron de la CMT, menaçant de licencier 5 000 employés sur le moyen terme, provoque un glissement de la roupie face au dollar (...). En d’autres mots, les propos d’un grand exportateur ont plus d’effets sur la roupie qu’une baisse du taux directeur par le comité de politique monétaire… L’économiste mauricien Eric Ng aime faire ressortir que la délocalisation des entreprises locales vise, entre autres, à contrecarrer des prix élevés et inflexibles sur le marché du travail, tel le salaire minimum – aujourd’hui fixé à plus de Rs 16 500 (hausse de 500 % depuis 2014), même si la roupie a connu une dépréciation de l’ordre de plus de 40 % durant ces dix dernières années pour des raisons multiples.

Une lecture qu’on recommande (encore une fois) : State Strategies in the Global Political Economy, de Ronen Palan, Jason Abbott et Phil Deans, qui ont étudié les stratégies compétitives des États face à la mondialisation économique. Ceux-ci postulent qu’il n’existe pas une seule manière d’organiser l’État-providence, mais plusieurs. Il y a la «stratégie de la taille» qui est la création d’espaces régionaux ; celle de «l’État développeur» qui s’inspire du modèle asiatique ; la «stratégie du bouclier», soit l’intégration sélective dans l’économie mondiale alliant secteurs protégés et dynamisme des exportations et des investissements extérieurs; ou la «stratégie de l’hégémonie», définie comme une position de pouvoir étatique dans le système international à des fins davantage compétitif ; la «stratégie du parasite», représentée par les paradis fiscaux et les centres financiers offshore. Ou encore la «stratégie de l’exclusion formelle», qui est le propre de nombreux pays africains, qui s’auto-excluent, par manque de fonds ou de vision, de tout rôle de l’économie mondiale…

Quelle stratégie allez-vous nous prescrire Docteur Padayachy alors que les élections générales se profilent ? Jamais un gouvernement sortant n’a eu à compter autant sur Grand argentier…

* Citation attribuée à Francis Ford Coppola