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Récit

La gouvernance d’entreprise, une révolution inachevée

19 décembre 2023, 10:55

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Je ne sais ce qui me vaut d’être l’invité de Monsieur Geeanduth Gopee au lancement de son livre, documenté et averti. En lisant Corporate Governance, The Unfinished Revolution, et en cherchant une explication à ma présence de néophyte parmi les praticiens expérimentés de la gouvernance privée et publique, je me suis dit que, peut-être, ai-je été un Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir. J’aurais fait dans les entreprises que j’ai pu diriger, pendant plus d’un quart de siècle, soit à titre de manager ou comme administrateur, aujourd’hui encore, de la bonne gouvernance sans l’appeler par son nom.

Monsieur Gopee me fait constater que bien des managers et d’administrateurs de ma génération, et parfois de plus jeunes, ont fait pendant longtemps de la bonne gouvernance sans le proclamer. L’expression n’était pas encore à la mode, les codes étaient inexistants, mais managers et administrateurs, pour la plupart, assumaient leurs responsabilités dans le respect d’un corpus de principes qui tenaient davantage à leur éthique personnelle et au sens de leadership qu’à des règles imposées et codifiées de l’extérieur.

À mon sens, c’est dans le dépérissement des valeurs personnelles des dirigeants d’entreprises plutôt que dans l’irrespect des codes qu’il faille trouver la raison de cette «unfinished revolution». Ce n’est pas pour dire que les codes n’ont servi à rien.

Là où, dans le secteur privé, régnaient le désordre managérial, la confusion administrative, les guerres de pouvoir dans les salles de conseil ; là où dans le secteur public les administrateurs n’étaient redevables à personne, l’introduction d’un code adapté a pu apporter une nécessaire cohérence entrepreneuriale dans le privé et un début de responsabilité, la traduction faible d’accountability dans le secteur public.

Codes ou pas codes, là où des professionnels, intègres et compétents – il y en a eu – ont servi dans les institutions de l’Etat, des résultats probants ont été enregistrés. Monsieur Gopee qui a croisé bon nombre d’entre eux dans les nombreuses fonctions de supervision qu’il a occupées au sein de l’appareil d’Etat peut en témoigner.

Si l’ouvrage de Monsieur Gopee fait l’historique de l’introduction des codes de gouvernance, ici et ailleurs, depuis le fameux Cadbury Report de 1992 au Royaume Uni, il ne porte pas de jugement définitif sur leur efficacité et leur pertinence. Sauf à souligner, à juste raison, qu’en fin de compte, le déterminant crucial du succès d’une entreprise est la question du leadership. Citant Peter Drucker et Warren Bennis, deux experts en management, il écrit : «Management is doing things right ; leadership is doing the right things.»

Et précision utile que Geeanduth Gopee ne manque pas de faire, c’est que le leadership n’est pas fonction d’un statut, mais découle d’une «authority of personality». C’est exactement cela : une autorité naturelle, un charisme fondé sur une crédibilité personnelle.

Si l’on se réfère à tout ce que sous-tend la bonne gouvernance tant privée que publique, les enjeux de transparence, d’intégrité, de crédibilité, d’accountability, l’on est bien forcé de constater que nos codes, l’ancien comme le nouveau, ont peu contribué à assainir le fonctionnement de nos conseils d’administration censés justement «exercise leadership, enterprise, integrity and judgement in directing the corporation... in a manner based on transparency, accountability and responsibility».

En matière de gouvernance, chaque entreprise doit pouvoir déterminer son approche. Les secrétaires de compagnies qui guident les conseils d’administration dans le secteur privé constatent que peu d’entreprises ont vraiment adhéré aux préceptes du code, notamment en matière d’inclusivité, de diversité et d’hétérogénéité. Pourtant, comme le dit Geeanduth Gopee «we are living in a world of pluralism, multitasking and multi-dimensions».

Pour justifier le peu d’empressement de certains conseils, il a été argué que le code de bonne gouvernance contient trop de dispositions et de procédures contraignantes, qu’il est trop consommateur de temps bureaucratique susceptibles de gêner la nécessaire agilité de l’entreprise. Ce n’est pas totalement faux même s’il est vrai que le nouveau code, entré en vigueur en 2016, est bien plus pratique. On nous annonce une troisième version.

Mais le plus souvent, en particulier dans les très grosses entreprises familiales, la résistance tient surtout au poids des traditions, à la peur de perte de contrôle, à la question de confiance, parfois à l’appât égoïste du gain. Il y a heureusement quelques-unes qui font figures de modèles, mais elles sont encore peu nombreuses.

Il y a également celles qui ne sont pas convaincus que l’application stricte des règles de bonne gouvernance produise une meilleure efficacité gestionnaire et un plus grand rendement financier. Il y a celles, enfin, qui font semblant d’y croire et dont le respect du code se résume à un «tick the box» administratif et cosmétique.

Si beaucoup de conseils d’administration ont adopté un Board Charter qui, en principe, précise les attributions du conseil et son mode opératoire, peu ont mis en place les moyens d’évaluation du fonctionnement de leur conseil d’administration.

La révolution annoncée est effectivement «unfinished». Encore faut-il reconnaître qu’en matière de gouvernance, chaque entreprise doit pouvoir déterminer son approche. Elle découle de son histoire, de sa composition, de ses priorités, de son ambition, parfois de son éthique.

Et quant à nos entreprises publiques, leurs conseils d’administration sont peuplés de... – je n’utiliserais pas le mot le plus usité chez nous, il n’est pas encore dans le dictionnaire – mais disons que ces conseils sont le bassin de trop de «mollusques» même si tous les nominés ne le sont pas. Mais un trop grand nombre d’entre eux sont la négation de ce que le code, pourtant promu par les gouvernements qui les nomment, n’a eu de cesse de recommander : la nomination d’administrateurs indépendants et compétents. Ici, Corporate Governance n’est pas une «Unfinished Revolution». La révolution n’a même pas commencé.

On pourrait citer nombre de décisions de grande importance nationale par des conseils d’administration d’institutions paraétatiques, ni compétents ni indépendants, qui ont saigné dramatiquement et impunément les contribuables.

Si l’on veut absolument trouver une consolation, on pourrait citer la préface de Dan Maraye qui dresse une impressionnante liste d’entreprises mondiales aux chiffres d’affaires colossaux, privées celles-là, qui ont été trouvées coupables de malfaisance, de mauvaise gestion, de fraudes et de bien d’autres délits contraires aux codes de bonne gouvernance qu’elles sont censées respecter (...)