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Affaire Ibrahim Sorefan

La langue des signes admissible dans les procédures judiciaires

21 septembre 2024, 14:00

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La langue des signes admissible dans les procédures judiciaires

Les magistrates Shefali Arekion Ganoo et Dinya Mooloo, siégeant à la Children’s Court, ont rejeté la motion d’Ibrahim Sorefan, orthophoniste de 26 ans qui est poursuivi pour abus sexuel, concernant l’enregistrement des témoignages d’enfants sourds-muets. Ibrahim Sorefan avait demandé que les témoignages soient enregistrés par procédures judiciaires. Les magistrates ont également souligné qu’aucune définition légale précise de la langue française ou anglaise n’existe dans le droit mauricien. Par conséquent, il n’y a pas de raison de faire une exception pour la langue des signes. De plus, elles ont indiqué qu’un interprète formé, désigné vidéo, arguant que la langue des signes ne pouvait pas être capturée de manière adéquate par des moyens audio traditionnels. Son avocat, Me Raouf Gulbul, avait souligné que la traduction des signes en paroles par un interprète entraînait inévitablement une perte de sens et de nuance, ce qui posait un problème majeur pour le droit de son client à un procès équitable. Dans leur décision, les magistrates ont confirmé que l’audition des présumées victimes pouvait se poursuivre en langue des signes, laquelle est admissible en cour tout comme toute autre langue étrangère.

Dans ses arguments, Me Raouf Gulbul avait fermement insisté sur le fait que l’absence d’un enregistrement vidéo complet compromettait les droits de la défense, conformément à l’article 10(3) de la Constitution mauricienne, qui garantit à toute personne accusée le droit à une copie complète des actes du procès. Il avait fait valoir qu’en l’absence de vidéo, les actes du procès étaient incomplets, nuisant ainsi à la possibilité pour la défense de vérifier la précision des interprétations. Il était ainsi impossible pour la défense de vérifier la précision des interprétations sans un enregistrement vidéo des signes. L’avocat avait fait ressortir que la langue des signes, n’étant pas un langage oral, ne pouvait pas être enregistrée par les systèmes de digital recording utilisés dans les tribunaux, qui se concentraient uniquement sur l’enregistrement audio. Par conséquent, la communication visuelle, cruciale pour la compréhension des témoignages des témoins sourds-muets, était absente des archives judiciaires.

Les magistrates ont pris en compte le fait que la législation mauricienne ne prévoit pas de dispositions spécifiques pour l’enregistrement des témoignages en langue des signes. Toutefois, elles ont rappelé que Maurice est signataire de la Convention des droits des personnes handicapées, qui reconnaît le langage des signes. L’article 12 stipule qu’une reconnaissance égale doit être accordée devant la loi à la langue des signes. En se référant à la définition du terme «langage» dans le dictionnaire Oxford, elles ont souligné que le terme «gestes» permet l’utilisation officielle de la langue des signes dans les procédures judiciaires. Les magistrates ont également souligné qu’aucune définition légale précise de la langue française ou anglaise n’existe dans le droit mauricien. Par conséquent, il n’y a pas de raison de faire une exception pour la langue des signes.

De plus, elles ont indiqué qu’un interprète formé, désigné par la Public Service Commission, serait en mesure d’interpréter avec précision les mouvements corporels et manuels des témoins. «L’interprète est un fonctionnaire de la cour et son témoignage sera le reflet de celui des témoins, et non de l’interprète lui-même. Ce dernier devra prêter serment, garantissant ainsi que les procédures sont correctement traduites et interprétées», ont conclu les magistrates.

Témoignages : La casse-tête de l’enregistrement vidéo

Suite au ruling, Me Raouf Gulbul a soulevé des interrogations sur la façon dont les témoignages seront recueillis. En effet, les magistrats ont évoqué l’utilisation de témoignages viva voce (en direct) et Me Gulbul a indiqué que l’interprétation des témoignages en langage de signes n’est pas viva voce. Finalement, les magistrats ont accepté que les auditions soient enregistrées par vidéo, ce qui pourrait constituer une première dans le système judiciaire mauricien. Cependant, cette décision soulève des défis considérables. Actuellement, les tribunaux mauriciens ne sont pas équipés pour effectuer des enregistrements vidéo, et aucune infrastructure dédiée n’a été mise en place pour garantir la sauvegarde et la sécurité de ces enre gistrements. L’introduction de ce dispositif nécessiterait non seulement des aménagements logistiques mais aussi des modifications légales. À ce jour, aucun règlement de la Cour suprême approuvé par la cheffe juge ne prévoit l’enregistrement vidéo des audiences. Cela signifie que la cour devra émettre de nouvelles directives pour encadrer cette pratique ou, potentiellement, des amendements législatifs devront être introduits au Parlement. Plusieurs aspects devront être définis, notamment la façon dont ces enregistrements seront réalisés, conservés et utilisés au cours des procès, car il n’existe à ce jour aucune archive pour des enregistrements vidéo dans le cadre judiciaire mauricien. L’affaire sera de nouveau appelée devant la cour le 28 octobre, où la question du video recording sera étudiée plus en profondeur.