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La mauricianisation des droits fondamentaux

29 août 2023, 14:38

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Rezistans ek Alternativ prévoit d’organiser une conférence constitutionnelle afin de discuter du programme d’un éventuel «gouvernement de transition» qui s’attellerait à initier des réformes constitutionnelles et électorales. Si l’initiative nous semble louable, tant le projet d’une 2ᵉ République n’a déjà que trop tard tardé, la résistance des conservateurs ou passéistes est à prévoir parce que beaucoup bénéficient du système actuel et refuseront de changer la donne.

La Constitution de Maurice n’est qu’une annexe d’un texte réglementaire colonial : le Mauritius Independence Order du 4 mars 1968. «Les inquiétudes de mes collègues constitutionnalistes au vu de l’expérience du constitutionnalisme en Afrique sont fondées. Les Mauriciens doivent s’emparer de leur Constitution républicaine, défendre les valeurs républicaines en les enrichissant par une intégration des droits de l’homme de la deuxième et de la troisième génération et en achevant la construction de la nation arc-en-ciel sans laisser personne en chemin. L’éventuel échec de la démocratie déboucherait sûrement sur le constat de mes collègues à propos de nombreux pays africains, dont Madagascar, où le texte constitutionnel n’a de valeur que parce qu’il est porté par la communauté internationale», nous expliquait, il y a quelque temps, Jacques Colom, qui a dirigé et publié Le développement constitutionnel dans les États du Sud-Ouest de l’océan Indien, soit les actes de la conférence de 2012 pour les 20 ans de la République de Maurice, aux Presses Universitaires d’Aix-Marseille. «La réussite de la quête de la démocratie passe aussi par la protection de l’indépendance des contre-pouvoirs comme la presse, les ‘‘forces vives’’, une université autonome et libre par rapport au pouvoir exécutif, un barreau fort, libre et indépendant ; en plus des organes indépendants protégés par la constitution et d’une communication active en faveur de la Constitution et de la protection des droits fondamentaux.»

Dans le monde d’aujourd’hui, le droit constitutionnel interpelle non seulement les politiciens, les juristes, les professions légales, les universitaires, les sociologues, les philosophes, mais aussi tout un chacun. On ne peut parler de l’État de droit sans examiner s’il cadre avec un ordre international.

Contrairement à l’Inde et aux États-Unis, Maurice indépendante a hérité d’une Constitution d’origine coloniale dont les grands choix et le contenu ont été discutés et rédigés essentiellement dès 1961 par un petit groupe de personnes : hauts fonctionnaires du Colonial Office, Pr S.A. de Smith, sir J. Rennie – gouverneur de Maurice, sir A. Greenwood – secrétaire d’État aux colonies ; travaillant en étroite collaboration et appliquant les modèles de développement constitutionnel et d’écriture du Colonial Office.

Ces choix exercent toujours une influence à Maurice malgré les contre-propositions défendues par les partis d’opposition dès les années soixante.

«Il s’agit de s’interroger sur le procédé d’élaboration non démocratique de cette écriture constitutionnelle soumise à une autorité coloniale et acceptée par la majorité sans débat démocratique alors que les archives montrent que les élites politiques et l’opinion publique s’intéressaient activement aux questions de développement constitutionnel. Il s’agit aussi d’analyser l’impact de cette écriture, important sur la Constitution et en particulier sur les droits fondamentaux, sur la question de Rodrigues et celle des femmes. Si ce procédé a abouti à la création d’une constitution démocratique, protégeant le communalisme électoral et sans référence aux droits sociaux de la deuxième génération. Il a aussi influencé sa mise en œuvre par le gouvernement et le juge constitutionnel dans un sens non-démocratique surtout pendant l’état d’urgence maintenu abusivement», soulignent les Drs Colom et Rohling-Dijoux.

D’abord par rapport au préambule même de la Constitution. Plusieurs experts constitutionnels estiment que nous n’avons qu’une ébauche de préambule avec les articles 1 et 3. Il s’agit, aujourd’hui, pour nous, de compléter ces articles dans le sens de la mauricianisation des droits fondamentaux : un seul peuple, une défense des droits culturels et linguistiques, socio-économiques et environnementaux (référence à la protection de la nature et du développement durable), la protection des personnes vulnérables, le respect de la vie privée, de faciliter l’accès à la justice (public interest litigation, aide judiciaire), le respect de la séparation des pouvoirs, la protection contre toute discrimination, le principe d’égalité (indispensable dans une république).


Le préambule devrait aussi contenir la devise de la République de Maurice (exemple pour la France, c’est Liberté, égalité et fraternité). Pour Maurice, ce serait quoi : chances égales à tous d’être Premier ministre du pays si on est né sur le sol mauricien ?

Collectivement, nous devons développer ces droits en s’inspirant des pratiques et des limites en usage dans les pays démocratiques, notamment des États membres de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, dont font partie Maurice et la France, de renforcer la protection contre la discrimination. En matière environnementale, les rédacteurs d’une éventuelle réforme pourront s’inspirer surtout de la charte de l’environnement incluse dans la Constitution française en 2004 (avec en particulier les principes de précaution, de prévention, de pollueur-payeur, d’intégration dans les politiques publiques des principes du développement durable, du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé).

Il y a, d’autre part, lieu de renforcer la légitimité, les pouvoirs et les moyens du Parlement : la suppression du Best Loser System, le non-cumul des fonctions de député et de ministre (pour avoir de vrais backbenchers dans la majorité parlementaire), renforcer les moyens de contrôle du Parlement (commission d’enquête parlementaire avec des assistants spécifiques, un ou deux assistants parlementaires par député, création de commissions spécialisées dont une sur le Budget et le contrôle de son application), une plus grande implication dans l’initiative des lois, le renvoi automatique des traités ratifiés par Maurice devant le Parlement pour leur application immédiate par une nouvelle loi spécifique à chaque traité.

S’agissant de la suppression du recours au Conseil privé, la création d’une chambre constitutionnelle, le renforcement des moyens du judiciaire (assistants, documentation, greffiers), la présence de deux juges à Rodrigues pour les infractions relevant de la cour intermédiaire, la reconnaissance de l’indépendance de la doctrine mauricienne (par exemple, en France protection constitutionnelle de l’indépendance des enseignants-chercheurs), le rattachement du tribunal de l’environnement au judiciaire.

Pour ce qui est de la lutte contre la corruption, les chercheurs préconisent la création d’une autorité indépendante protégée par la Constitution en charge de la lutte contre la corruption et les conflits d’intérêts comme, en France, la Haute autorité en charge de la transparence de la vie publique.

Rodrigues ne devrait pas être en reste. Il faut agir en faveur du renforcement de son autonomie régionale et financière, tout en incluant une compensation de l’État en matière de rattrapage des inégalités.