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Décryptage
La place de la culture
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Décryptage
La place de la culture
Après l’octroi d’un revenu minimum garanti de Rs 18 500 et d’une pension de vieillesse de Rs 13 500 ou plus, un cinquième Budget ne serait pas nécessaire pour le gouvernement de faire campagne pour les législatives. Quoi qu’il en soit, de par ses mesurettes sucrées à l’endroit des consommateurs-électeurs, le Budget national est devenu un outil de redistribution à des fins politiques, et non plus un instrument de stratégie économique. Déjà, les incitations économiques ne suffisent pas à motiver les opérateurs. Tout aussi importante pour la croissance économique est la culture, qui englobe les croyances, les valeurs et les préférences.
Voici huit ans, dans une interview à «Mauritius Times», Nikhil Treebhoohun déclara sans ambages que «we need a cultural revolution». Évidemment, il ne faisait pas appel à une révolution maoïste, mais bien à un changement de mentalité. Le regretté Anil Gujadhur en convenait, écrivant dans le même journal que «a culture change would be in favour of the country». Ces deux économistes expérimentés du secteur public connaissaient le poids des mots : l’expression «changement culturel» charrie une lourde charge émotionnelle dans une société ethnicisée, politisée, fonctionnarisée et conservatrice. Les premiers à craindre d’un tel changement, ce sont les élites politiques et économiques qui profitent du système de gouvernance, les bureaucrates qui font leur miel d’une administration tatillonne, les corrompus qui s’enrichissent en toute impunité, et tous ceux qui vivent aux crochets du pouvoir politique pour une nomination ou un emprunt. Le clientélisme et le népotisme sont l’alpha et l’oméga d’une société bloquée, cadenassée, sans réelle perspective, dont il convient de faire sauter les verrous psychologiques pour libérer la croissance économique.
Là où la culture constitue un obstacle au progrès, la modernisation est impossible sans changement culturel. Les économistes politiquement corrects sont peu enclins à le recommander. En niant la pertinence de la culture, ils permettent aux gouvernants de cultiver l’assistance sociale plutôt que l’esprit d’innovation si essentiel à la création de richesses. Or ce dont a besoin l’île Maurice, c’est une réforme culturelle, celle qui forge une culture de la performance et un capital humain tourné vers la productivité, ce qui attirera des investissements directs étrangers.
Les Mauriciens doivent avoir les particularités culturelles appropriées à créer des opportunités économiques, même dans un environnement difficile. C’est en adoptant les idées des Lumières, après avoir rejeté leurs croyances à la magie et à l’animisme, que les Européens sont parvenus à un haut niveau de développement. C’est après avoir admis la défaillance des institutions locales que les intellectuels du Japon ont commencé à moderniser leur pays au XIXe siècle. Si le nord de l’Italie a été plus riche que le sud pendant plusieurs décennies, c’est parce que ses habitants étaient plus ouverts aux étrangers, faisaient confiance aux personnes en dehors de leur famille biologique et investissaient plus dans des actions que dans des liquidités.
L’orientation à long terme est précisément une différenciation culturelle qui participe au succès économique. Les Asiatiques de l’Est excellent dans l’entrepreneuriat parce qu’ils sont réceptifs au sacrifice et à des gratifications différées, et parce qu’ils cherchent un capital d’épargne plutôt que la consommation ostentatoire. L’entrepreneuriat est en luimême un processus long et risqué, qui requiert un travail patient et des années de planification. On doit aussi avoir une perspicacité entrepreneuriale et une éthique du travail telles que le démontrent les Hakkas de la diaspora chinoise.
Institutions, incitations, culture et chance
Une autre différenciation culturelle est l’individualisme opposé au communautarisme. Pour expliquer quelque chose qui ne s’est jamais produit avant le XVIIIe siècle, en l’occurrence la croissance économique, les premiers économistes étaient obsédés par la culture. La norme pour Adam Smith (1776), c’est que les gens regardent leur propre intérêt («self-interested»), mais qu’ils le satisferaient en s’adaptant aux besoins des autres. Max Weber (1905) rend concrète la thèse smithienne en postulant que c’est la solide éthique du travail des protestants qui a fait émerger le capitalisme. Cependant, l’essor des économies japonaise, chinoise et indienne a détruit la notion wébérienne que seule la culture occidentale favorise l’industrialisation.
Si l’intérêt des économistes pour la culture revient en force, ils ne négligent pas pour autant les institutions, à savoir le système légal et les régulations. Mais les institutions ne sont-elles pas le produit de normes, de valeurs et de préférences ? L’île Maurice indépendante a délibérément opté pour le Conseil privé du Royaume-Uni, qui a bien servi son économie en garantissant une sécurité juridique aux investisseurs. De plus, inspirée de la Charte européenne des droits de l’homme, la Constitution de Maurice protège les droits de propriété, condition fondamentale d’une économie libre.
La diversité de la population, un aspect culturel, a aussi contribué à la transformation de l’économie mauricienne en produisant des effets de réseau positifs sur la promotion du commerce et de l’investissement à l’étranger. Deux autres facteurs y ont compté, notamment les incitations fiscales et la chance d’un contexte international favorable, à l’instar de la libéralisation de l’économie indienne qui a relancé l’offshore mauricien en 1992. On peut donc dire qu’un pays s’enrichit grâce à une combinaison d’institutions de liberté, d’incitations économiques, de culture et de chance. L’île Maurice en était un exemple, mais aujourd’hui le dépérissement des institutions économiques, les désincitations à créer des emplois, le faible taux d’activité des femmes, le vieillissement démographique, les instabilités géopolitiques et les poussées protectionnistes dans le monde constituent un mélange détonant pour elle.
Dès lors, une société qui peine à évoluer culturellement échouera à se moderniser et à soutenir la croissance économique. Et si, pour citer Victor Hugo, «il n’est rien au monde d’aussi puissant qu’une idée dont l’heure est venue», c’est bien l’économie de la culture.
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