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Farrah Jahangeer
La quête de solutions durables
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Farrah Jahangeer
La quête de solutions durables
Farrah Jahangeer, directrice du Centre d'études du développement territorial indo-océanique (CEDTI).
Ces jours-ci, Farrah Jahangeer, directrice du Centre d’études du développement territorial indo-océanique (CEDTI) est dans tous les médias grand public en raison du colloque de trois jours qu’elle et ses collègues organisent sur «l’eau dans tous ses états insulaires». Mais la quête de cette architecte de formation va au-delà de cette considération importante. Ce qu’elle veut, c’est proposer des solutions durables à ses compatriotes. Son portrait en marge de ce colloque.
Cette jeune femme de 39 ans est la fille de Bashir Jahangeer, ingénieur et directeur d’Energy & Smart Automation Engineering Ltd. Elle est née au Koweit. La famille qui comprend aussi son frère cadet, Tarek, aujourd’hui ingénieur comme son père, a regagné Maurice lorsque Farrah a eu 11 ans. Comme elle n’avait parlé que l’anglais et le kreol, elle a dû mettre les bouchées doubles pour apprendre le français et réussir son Certificate of Primary Education et les concours de l’Alliance française. Elle y est parvenue et on peut dire qu’elle n’a pas à rougir de son français.
Elle a effectué sa scolarité secondaire au collège Gaëtan Raynal et s’est classée 17e après les lauréats côté technique. Si dans un premier temps, elle se voit artiste car elle adore dessiner, son père lui fait réaliser que l’art ne nourrit pas son homme. Comme la famille a beaucoup voyagé et qu’elle a une fascination par le bâti et ses changements dans différents pays, elle opte pour des études supérieures en architecture. C’est à la Mackintosh School of Architecture à Glasgow en Ecosse qu’elle est admise et entame son Bachelor. Une fois les difficultés d’adaptation surmontées, Farrah Jahangeer navigue comme un poisson dans l’eau dans ses études, obtenant son diplôme, puis sa maîtrise en architecture, qui porte sur l’espace sonore en milieu urbain et l’impact que l’acoustique peut avoir sur une personne. Le jury qui l’écoute soutenir son mémoire trouve le sujet très intéressant et novateur et l’encourage à faire son doctorat. Or, Farrah Jahangeer rêve de travailler enfin.
Le destin va l’aiguiller vers le doctorat car dans les années 2007-2008, la Grande-Bretagne est en récession et l’embauche est rare. Elle décide alors de compléter ses études supérieures par un doctorat et de se spécialiser en psycho-acoustique, soit la perception des ambiances sonores sur les lieux de travail. Ses cours lui laissent le temps d’effectuer des recherches sur différents lieux de travail et d’enseigner aux étudiants de première et de deuxième année à l’école d’architecture. «Le domaine acoustique, que ce soit sur le lieu de travail ou à domicile n’est traité que lorsque l’édifice est finalisé. Or, il devrait être considéré en amont. Pour mon doctorat, j’ai conçu des indicateurs destinés à être considérés au moment de la conception du bâti. C’est ce qu’on nomme la Noise geometry et j’ai proposé de l’introduire dans la phase de conception et dans le cahier des charges de l’architecte.» Sa thèse porte sur l’étude de l’acoustique sur les lieux de travail à Glasgow et à Maurice. Farrah Jahangeer décroche son doctorat en 2016 et regagne Maurice en se disant que c’est une halte temporaire en attendant de trouver un emploi à l’étranger car en sus de l’enseignement, elle veut faire de la recherche. «Il y a suffisamment d’architectes à Maurice et pas assez de chercheurs.»
Elle postule auprès de plusieurs institutions à l’étranger et en dernier lieu, elle le fait auprès d’une école d’architecture qui va se mettre en place à Médine, soit l’Ecole supérieure d’architecture de Nantes, Mauritius (ENSA Mauritius). C’est de cette dernière institution qu’elle reçoit une proposition d’embauche et elle l’accepte. Farrah Jahangeer y est non seulement enseignante mais est aussi nommée directrice. A partir de là, elle jette les bases d’une véritable institution d’enseignement supérieur offrant des cours menant à la licence et à la maîtrise d’architecture. Si au départ, ENSA Mauritius n’a qu’une dizaine de professeurs locaux et une petite équipe française pour une première promotion d’une trentaine d’étudiants, au bout de sept ans où elle dirige l’école, celle-ci finit par compter une cinquantaine de professeurs et approximativement 150 étudiants.
Première proposition
L’an dernier, Farrah Jahangeer décide de ralentir le pas et de consacrer davantage son temps à la recherche indépendante car elle réalise qu’à Maurice, «il y a beaucoup de recherches menées mais dans des sphères académiques et celles-ci ne sont pas accessibles au grand public. Il manquait un centre de recherche indépendant.» Elle démissionne comme directrice, tout en se réservant quelques heures pour l’enseignement à ENSA Mauritius et fonde le CEDTI. Avec quelques collègues, ils font une première proposition au Forum Afrique-Europe, organisé par l’Institut français de Maurice, en novembre 2023. Au cours d’un atelier, Farrah Jahangeer et un de ses collègues chercheurs, venu de Limoges en France, donnent la parole aux jeunes de la région à travers un exercice de cartographie participative afin de saisir leur regard sur leur habitat d’aujourd’hui et de réfléchir à son évolution future sous les effets du changement climatique. Ils sont aussi invités à dessiner leur quartier idéal. Un atelier qui fait mouche aussi bien auprès des participants qu’auprès de leurs hôtes puisque l’ambassade de France et l’IFM décident de les financer pour un an afin que Farrah Jahangeer et ses collaborateurs puissent formaliser le CEDTI et lui donner des missions très précises.
Cinq missions et cinq pôles de recherche
C’est ainsi que le CEDTI se met en place. Ses cinq missions sont de constituer un collectif diversifié d’expertises locales et globales ; d’encourager l’engagement des communautés locales et le public à y participer ; de créer un écosystème de recherche ; de s’ouvrir à différentes professions afin d’être une plateforme pluridisciplinaire ; et de diffuser et de vulgariser des informations fiables. Le CEDTI est donc le premier centre de recherche indépendant axé sur le développement spacial lié au territoire urbain et régional. Depuis l’an dernier, le CEDTI s’est étoffé. «Nous avons un collectif de membres et des coordonnateurs pour nos cinq pôles de recherches que sont la transformation digitale ; la géographie des transitions dans le contexte actuel ; les ressources créatives et les ambiances ; les compétences pour les territoires durables ; et l’architecture résiliente. Nous avons établi un calendrier et avons un an pour poser les bases et pérenniser nos missions», raconte la directrice du CEDTI.
En août, afin de tâter le pouls et savoir si le CEDTI est sur la bonne voie, ce centre de recherches avait organisé un atelier sur les droits de l’environnement et dont le thème était «Et si le territoire avait une voix ?». Le thème de l’eau s’est alors imposé à Farrah Jahangeer et à ses collègues, surtout après le passage du cyclone Belal. «Nous sommes un pays en développement mais lors de chaque cyclone, il y a en moyenne 1 500 sinistrés dans les centres de refuge. Ce n’est pas normal. Si l’on veut s’adapter au changement climatique, il faut travailler dessus. C’était donc inévitable que notre colloque porte sur l’eau (voir encadré)».
Ce colloque, poursuit Farrah Jahangeer, est vraiment «un état des lieux et un moment destiné à développer des stratégies et des partenariats là où il faut.»
Bornes de recharge pour l’électromobilité
Cette architecte, mariée à Ashraf, s’est achetée une voiture électrique, il y a trois ans, mais s’est vite découragée car ce n’était pas une sinécure pour recharger sa batterie qui s’est cassée au bout de trois semaines. «Il fallait soit être cliente chez un concessionnaire ou en racheter une autre.» Frustrée, elle se dit alors qu’il est temps de démocratiser les bornes de recharge pour voitures électriques et après s’être renseignée, elle créé une compagnie en ligne nommée Sustainable Energies For Aprica (SEFA) avec l’objectif d’éduquer la population sur l’importance des voitures électriques et lui proposer les infrastructures nécessaires. SEFA qui s’est trouvée un fournisseur européen étranger, commercialise des bornes de recharge de fabrication européenne et s’occupe de leur installation. Des bornes adaptées à toutes les marques de voitures électriques. «Nous avons une équipe d’ingénieurs qui se charge de l’installation et de l’entretien de ces bornes chez les particuliers et les entreprises.»
Les voitures électriques à Maurice sont un marché en pleine expansion puisqu’il y en a plus de 3 000. «Il y a eu une transition rapide à Maurice au cours des trois dernières années. SEFA a set the tone par rapport au prix qui est raisonnable. On arrive à maintenir la garantie sur le chargeur et sur l’installation. La progression du SEFA est constante, même si depuis que nous avons mis en place la compagnie, nous avons eu 14 concurrents. La différence repose sur le produit et le service. Si je ne voulais que faire des ventes, j’aurais exposé les bornes de recharge dans les supermarchés. Ce que je veux, c’est créer un écosystème pour l’électromobilité non seulement du point de vue du fournisseur et des usagers mais aussi au niveau des lois. L’Afrique du Sud a développé une régulation sur l’électromobilité. Nous avons la roadmap dans ce domaine, qui a été adoptée par le ministère de l’Energie mais une roadmap n’est qu’une stratégie et ce qu’il faut, c’est mettre en place des cadres pour l’application de l’électromobilité dans l’île.» Un autre domaine de recherche sur lequel il faudra assurément compter avec Farrah Jahangeer.
Demandez le programme du colloque
Ce colloque sur «l’eau dans tous ses états insulaires» démarre le mardi 26 novembre à l’amphithéâtre et au Micro-folie de l’IFM à Rose-Hill avec une session intitulée «Koz-Koze» de 9 h 30 à 15 heures. Elle sera ouverte par Pamela Bapoo-Dundoo, coordonnatrice nationale du GEF, Programme des Petites Subventions au Programme des Nations Unies pour le Développement, suivie de la présentation de projets de recherche sur l’urbanisme, la géographie, l’architecture et l’ingénierie environnementale.
De 15 h 30 à 17 heures, place à «Zenes dan dilo», soit des des étudiants d’ENSA Mauritius qui présentent leurs projets sur l’urbanisme et l’architecture en lien avec le thème du colloque et en collaboration avec leurs chargés de cours. La cérémonie d’ouverture officielle est prévue à partir de 18 heures.
La session du mercredi 27 novembre qui s’intitule Koz-Koze commencera à 14 heures par la présentation jusqu’à 16 h 30 de projets de recherche sur l’urbanisme, la géographie, l’architecture et l’ingénierie environnementale. A 17 heures, place aux témoignages. Le Collectif Nou, soit un groupe de diplômés en architecture oeuvrant pour la culture architecturale locale, présentera son projet de recherche sur le terrain. Entre 17 et 19 heures, ce sera une session d’immersion virtuelle avec une vidéo de Vipin Dhunnoo, doctorant à l’université Bond de Sydney en Australie, qui montrera cette ville australienne inondée. Cette journée se terminera par la projection de courts-métrages ayant pour thème «Autour de la mer» et réalisés par Patrice Canabady.
Le jeudi 28 novembre, entre 9 h 30 et 9 h 55, Miriam Hillawi Abraham, designer multidisciplinaire, fera une présentation sur la recherche transformative et un processus actif pour la résilience des communautés. Finalement, entre 10 et 15 heures se tiendra un atelier où il sera question d’identifier les domaines et projets nécessitant de la recherche transformative et les actions à prendre. Atelier suivi d’un débat sur l’économie circulaire de l’eau. Pour rappel, ce colloque est ouvert au public.
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