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Questions à… Fabienne Boll

«La sous-représentation des femmes réside dans l’espace maçonnique, comme partout»

26 novembre 2024, 21:49

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«La sous-représentation des femmes réside dans l’espace maçonnique, comme partout»

Fabienne Boll, Grande Chancelière de la Grande loge féminine de France (GLFF), était à Maurice du 25 octobre au 1er novembre dans le cadre de la célébration des 20 ans de la loge «Le Flamboyant». Elle a accordé une interview à «l’express», situant l’apport de la maçonnerie féminine dans une société conservatrice et patriarcale, à publier après les élections.

Vous êtes grande chancelière de la GLFF et conseillère fédérale. Qu’impliquent ces rôles ?

La Grande loge féminine de France est, selon son statut juridique, une fédération d’associations, ce qui implique, entre autres, l’organisation d’une assemblée générale annuelle au cours de laquelle est élu son conseil d’administration. Les membres élues sont appelées conseillères fédérales. La présidente, appelée Grande Maîtresse, est Liliane Mirville. Elle est aidée dans sa gouvernance par deux adjointes. La Grande Chancelière est l’une de ses deux adjointes et s’occupe plus particulièrement des relations avec les autres obédiences (organisations maçonniques) en France et à l’étranger, ainsi que des loges (nom donné aux lieux de réunions) en outre-mer et à l’international.

La GLFF, c’est combien de pays/maçonnes à travers le monde et à Maurice ?

La GLFF compte actuellement 13 000 membres présentes en France et dans le monde, qui sont réparties dans plus de 450 loges. C’est une obédience relativement jeune car fondée en 1945. C’est en 1982 que la première s’est implantée à Maurice. Elle se nomme la Rose de l’aurore. Deux autres loges se sont ouvertes depuis, dont une Shooting Star, qui travaille uniquement en anglais. Aujourd’hui, nous comptons 150 sœurs mauriciennes parmi nos membres.

Quel est le but de votre venue à Maurice ?

Nous avons une relation étroite avec nos loges qui sont à l’international et avec qui nous travaillons régulièrement. C’est plus particulièrement la célébration des 20 ans de l’ouverture de la loge Le Flamboyant, qui a été l’occasion de cette visite dans l’île.

Au départ, les loges étaient masculines avant de devenir mixtes. La GLFF a la spécificité de ne travaillerqu’avec des femmes. Quel en est l’intérêt ?

Spécificité féminine ne signifie ni un repli ni une défiance par rapport à un travail partagé avec des hommes, ce qui n’aurait aucun sens dans une société où la mixité est de règle. Mais ce choix répond à une nécessité de trouver un temps et un espace de réflexion et de parole qui nous soient propres. Dans une société pluraliste, il est souhaitable que soit offert le choix de la mixité ou de la non-mixité pour ce qui ressort de l’ordre privé, de l’intime et plus particulièrement, lorsqu’il s’agit d’une démarche initiatique. Sachez que dans nos loges, nous sommes profondément attachées aux principes d’ouverture et que nous recevons tout francmaçon ou toute franc-maçonne d’une autre obédience, qui souhaite partager nos travaux.

Les élections en France ont-elles eu un impact sur les relations entre les maçons/ maçonnes/loges/obédiences ?Qu’en est-il de Maurice où il y a eu des élections législatives récentes avec des craintes d’entrave à notre liberté d’expression et d’accès à l’information ?

L’impact des élections en France n’a été que de nous unir et de nous réunir autour de valeurs communes que nous portons, les valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, ainsi que la laïcité à laquelle nous sommes très attachées. À Maurice également, chaque citoyen a mesuré l’importance d’aller voter. Le droit de vote est parfois chèrement acquis. C’est également un devoir pour que la voix de chacune soit entendue. Voter relève du libre choix de chacune mais nous invitons à une grande vigilance face aux pensées totalitaires ou extrémistes. Vous avez de la chance de vivre dans la diversité. Préservez cela et sachez en extraire l’essence. Encore une fois, ce n’est que mon avis car les sujets politiques ou religieux ne sont pas évoqués en loge.

Une politicienne a-t-elle sa place en loge ?

Lorsque nous sommes en réunion, nous demandons à chacune de laisser en dehors de nos travaux tout ce qui peut relever des honneurs ou de leur statut social afin d’être en égalité avec toutes ses «sœurs», c’est ainsi que nous nous appelons entre nous. Aussi, toutes les femmes ont leur place en loge, même les politiciennes, à condition qu’elles ne parlent pas de politique.

Comment la franc-maçonnerie féminine mauricienne peut-elle faire bouger les choses dans une société souvent cataloguée de conservatrice et de patriarcale ?

Travailler entre femmes nous permet de prendre pleinement conscience de notre identité féminine et de notre responsabilité dans l’accomplissement de notre rôle de femme dans la société. C’est ce qui fonde notre spécificité et nourrit notre conviction. Le croisement de nos regards nous permet de prendre confiance en nous, de nous réunir autour d’idéaux de justice et de paix dans le respect de la place de chacun et de chacune, qu’il soit homme ou femme, en toute égalité. Nous nous battons pour ce principe d’égalité au quotidien dans nos univers personnels, familiaux et professionnels.

Y a-t-il égalité/équité de genres entre francs-maçons à Maurice ou retrouve-t-on une sous-représentation des femmes, comme dans nos conseils d’administration, directions et partis politiques ?

La franc-maçonnerie masculine est bien plus ancienne et les francs-maçons bien plus nombreux. La GLFF fêtera ses 80 ans en 2025. La GLFF s’est constituée en 1945. La même année, les femmes françaises ont obtenu le droit de vote, ce qui nous plaçait alors déjà dans une démarche émancipatoire, qui se poursuit aujourd’hui encore. Hélas, dans l’espace maçonnique, la sous-représentation des femmes est présente comme dans les différents domaines économiques et politiques.

Quel est le profil des femmes que vous recrutez ? Est-ce élitiste et sélectif et y a-t-il un système de parrainage pour entrer ?

L’entrée en franc-maçonnerie est une démarche personnelle et volontaire. On ne peut pas toujours bien identifier les raisons qui nous poussent à y entrer, mais on sent intuitivement qu’il est nécessaire d’élargir son horizon, de repousser ses propres limites, d’échanger avec d’autres, de tenter de comprendre autrement. Les femmes qui rejoignent la GLFF sont dans une recherche, une quête spirituelle. De quelle spiritualité est-il question ? Il s’agit d’une spiritualité ouverte, libre, un pari sur l’esprit, qui est différent de la spiritualité de la croyance religieuse. Les sœurs de la GLFF sont athées, agnostiques ou croyantes… Peu importe ! Nous affirmons simplement que nous sommes des «êtres d’esprit» ou des «êtres spirituels». Nous ne sommes pas dans une démarche de recrutement. Nous ouvrons notre porte aux femmes qui souhaitent emprunter un nouveau chemin et le partager avec d’autres femmes, elles-mêmes porteuses des mêmes valeurs. Il n’y a pas de parrainage.

Pour autant, n’entre pas qui veut. Nous vérifions que les femmes qui souhaitent nous rejoindre soient réellement dans une démarche initiatique dans le sens d’un progrès en humanité, avec comme socle commun les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité.

Est-ce que la maçonnerie est à l’image de la sociétémauricienne, multiculturelle et religieuse ?

La GLFF rassemble des femmes de tous horizons et de toutes cultures, désireuses de travailler ensemble dans un objectif d’accomplissement d’elles-mêmes et de progrès social. Les sœurs mauriciennes sont à l’image de la société multiculturelle de Maurice. Elles sont d’origines et de religions différentes. Précisons encore que l’appartenance à une religion ou non relève du choix personnel et intime de chacune. Elle n’est donc ni une condition ni un frein à une entrée en franc-maçonnerie.

Pensez-vous qu’aujourd’hui en 2024, la Mauricienne peut dire ouvertement qu’elle est franc-maçonne ? Qu’en est-il en France ?

Où qu’elle soit, chaque franc-maçonne est libre de dire qu’elle l’est ou non. Mais ce dévoilement n’est pas aisé. La démarche maçonnique est souvent mal comprise. On lui prête une réputation et des pouvoirs injustifiés. Il semble néanmoins, en France, plus facile de se dire ouvertement franc-maçonne. La Mauricienne doit rester plus discrète parce que certaines d’entre elles, notamment celles exerçant dans la fonction publique, craignent des répercussions dans leur travail. D’autres préfèrent taire leur préférence, souvent encore mal comprise par méconnaissance et crainte. En effet, on entend encore à Maurice, dans certains milieux, que nous sommes des coupeurs de têtes ou des buveurs de sang pour les pires aberrations, si ce n’est pas des allégations de népotisme démesurées au détriment de la compétence.

Pourquoi est-ce encore une société si secrète aujourd’hui ? Ne pensez-vous pas que la méconnaissance de la francmaçonnerie vous dessert ?

Le secret occupe une place importante dans la tradition maçonnique. Les secrets liés aux rituels sont fondamentaux pour l’expérience maçonnique. Ils accompagnent chaque étape d’un cheminement qui est personnel. Il appartient à chacune d’entre nous de les percer, de les comprendre afin de continuer à progresser tant sur son chemin personnel que sur celui de la construction d’un monde que nous souhaitons meilleur, plus juste, plus équitable et surtout, en paix. Bien sûr, ce secret nous dessert car dans une société dans laquelle le principe de transparence prend une grande place, on se méfie de ce qui est caché. Ce secret, au contraire, nous protège. Nous sommes assurées de pouvoir avoir une parole libre, sans jugement et en confiance. Le vrai secret de la franc-maçonnerie est qu’il ne peut pas s’expliquer mais qu’il doit se vivre pour être compris. Un savoir qui doit être compris et intégré.

En résumé, la discrétion des franc-maçonnes est liée à des considérations historiques, culturelles et philosophiques, qui visent à protéger leur organisation, ses membres et les enseignements qu’elles partagent. Pour conclure, je voudrais vous préciser notre ambition. Comme l’affirme l’article I de notre Constitution, nous avons pour but : «La recherche constante et sans limite de la vérité et de la justice, dans le respect d’autrui, afin de contribuer au perfectionnement de l’humanité.»