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Circonscription n°18: Belle-Rose–Quatre-Bornes

La ville des fleurs entre roses et épines

8 mai 2024, 22:00

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La ville des fleurs entre roses et épines

Ils ont pour habitude de voter à contre-courant. On dit d’eux qu’ils sont des «électeurs intelligents»… Les Quatrebornais sont connus pour être bornés – dans le bon sens du terme, le «vot blok» n’étant pas dans leurs moeurs. En prévision des élections générales, «l’express» sillonne les 21 circonscriptions pour tâter le pouls des Mauriciens. Embarquons aujourd’hui pour le n°18, appelé à devenir le plus gros «vivier» de votants avec le redécoupage électoral.

Glaïeul ? Hortensia ? Jacinthe ? Jasmin ? Lilas ? Vous n’en verrez pas au niveau de l’artère principale de la ville des fleurs, la mal nommée. Si les rues arborent des noms de belles plantes dans des quartiers chics, si les beaux jacarandas font de la résistance dans la cour de la municipalité, au niveau de la route St-Jean, ça ne sent pas la rose. Les problèmes d’évacuation des eaux usées, de drains, au niveau des couloirs jouxtant des restaurants de fast-food, notamment, sont récurrents à «Qua-qua-tre-Bornes». Le ramassage d’ordures est erratique par endroits, selon des habitants qui se plaignent sur une page Facebook dédiée aux problèmes de leur ville.

En ce lundi matin, entre bruine et percée du soleil, les rues grouillent de monde. Une foule bigarrée témoigne de la métamorphose d’une fourmilière en devenir, où l’on voit de plus en plus d’étrangers – Africains, Indiens, Bangladais. À tel point que les langues de là-bas caressent aussi souvent les oreilles que nou langaz mama d’ici… Entre les sirènes hurlantes des pompiers, ambulances et policiers, les avertisseurs sonores du métro, les tympans s’accrochent tant bien que mal et s’ajustent à ce quotidien carillonnant. La voix de Catherine Wong, 59 ans, est chantante. Son sourire et sa bonne humeur n’ont d’égale que sa verve. Cela fait plus d’un demi-siècle qu’elle habite à Sodnac. Ce qu’elle pense de l’évolution de sa ville ? «Je n’en peux plus de cette circulation ! Je ne conduis plus le long de la route St-Jean, j’emprunte d’autres ruelles. Je n’ai rien contre le métro, ça aide, mais il aurait fallu que ça soit sur pilotis… Lot fwa-la enn kamion inn anpann, inn blok partou. Et puis il y a trop de béton, trop de constructions, on étouffe, papa oh ! Je recontre même des problèmes d’eau, alors que cela n’avait jamais été le cas jusqu’ici.»

Catherine Wong.jpg Catherine Wong

Quid de la performance des élus ? «Ayo, sa zot koz enn ta kozé apré pa trouv zotmem, zot disparet. Pa ek briyani ki pou vinn kouyonn mwa, mo kwi sa tré bien momem…» Mais ce qui préoccupe surtout la petite dame coquette à souhait, c’est la cherté de la vie ; et elle ne maquille pas ses mots. «Zot pran dan pos gos zot met dan pos drwat, zot krwar zot pé kouyonn nou.»

Son amie, Marlène Li Ting Sang, 74 ans, est moins loquace. Cela fait six qu’elle a son étal ici. À côté de ses sacoches colorées, elle est loin de broyer du noir. Ce qu’elle aimerait, c’est qu’on s’intéresse davantage à ses produits…

Marlène Li Ting.jpg Marlène Li Ting Sang

Vous l’aurez compris, nous nous trouvons à la foire artisanale, où des entrepreneures exposent leurs produits deux fois par mois.

Une fréquence qui ne satisfait pas Violet Appadoo, 67 ans. «Ti kapav fer li ankor enn lindi.» Entre gâteaux, plantes, bracelets, vêtements, sacs, bibelots, les yeux, ravis, ne savent plus où donner de la tête. Tout en remettant en place des tresses violettes «fashion», la jeune sexagénaire déclare que «lavi zoli isi».

Violet.jpg Violet Appadoo

La performance des élus, elle n’a pas grand-chose à en redire. Ce qui a cueilli Violet, c’est l’augmentation de la pension. Si un autre parti renchérit ? «Ahahaha nou ava gété lerla…»

«Kisanla ki bann élus isi», lâche innocemment Joëlle Valère, 60 ans, symbole de zénitude. La politique ? L’habitante de l’avenue Trianon no 1 s’en moque comme de l’an quarante. Ce qui est certain, c’est que ses croix iront à côté des noms de femmes au prochain scrutin, car elles sont plus à même de «nous comprendre».

Joëlle Valère.jpg Joëlle Valère

Ce qui l’inquiète quelque peu, c’est l’insécurité, avec les nombreux vols recensés. «Il faudrait prévoir plus des mesures pour cela.» Des patrouilles policières nocturnes plus régulières.

Plus loin, des tourtereaux au milieu de leurs tartelettes et napolitaines. Cela fait sept ans que Vimal et Jenita Gopee, 37 et 35 ans, se sont dit oui. Ils disent non cependant au métro. «Quatre-Bornes inn défigiré…» Le tropplein de béton les dérange au plus haut point. «Avan ti pli korek, ti kapav respiré, aster si ou bizin al lopital Candos, pourtan li pré, larou bizin fer koustik», déplore Vimal, qui habite Belle-Rose. «Pa pé dir tou parey mé la plipar politisien manter. Kan eleksyon promet tou kalité zafer, apré zot porté disparu.» Jenita redoute, elle, la disparition de son pouvoir d’achat. «Cela devient de plus en plus difficile de faire face au coût de la vie, eux se contentent de se remplir les poches.» La situation est telle que le couple hésite à faire un bébé. Malgré l’allocation de Rs 2 000 accordée aux enfants jusqu’à leurs trois ans ? «Oui. Cela ne vaut plus rien de nos jours…»

Vimal et Jenita.jpg Vimal et Jenita Gopee

Entre motos, autos et métro, pour traverser la route St-Jean, il faut prévoir une minerve en cas de torticolis et maîtriser l’art du sauve-quipeut, les feux étant souvent en mode trop pressés quand ils n’ont pas disjoncté. Le cou ayant imité Emily Rose dans l’Exorciste pour jauger le danger de cette périlleuse «croisade», on se retrouve de l’autre côté du marché. Engoncée dans son tailleur sans prétention, sa silhouette menue tranche avec sa voix grave. Gina (prénom d’emprunt), 22 ans, habite à Résidence Kennedy. «Mo pé rod enn travay. Mo ti al fer interview Rose-Hill. Mé les mo dir ou ki ankor ena prézizé dan sa péi-la, kan ou sorti cité banla get ou lot kalité parfwa. Pa partou mé éna landrwa…» Ce qui inquiète cette maman d’un petit de deux ans ? «Lavi mari ser. Kan ou ena zanfan pli grav. Apré, ladrog pé fer ravaz. Mo per pou mo zanfan. Seki propoz vré solision pou sa bann problem-la pou zot mem mo pou voté.» Elle n’a pas souhaité être prise en photo, «tansyon gagn problem dan landrwa laba».

Retour de l’autre côté de la rue. La drogue, c’est aussi un des sujets abordés par Moussa Punjoo, 36 ans. «Il faut des mesures plus fermes pour combattre ce fléau qui touche nos jeunes.» Pendant qu’il prend la pose au milieu des géraniums de ses amis fleuristes, le boucher, qui habite l’avenue Telfair, estime que «gouvernman pe fer bien. Bann minis lor térin, zot ed dimounn». Qu’a fait le ministre de l’Environnement pour la ville, le pays, à part distribuer des médailles aux petits joueurs de foot lors des tournois organisés au complexe sportif Jean Roland Delaître (NdlR, ‘Pavillon’ pour les habitants) ? «Li lor térin li. Li ed dimounn. Linn netway térin tousala.» Nous abandonnons le terrain glissant, nous n’en saurons pas plus.

Moussa.jpg Moussa Punjoo

Même si les filles de joie – nombreuses jadis – sont pratiquement invisibles aujourd’hui, ayant sans doute migré vers les réseaux sociaux pour appâter les clients, la vie, de jour comme de nuit, est loin d’être triste dans cette ville vibrante, où commerces, restaurants, snacks et bureaux, entre autres, foisonnent. L’incertitude demeure dans cette circonscription qui nage souvent à contre-courant. Les électeurs feront-ils encore une fois des vagues aux prochaines législatives ? Ce verdict indécis, seules les urnes le livreront…

Mais avant cela, quelques mètres plus haut, au niveau de la pharmacie St-Jean, nous tombons sur Kapil Daby. Son âge au vénérable? «Monn fini tous Rs 13 500-la mwa, ou konpran la…» Le dispenser, analyste politique en herbe, nous donne sa lecture des choses. «La ek sa rédékoupazla, konfigirasion pou sanzé… Ou kontan ou pa kontan, dimounn ankor get kast…» N’est-il pas temps de changer cette mentalité archaïque ? «Pou li sanzé foldé bann dinozor assizé bez kas salé. Mo dir ou pou ena sirpriz isi akoz rédékoupaz la…»

Kapil Daby.jpg Kapil Daby


Redécoupage = le plus gros réservoir d’électeurs

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Nouvelles délimitations obligent, la circonscription n°18 émergera aux prochaines élections avec le plus grand nombre d’électeurs, soit 58 267. Pour cause, l’Electoral Boundaries Commission, dans son dernier redécoupage en 2020, y a rattaché quatre quartiers – Palma, Bassin, Résidence Kennedy et Trianon – auparavant annexés à la plus grande circonscription en superficie (Savanne/Rivière-Noire. Quelque 16 242 nouveaux électeurs vont ainsi migrer vers la ville des fleurs. Pour autant, leur inclusion ne change pas radicalement la configuration physique de cette ville car ces quartiers nouvellement rattachés en font physiquement partie malgré le contraste saisissant entre deux extrêmes – quartiers huppés et faubourgs avec leur lot de misère sociale.

À Bassin, dans le nouveau complexe de maisons individuelles NHDC, les 101 résidents vivent visiblement en toute tranquillité, loin des fléaux sociaux qui rongent d’autres habitations. Une banderole de Linite Militan, au début de ce pâté de maisons, rappelle le passage des politiciens de ce parti et les fréquentes visites de ses députés et activistes pour labourer le terrain en vue du prochain scrutin. D’autant plus que ses habitants voteront pour la première fois au n°18.

Kumaren Munesami, retraité revenu s’installer dans son île natale après 45 ans passés en France et propriétaire depuis 2021, se réjouit des efforts déployés par les autorités pour permettre aux résidents de vivre dans des conditions relativement saines. «Si la région est dotée d’infrastructures basiques, il y a toutefois encore des facilités qui manquent. Entre 11 heures et 14 heures, pas d’autobus et même pas d’abribus. Du coup, la grosse majorité de résidents doivent avoir une voiture pour se déplacer.» Il ne s’en plaint pas outre mesure car il comprend que cette nouvelle agglomération mi-rurale – mi-urbaine n’a pas forcément toutes les infrastructures nécessaires. «Nous n’avons pas encore d’espaces commerciaux pour faire notre shopping. Il faut aller dans le centre de Quatre-Bornes ou dans des boutiques du coin à quelques kilomètres.»

Kumaren Munesami.jpg Kumaren Munesami

Est-il sensible aux enjeux des élections ? Non, dit-il, voulant rester loin de la politique politicienne. Néanmoins il a des idées sur la démocratie et les institutions du pays. «Je ne comprends pas comment le chef du gouvernement peut cumuler autant de fonctions avec une telle concentration de pouvoirs. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays. Je note aussi que malgré les nombreux scandales dans lesquels nos VVIP sont impliqués, il n’y a pas eu jusqu’ici un seul écroué contrairement à la France où un ministre mis en examen et envoyé en prison relève d’une pratique courante de la justice.»

Joindre les deux bouts

Jouxtant ce morcellement, Bassin respire aussi la nature avec de grands espaces verts près du parc spirituel avec ses cours d’eau et son parcours de santé. Assise sur un banc, Fabiola Brasse, 49 ans, est une mère de famille divorcée de la rue Edward Hart, près du supermarché Winners. Employée de MauriFacilities Ltd, société d’État engagée dans le nettoyage des écoles et espaces publics, elle a achevé à 11 h 30 la première partie de sa journée qui s’achève à 16 h 30. Avec un salaire de Rs 16 500, elle ne sait pas à quel saint se vouer pour joindre les deux bouts. «J’ai un loyer de Rs 8 000 et après avoir réglé les factures du CEB et de la CWA, il ne me reste pratiquement rien pour acheter à manger.»

Fabiola Brasse.jpg Fabiola Brasse

Si elle reconnaît que le gouvernement a d’excellentes réalisations comme le Metro Express et l’amélioration des infrastructures routières, Fabiola insiste pour un meilleur contrôle de prix. «Le gouvernement doit soulager les gens au bas de l’échelle en augmentant leur pouvoir d’achat. Aujourd’hui, il faut attendre les promotions de fin de mois pour s’approvisionner en produits essentiels. Cela ne peut pas continuer. L’État doit intervenir pour stopper certaines hausses de prix injustifiées», se désole cette employée dont le fils formé en plomberie au MITD recherche un premier emploi.

À l’entrée de Palma, Hemraj Ramnauth, 65 ans et propriétaire d’une boutique, est inquiet du nombre de voitures qui empruntent cette route complètement délabrée à vive allure avec des risques d’accidents. «Nous avons plus d’une fois fait des représentations auprès des députés pour améliorer l’état de cette route incontournable pour atteindre Bassin mais aucune réponse jusqu’ici.» Il constate impuissant que les ventes ont baissé drastiquement. «Les habitants de la localité viennent acheter quelques articles de consommation courante mais privilégient les grandes surfaces pour leur shopping. D’ailleurs, les camions ne viennent que rarement nous approvisionner en bière et boissons gazeuses. À terme, les quelques boutiques qui restent deviendront le folklore de ce business, appelé à disparaître.»

Hemraj Ramnauth.jpg Hemraj Ramnauth

Le boutiquier demeure très cynique face aux promesses électorales. «À la veille des élections, les candidats tant du gouvernement que de l’opposition vont multiplier leurs offres mais une fois les élections terminées, ils disparaîtront dans la nature. Ici, deux problèmes sont récurrents : la drogue et le chômage parmi les jeunes. Mon fils en est un exemple ; il a soumis au moins 2 000 applications et sa carte a été tamponnée pendant 25 ans sans qu’il ne soit convoqué pour un job.» Quid des mesures annoncées par le PTr-MMM-ND ? «C’est bien de les entendre mais comment va-t-on les financer ? Est-ce que l’opposition compte avoir recours à de nouvelles taxes pour collecter des revenus pour financer ces mesures ?» s’interroge le sexagénaire.

Grégoire Chellapnaick, 78 ans et habitant de la NHDC de Palma, partage les mêmes inquiétudes. Ce retraité de General Construction Ltd ne vit qu’avec sa pension de vieillesse de Rs 14 000. S’il concède que celle-ci a augmenté significativement en dix ans, il note qu’avec l’augmentation du coût de la vie et une roupie fortement dévaluée, ces Rs 14 000 ne représentent pas grand-chose. «Tout est englouti dans la consommation.» Avant d’ajouter qu’il voit se profiler à l’horizon un vent de changement.

Grégoire Chellapnaick.jpg Grégoire Chellapnaick

Chômage et drogue

Lieu d’intenses discussions et d’animation, La Louise grouille généralement de monde avec des taxis qui font la queue. Or, aujourd’hui, on peut compter sur le doigt d’une main le nombre attendant une course. Sous le couvert de l’anonymat, un propriétaire constate qu’au fil d’années, le métier de taximan n’attire plus de jeunes, vu les risques d’agression de malfrats. «Ce phénomène a toujours existé mais il gagne du terrain. Les risques sont surtout la nuit. J’ai décidé de faire un choix, ne travailler que la journée. Je me contente de ce que je gagne.»

Khushal de Souza, propriétaire d’une camionnette qu’il opère depuis trois mois, note que les courses se font rare. «En une journée, on peut n’avoir qu’une course ou deux pour transporter des matériaux ou des déchets. Souvent, les clients ne souhaitent pas payer le tarif demandé. Pour une course de Rs 2 000, ils vont discuter pour l’avoir à Rs 1 000. On refuse car on n’arrive même pas à rentrer dans nos frais.»

Khushal de Souza.jpg Khushal de Souza

Par ailleurs, il éprouve des grosses difficultés à trouver des manoeuvres. «Il est triste de signaler que tous les helpers sont devenus des drogués. Il leur faut leur dose le matin avant de commencer à travailler.» Face à la cherté de la vie, il propose un meilleur monitoring de prix dans les supermarchés et pharmacies. «À mon avis, c’est la principale préoccupation de la population. À la veille des élections, il faut que les candidats qui réclament nos votes soient en mesure de nous dire comment i l s comptent aborder cette problématique de prix.»

À la rue Berthaud, où s’aligne, entre autres, l’espace commercial de la famille Ramano, Ashita Toolsy tient un petit commerce de légumes depuis une dizaine d’années . Mariée et mère de deux enfants, elle est témoin des problèmes sociaux qui gangrènent les régions de Berthaud/La Source. «La drogue qui gagne les jeunes constitue une source d’inquiétude pour les habitants. On a assisté ces derniers temps à des vols dont le mobile reste la drogue. Il faut plus que jamais que le gouvernement vienne avec des mesures musclées pour contenir la prolifération de la drogue à l’échelle régionale et nationale du pays. Les autorités doivent urgemment s’exprimer sur cette question mais aussi sur d’autres comme le chômage qui frappe les faubourgs et les quartiers pauvres de cette circonscription.» La gérante de ce petit bazar est consciente que sans un engagement ferme des dirigeants du pays, les choses se dégraderont sur le front social et économique.

AshitaToolsy.jpg Ashita Toolsy

Reste à savoir si le nouveau réservoir d’électeurs de ces quartiers annexés pèsera de tout son poids sur le décompte final au jour J. Pour ou contre l’Alliance Morisien ?

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