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L’an prochain à Diego Garcia…
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L’an prochain à Diego Garcia…
Londres demande au gouverneur de Maurice, Sir John Shaw Rennie, de sonder les dirigeants politiques et d’évaluer leurs attentes en termes d’indemnisation en échange des îles. © Vel Kadarasen/L’express
Chapitre I : Le pot-de-vin
Parce que l’actualité dépend de l’histoire, parce que les faits et discours d’aujourd’hui doivent être vus sous le prisme du passé, «l’express» publie, à partir d’aujourd’hui et tous les mardis, par chapitres, le livre de Jean Claude de l’Estrac sur les Chagos, avec le soutien des Éditions le Printemps, où vous pouvez retrouver cet ouvrage.
C’est une histoire de duperie.
De mensonges et de lâchetés.
Peut-être pis encore.
L’aveu vient du Foreign Office britannique : lors des discussions entre les divers services de Whitehall impliqués dans les tractations qui ont mené au démembrement du territoire de Maurice, il a été d’abord question de gros sous. Il avait été décidé de détacher l’archipel de Chagos de Maurice, d’évacuer tous les habitants des îles pour faciliter l’installation de la base militaire anglo-américaine de Diego Garcia. Pour le Foreign Office, l’élément le plus important des négociations a été le dédommagement à payer à Maurice, alors colonie britannique. Il est qualifié de «pot-de-vin». Il sera versé pour persuader les autorités politiques locales d’accepter ou tout au moins de laisser se réaliser le projet de défense anglo-américain dans l’océan Indien et d’approuver le démembrement de leur territoire. Le même raisonnement est tenu à l’égard des Seychelles. Cette constatation est faite dans une lettre que Martin R. Morland, du sous-secrétariat permanent, transmet le 22 juin 1965 à J. A. Patterson, du département du Trésor¹ .
M. Morland dit lui-même que s’il parle aussi crûment, c’est parce que le gouvernement britannique a estimé ne pouvoir obtenir l’accord, jugé indispensable, des autorités politiques mauriciennes sur le projet de démembrement de leur territoire qu’en leur proposant une «généreuse indemnisation». Il en est de même pour les Seychelles, le projet anglo-américain prévoyant également l’annexion des îlots seychellois d’Aldabra, Farquhar et Desroches, tous trois situés dans la partie occidentale de l’océan Indien.
Les Britanniques estiment qu’il sera nécessaire de proposer à Maurice et aux Seychelles non seulement diverses formes de dédommagement, definancements de projets de développement, mais «peut-être aussi d’autres incitations²». La nature exacte de ces incitations n’est pas précisée.
Dans une communication à Washington, le Foreign Office évoque les «douceurs» devant être proposées aux deux gouvernements. Le mot «douceurs» est en français dans le texte.
De son côté, le gouverneur de Maurice, sir John Shaw Rennie, croit pouvoir préciser que «la valeur du bribe (pot-de-vin) ne doit pas changer en fonction du nombre d’îles détachées⁴».
Le Foreign Office n’a pas peur des mots. Dans une lettre à l’ambassadeur N. C. C. Trench à Washington, l’assistant du sous-secrétaire d’État au Foreign Office, Edward Peck, est explicite : «nous savons qu’il sera difficile d’obtenir des Américains qu’ils participent financièrement au graissage de patte (bribing) des deux gouvernements concernés⁵ ...»
Ce projet de création d’une nouvelle base militaire anglo-américaine sur des îles reprises à Maurice et aux Seychelles a commencé à se dessiner dès 1961. Il a pour origine un double contexte : d’une part, le vent de la décolonisation qui souffle sur les territoires coloniaux, et de l’autre l’affrontement idéologique Est-Ouest qui a engendré une guerre froide traduite notamment par l’apparition des premiers bâtiments de guerre soviétiques dans l’océan Indien. Les Occidentaux craignent que la liberté de navigation dans la région ne soit menacée. C’est ainsi qu’à l’initiative des États-Unis, un accord secret est signé en 1961 entre le président américain, John Fitzgerald Kennedy, et le Premier ministre britannique, Harold Macmillan.
En vertu de cet accord, les Américains s’engagent à installer une base militaire dans la région pour la défense des intérêts occidentaux «à la double condition que le territoire anglais choisi pour l’abriter échappe au processus de décolonisation et que sa population en soit entièrement évacuée pour des raisons de sécurité⁶».
Un accord de principe est conclu en 1963 entre des représentants des deux pays. Il prévoit que «si une étude le recommande, une station militaire américaine de communications et des installations de soutien devraient être construites sur l’île de Diego Garcia, dans l’archipel des Chagos, administrée par Maurice, mais située à plus de l 000 miles au nord-est de l’île principale». Il est déjà établi que la station de communications pourrait être le prélude d’un projet de plus grande envergure avec d’autres facilités dans les autres îles. Il est agréé que les Américains financeront les travaux et que les Britanniques se chargeront de faire évacuer les populations habitant les îles choisies et de payer tout dédommagement nécessaire aux intérêts locaux.
À l’occasion d’un voyage du secrétaire d’État britannique à Washington et à New York, en mars 1965, et après avoir étudié toutes les implications de l’opération – militaires, juridiques et diplomatiques –, les Britanniques donnent formellement leur accord.
Les stratèges britanniques qui ont analysé la situation militaire de l’océan Indien sont sensibles aux besoins des Américains. Ils notent que depuis l’attaque chinoise de 1962 contre l’Inde, et peut-être plus tôt, les Américains ont pris conscience d’un «vide» dans leur dispositif militaire dans la région. Ils n’ont pas de forces déployées en permanence entre la Méditerranée et les Philippines. D’autre part, les Britanniques estiment que si eux-mêmes doivent maintenir une présence militaire à l’est de Suez, ils ont intérêt à promouvoir une plus grande coopération militaire anglo-américaine dans l’océan Indien, et s’ils devaient se retirer graduellement, il ne serait pas moins utile d’assurer une présence américaine. L’étude conjointe anglo-américaine, menée dans les îles, est réalisée avec l’accord de Seewoosagur Ramgoolam, qui dirige le gouvernement autonome de Maurice. Assez vite, les experts qui inspectent les îles arrivent à la conclusion que Diego Garcia serait un excellent choix pour l’établissement d’une base militaire. Isolé, mollement administré par Port-Louis, l’archipel, peu peuplé, est situé à une distance presque égale des côtes de l’Afrique orientale, des archipels indonésiens, de l’Australie et de l’Irak. Il est aussi proche de l’Asie du sud, un point chaud en raison de la rivalité entre l’Inde et le Pakistan. Tel un «porte-avions», Diego Garcia est exceptionnellement bien située pour contrôler tout l’océan Indien. En fait, les Britanniques en rêvent depuis fort longtemps : déjà en 1786, aux prises avec les Français, ils avaient envoyé de l’Inde une expédition dans l’île pour y installer une «base militaire⁸» .
Le choix fait, conformément à leur accord secret, les Britanniques tentent une première approche auprès du chef du gouvernement mauricien. Ils évoquent la possibilité de détacher quelques-unes des îles de l’archipel. Ils constatent que la première réaction de Seewoosagur Ramgoolam est «réservée⁹». C’est que même si les Britanniques ne parlent que de «station de communications», les dirigeants mauriciens sont parfaitement au courant de leur intention à long terme. Des rumeurs d’installation d’une base américaine dans la région circulent déjà. Elles ont provoqué des réactions hostiles de certains gouvernements africains et asiatiques, ainsi que de Moscou et de la conférence des pays non-alignés qui s’est déroulée au Caire.
Mais, les critiques et les oppositions ne freinent aucunement Whitehall. Il est rapidement décidé que le Colonial Office devrait prendre les mesures constitutionnelles voulues afin de détacher les îles en question. Le ministère de la Défense est invité à calculer le «prix d’achat» de ces îles et évaluer le potentiel militaire de chacune d’elles.
Lors d’une visite à la Maison-Blanche, le 15 avril 1965, le Premier ministre britannique, Harold Wilson, rassure les Américains qui s’impatientent. Ils trouvent que le projet n’avance pas suffisamment vite. Wilson déclare que les Britanniques sont tout aussi pressés de faire aboutir ce projet de développement de «bases» dans l’océan Indien – «base» est le mot utilisé par Wilson¹⁰.
Le Premier ministre britannique réaffirme son engagement de faire aboutir le projet, malgré «l’embarras politique» dont le Royaume-Uni pourrait être l’objet aux Nations unies et ailleurs. Le Royaume-Uni appréhende une levée de boucliers à l’Onu. En 1960, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Déclaration 1514 (XV) sur l’indépendance des territoires et des peuples coloniaux. Cette déclaration demande l’indépendance complète des territoires autonomes comme Maurice et les Seychelles, sans modification de leurs frontières. Elle condamne «toute atteinte visant à bouleverser, partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays¹¹».
Le gouvernement britannique reconnaît que le démembrement éventuel des territoires mauricien et seychellois, en violation donc de la charte des Nations unies, provoquera des «accusations de colonialisme et d’impérialisme». Pour tenter d’atténuer ces critiques, il n’a de cesse de souligner qu’il agit en consultation permanente avec les dirigeants politiques locaux.
Le Premier ministre britannique admet que le Royaume-Uni paiera un «prix» politique pour cette opération. Il se préoccupe également de son coût en termes d’indemnités à payer aux intérêts commerciaux concernés, «mais aussi du prix qu’il faudra payer au gouvernement local pour la cession des îles en question». Il souhaite que la proposition soit davantage discutée, notamment son aspect juridique ; il s’agit de savoir si les gouvernements locaux peuvent vraiment exiger un dédommagement en contrepartie du démembrement de leur territoire¹².
Cette question a été analysée par l’administration britannique, qui a conclu que même si elle est en droit de détacher ces îles, un dédommagement devrait quand même être payé pour écarter tout risque de «chantage¹³».
Et comme il s’annonce bien plus élevé que prévu au départ, les Britanniques décident de reprendre la discussion avec les Américains et de solliciter une contribution financière de leur part¹⁴.
Bien que toutes ces tractations soient censées se dérouler dans le plus grand secret entre les deux gouvernements, la presse internationale commence à publier des révélations sur ce projet anglo-américain. En réaction, le Commonwealth Relations Office met en place une ligne de défense qui consiste à nier l’imminence de la construction d’une quelconque base, reconnaissant seulement en public l’existence d’une étude conjointe anglo-américaine à ce sujet.
Dans une déclaration à la Chambre des communes, le 5 avril 1965, Mme Eirene White, sous-secrétaire d’État aux Colonies, précise que le chef du gouvernement mauricien a été consulté quant à l’étude visant à trouver des sites possibles «pour certaines facilités limitées». Elle déclare que le conseil des ministres mauricien a été tenu informé, que les résultats de l’étude étaient toujours examinés et que le Premier sera de nouveau consulté avant toute annonce à Londres et à Washington. Cette position officielle est communiquée aux diplomates britanniques en poste dans les pays du Commonwealth, à l’exception de New Delhi, dont Londres se méfie¹⁵.
1. The National Archives (TNA), (UK) : Public Records Office (PRO). 22 June 1965. Letter from M. R. Morland, Foreign Office, to J. A. Patterson, HM Treasury. FO 371/184524 Z4/86.
2. TNA. PRO. 22 May 1965. Draft of telegram from Commonwealth Relations Office to British High Commissions. FO 371/184524 Z4/70.
3. TNA. PRO. 21 April 1965. Letter from E. H. Peck, Foreign Office, to N. C. C. Trench, British Embassy, Washington. FO 371/184523 Z4/35.
4. TNA. PRO. 3 May 1965. Defence facilities in the Indian Ocean – Minute by M. R. Morland, Foreign Office. FO 371/184523 Z4/47/G.
5. TNA. PRO. 7 May 1965. Letter from E. H. Peck, Foreign Office, to N. C. C. Trench, British Embassy, Washington. FO 371/184523 Z4/48/G.
6. Oraison, André, «Diego Garcia : enjeux de la présence américaine dans l’océan Indien», Afrique Contemporaine, 2003. 219
7. TNA. PRO. 24 February 1965. Defence Interests in the Indian Ocean – Memorandum by the Foreign Secretary, Defence Secretary and the Commonwealth Secretary. FO 371/184522 Z4/12/G.
8. Toussaint, Auguste, L’océan Indien au XVIIIe siècle. Paris, Flammarion, 1974, 65.
9. TNA. PRO. 22 February 1965. Defence Interests in the Indian Ocean – Memorandum by the Foreign Secretary, Defence Secretary and the Commonwealth Secretary. FO 371/184522 Z4/12/G.
10. TNA. PRO. 15 April 1965. Extract from record of meeting between Mr Rusk and the Prime Minister [Harold Wilson] [at the White House]. FO 371/184523 Z4/52.
11. Declaration on the Granting of Independence to Colonial Countries and Peoples, G. A. Res. 1514, U. N. Doc A/RES/1514 (14 December 1960).
12. TNA. PRO. 15 April 1965. Extract from record of meeting between Mr Rusk and the Prime Minister [Harold Wilson] [at the White House]. FO 371/184523 Z4/52.
13. TNA. PRO. 7 April 1965. Defence Facilities in the Indian Ocean – Minute to the Prime Minister, OPD(65)68 CAB 148/20.
14. TNA. PRO. 26 April 1965. Defence facilities in the Indian Ocean – Minute from Michael Stewart to Colonial Secretary. FO 371/184523 Z4/40/G.
15. TNA. PRO. 21 April 1965. Defence interests in Indian Ocean – Telegram from Commonwealth Relations Office to British High Commissions. FO 371/184523 Z4/36.
Chapitre II : Les secrets
Le gouvernement américain ne veut pas s’embarrasser outre mesure des retombées politiques pour Londres du démembrement de ses colonies. Il est de plus en plus pressé de prendre possession des îles choisies. Il invite le gouvernement britannique à finaliser au plus vite les discussions avec Maurice et les Seychelles. Mais le Royaume-Uni veut avancer avec prudence. Bien que résolu à affronter les critiques politiques, il veut obtenir à tout prix l’accord des deux gouvernements locaux, espérant ainsi désamorcer partiellement les contestations diplomatiques.
Cet accord est maintenant considéré comme d’autant plus crucial que l’examen à Whitehall de la légalité du projet de démembrement a clairement montré que «les îles font légalement partie du territoire de la colonie concernée». En conséquence, les experts britanniques considèrent l’assentiment des autorités politiques locales comme «fondamental pour la constitutionnalité de «l’excision» des îles concernées¹». C’est pour obtenir cette indispensable caution qu’ils ont décidé de proposer aux gouvernements locaux des «indemnités généreuses».
Le gouvernement britannique estime qu’il faudrait prévoir au moins dix millions de livres sterling, compte tenu surtout de la nécessité d’aboutir rapidement à un accord. Cette estimation est basée sur une proposition de dédommagement de l’ordre de deux à trois millions de livres pour chacun des territoires. Il est prévu d’utiliser ce montant afin de construire un nouvel aéroport à Mahé, aux Seychelles. Maurice obtiendrait l’équivalent pour financer divers projets de développement. Les Britanniques craignent, toutefois, que les Mauriciens ne tentent de marchander lors des négociations constitutionnelles sur l’indépendance, fixées au mois de septembre. Ils voudraient donc pouvoir régler la question au plus vite.
Ces problèmes d’argent ne préoccupent pas les Américains. Ils sont plus pressés que jamais. Ils confirment aux Britanniques leur choix de Diego Garcia pour l’installation de ce qu’ils présentent toujours comme «une station de communications» avec des facilités de soutien, en particulier une piste d’atterrissage. Ils envisagent de commencer les travaux fin 1966 et de mettre la station en service fin 1968. Ils exigent que les autres îles choisies soient également retranchées pour des raisons de sécurité, même si elles ne sont pas considérées comme essentielles.
L’île seychelloise d’Aldabra fait aussi partie du plan «par précaution», bien qu’aucun projet spécifique ne soit prévu dans l’immédiat, ni sur les autres îles, notamment Coëtivy, Agalega, Farquhar, Desroches et Cosmoledo. Les Britanniques se rendent compte que «les propositions américaines se sont maintenant développées en quelque chose de beaucoup plus vaste que ce qui avait été envisagé». Le secrétaire d’État aux Colonies demande même si cette plus grande opération ne va pas provoquer des répercussions internationales encore plus sérieuses.
Pour mesurer les risques, Londres demande au gouverneur de Maurice de sonder les dirigeants politiques et d’évaluer leurs attentes en termes d’indemnisation. Sir John Shaw Rennie est invité à laisser entendre aux dirigeants politiques que si leurs exigences devenaient trop lourdes, il se pourrait, compte tenu des difficultés financières du Royaume-Uni, que le projet soit abandonné. C’est clairement une posture de négociation. Le gouvernement britannique est au contraire déterminé à tout faire pour prendre possession des îles en question. Le Foreign Office considère qu’elles sont d’une valeur inestimable pour le Royaume-Uni et les États-Unis, et qu’il ne faudrait, en aucun cas rater l’«occasion probablement unique de retrancher ces petites îles faiblement peuplées pour des objectifs stratégiques⁴».
Le gouverneur de Maurice ne tarde pas à faire savoir au secrétaire d’État aux Colonies, que dans les circonstances politiques locales, le Parti mauricien social-démocrate (PMSD), membre de la coalition gouvernementale mais opposé à l’indépendance, pourrait se montrer difficile.
Entre-temps, le gouvernement britannique relance les Américains sur la possibilité d’obtenir d’eux une contribution financière au dédommagement. Le coût de sa participation à l’opération inquiète de plus en plus le Royaume-Uni, en butte à des problèmes économiques, d’autant plus qu’une polémique fait rage au sein de l’administration pour savoir lequel des ministères devrait supporter les frais de «l’acquisition» des îles convoitées. Les Américains ne manquent pas de faire remarquer que les Britanniques cherchent à remettre en question les termes de leur accord initial. Londres ne le nie pas.
Dans une note préparée à l’intention d’Anthony Greenwood, le secrétaire d’État aux Colonies, en prévision d’une rencontre avec Dean Rusk, secrétaire d’État américain, le 10 mai 1965, Edward Peck, assistant du sous-secrétaire d’État au Foreign Office, fait une mise en garde : «si nous n’arrivons pas rapidement (ce qui veut dire généreusement) à un accord, une agitation dans les colonies contre le «démembrement» et les «bases étrangères» (fomentée de l’extérieur) aura le temps de prendre des proportions sérieuses, en particulier à Maurice, où l’équilibre politique d’une société multiraciale peut facilement être déstabilisé⁶…»
À Londres, au lendemain de cette discussion, le conseil des ministres prend la décision d’accélérer le processus. Les Américains sont informés que toutes leurs propositions sont acceptées en principe, mais que le projet dépend de l’accord des deux gouvernements locaux, accord que Londres considère toujours comme «essentiel».
Le conseil des ministres a discuté en détail des indemnités à payer et en général des conditions à réunir pour obtenir l’acceptation des deux gouvernements. Il a été convenu que les exploitants des îles, les employés qui y travaillent et les gouvernements – «pour la perte de territoires» – devront tous être dédommagés. Ils confirment leurs propositions de l’ordre de deux à trois millions de livres sterling, toujours sous la forme de la construction d’un aéroport pour les Seychelles et d’un don pour le financement de divers projets de développement à Maurice.
La question de possibles demandes supplémentaires de Maurice est évoquée, notamment un gros contingent d’émigrants vers le Royaume-Uni, et des efforts à faire afin d’obtenir un accord américain sur un quota substantiel d’exportation de sucre aux États-Unis. Le gouvernement britannique estime toutefois que ces demandes n’ont aucune chance d’aboutir.
Mais en même temps, Londres dit reconnaître qu’il serait raisonnable que les gouvernements de Maurice et des Seychelles s’attendent à une forme d’indemnisation, en raison de la perte de leurs territoires. Il dit vouloir recevoir une indication du montant «qui rendrait le projet acceptable pour leur opinion publique». Afin de tenter de minimiser les revendications financières des dirigeants locaux, outre de laisser entendre que les Américains pourraient abandonner leur projet de base, il est conseillé aux gouverneurs de souligner auprès des dirigeants politiques mauriciens que c’est le gouvernement britannique, et non américain, qui sera responsable de payer toutes les indemnités.
Le fait que des officiels discutent déjà de la demande britannique de participation financière américaine au dédommagement n’est pas divulgué. Londres craint que Maurice et les Seychelles ne réclament davantage d’argent en apprenant que les Américains vont y contribuer.
Toutes ces questions font l’objet d’une discussion, le 14 mai 1965, entre hauts responsables américains et britanniques. La délégation américaine, conduite par Jeffrey Coleman Kitchen, sous-secrétaire d’État pour les Affaires politico-militaires, explique d’abord les contraintes budgétaires qui empêchent l’administration américaine de participer à l’indemnisation en versant une contribution «visible». Le représentant du Foreign Office réplique que la contribution demandée peut ne pas être publiquement liée au projet. Kitchen a manifestement une idée sur la manière de contourner le problème. Il promet d’étudier la possibilité d’obtenir un paiement dans le cadre des programmes anglo-américains de recherche et de développement.
Les conditions sont maintenant réunies pour que Londres présente des propositions formelles à Maurice et aux Seychelles. Les gouverneurs des deux îles reçoivent du Colonial Office un argumentaire élaboré qui explique la position du Royaume-Uni. Les Américains, qui valident ce document, s’assurent que rien ne transpire de leurs objectifs à long terme. Ils obtiennent que toute référence à des futurs développements d’installations militaires soit censurée.
Le Colonial Office confirme que l’intention est de retrancher constitutionnellement les îles choisies de Maurice et des Seychelles et d’établir, par un «Order in Council», une nouvelle administration britannique. Un «Order in Council» est un acte réglementaire fait au nom de la reine d’Angleterre par son «Conseil privé» indépendamment du pouvoir législatif. Le Colonial Office réaffirme que «les Américains ne seront disposés à réaliser le projet à aucune autre condition. Toute idée de mise à disposition des îles requises par le biais d’une location ou d’un accord de défense avec Maurice ou les Seychelles doit être écartée…» Les Britanniques disent même craindre, dans ces conditions, que les Américains ne cherchent ailleurs.
Whitehall n’accorde pas beaucoup d’attention à une proposition du gouverneur des Seychelles, qui observe que les problèmes politiques pourraient être évités si les Seychelles étaient tout simplement intégrées au Royaume-Uni, après y avoir ajouté les Chagos et Agalega…
Dans les débats qui se déroulent sur la question à Whitehall, c’est à peine si le problème de la population des îles à retrancher est évoqué. Il est seulement noté qu’«il sera nécessaire de réinstaller la main-d’œuvre (en tout 500 âmes) actuellement associée aux plantations de coco sur Diego Garcia, mais aucun autre mouvement de population ne sera nécessaire sur aucune autre île en anticipation d’une décision dans chaque cas d’y développer des installations de défense».
Dans une note adressée aux dirigeants des pays du Commonwealth et sollicitant leur soutien, le Foreign Office déclare tout de même que le Royaume-Uni «prend bien soin, en étroite consultation avec les gouvernements de Maurice et des Seychelles, de veiller à ce que les intérêts des populations locales soient protégés. En tout état de cause, ces îles sont petites, isolées et peu peuplées (seulement quelques centaines de travailleurs engagés et leur famille¹³)…»
Chapitre III
1. TNA. PRO. 30 April 1965. Defence Facilities in the Indian Ocean – Telegram from Foreign Office to British Embassy, Washington. FO 371/184523 Z4/44/G.
2. TNA. PRO. 3 May 1965. Telegram from Foreign Office to British Embassy, Washington. FO 371/184523 Z4/46/G.
3. TNA. PRO. 18th March 1965. Telegram from Secretary of State for the Colonies to Mauritius and Seychelles. FO 371/184524 Z4/56/G.
4. TNA. PRO. 7 May 1965. Defence facilities in the Indian Ocean: Brief for the Secretary of State’s discussion with Mr Rusk [USA]. FO 371/184523 Z4/64/G.
5. TNA. PRO. 8 May 1965. UK/US Defence Interests, Telegram from Sir John Shaw Rennie to the Secretary of State for the Colonies. FO 371/184523 Z4/55/G.
6. TNA. PRO. 7 May 1965. Defence facilities in the Indian Ocean: Brief for the Secretary of State’s discussion with Mr Rusk [USA] FO 371/184523 Z4/64/G.
7. TNA. PRO. 15 June 1965. Defence Interests in Indian Ocean : Brief by the Commonwealth Office. FO 371/184523 Z4/84/G.
8. TNA. PRO. 18 May 1965. UK/US Defence Interests. Draft telegram to Governor Mauritius and Governor Seychelles (PAC 93/892/01) FO 371/184524 Z4/62/G.
9. TNA. PRO. 14 May 1965. Defence Facilities in the Indian Ocean : meeting between United States and United King dom officials. FO 371/184524 Z4/62/G.
10. TNA. PRO. 18 May 1965. UK/US Defence Interests. Draft telegram to Governor Mauritius and Governor Seychelles (PAC 93/892/01) FO 371/184524 Z4/62/G.
11. TNA. PRO. 15 May 1965. UK/US Defence Interests. Telegram to Secretary of State for Colonies from Seychelles (O.A.G.). FO 371/184524 Z4/67/G.
12. TNA. PRO. 15 May 1965. Defence Interests in Indian Ocean.[Draft telegram] from Commonwealth Relations Office. W. Circular 114. FO 371/184524 Z4/70/G.
13. Ibid.
Les Chagossiens
«Les populations locales» que les Britanniques envisagent de déplacer habitent depuis la fin du XVIIIe siècle l’archipel des Chagos, un chapelet de 64 îlots coralliens, au cœur de l’océan Indien, mais isolés du reste du monde. La plus grande île de l’archipel, Diego Garcia, mesure près de 21 kilomètres de long du nord au sud et une dizaine de kilomètres dans sa plus grande largeur au nord ; elle s’étend sur 230 kilomètres carrés. L’île en forme de V abrite un profond lagon. Au centre de l’archipel s’étend le Grand banc des Chagos. À l’ouest du banc, les Trois Frères, l’île de l’Aigle, l’île aux Vaches et l’île Danger. Au nord, se trouvent les îles Peros Banhos et Salomon. Au sud-ouest, émerge le groupe des Six îles, parfois appelées îles Egmont.
En cette fin des années soixante, les habitants de ces îles éparses n’ont de contact extérieur qu’avec Maurice. Les Chagos sont une colonie de la colonie. Après les Portugais qui l’avaient découvert, les Français explorent l’archipel dès 1769. Déjà, un officier de marine, le lieutenant La Fontaine, explore le lagon de Diego Garcia et constate qu’«un grand nombre de navires pourrait s’y abriter en sécurité¹». En 1776, un armateur de l’île de France, Deschiens de Kerulvay, tente d’installer un poste à Diego Garcia. Plus tard, en 1786, il demande à nouveau une concession. Il se propose d’y entreposer des Noirs qu’il irait chercher en Afrique pour les vendre ensuite aux îles d’Amérique, après une période d’acclimatation.
Les Britanniques s’intéressent aussi à ces îles. Ils voient immédiatement leur intérêt stratégique. Leur première apparition aux Chagos remonte à 17633. Ils envisagent un moment d’y implanter un comptoir d’approvisionnement. Durant la Deuxième Guerre mondiale, Diego Garcia est utilisée comme poste de ravitaillement en charbon. Pendant quelques années, les deux puissances maritimes se disputent l’archipel. Finalement, pour écarter un risque de guerre, les Britanniques décident d’abandonner la place.
La plupart des «Chagossiens» habitent trois des îles de l’archipel : Diego Garcia, Peros Banhos et Salomon. Ce sont des descendants d’esclaves, arrivés de Madagascar et du Mozambique, expédiés dans les îles pour le compte de compagnies franco-mauriciennes qui exploitent des cocoteraies. Les cocotiers sont la grande richesse des Chagos. Les noix servent à fabriquer de l’huile de coco, qui est exportée. Aux Chagossiens de souche, établis dans les îles, depuis deux ou trois générations, se sont ajoutés au fil des années des travailleurs engagés sous contrat venus de Maurice, des Seychelles et du sud de l’Inde. Mais près de 80 % des résidents se considèrent comme natifs des Chagos.
L’essentiel de l’économie des îles gravite autour du ramassage des noix de coco, de leur épluchage, de leur traitement pour la fabrication de l’huile. Depuis des décennies, la plupart des Chagossiens sont au service de sociétés huilières qui exploitent l’abondance des cocos. Une première exploitation a démarré à l’initiative de Pierre Marie Le Normand, un colon français possédant de grandes plantations à l’île de France. Ce propriétaire d’esclaves se désolait du grand nombre de lépreux parmi les esclaves de l’île de France. Il demande au gouverneur, le vicomte de Souillac, la permission de créer une léproserie à Diego Garcia. Il est persuadé que l’air pur des îles et la qualité de la nourriture fera le plus grand bien aux malades. Il sollicite également une concession pour planter des cocotiers et produire de l’huile.
Encouragé par l’administration, Le Normand s’installe à Diego Garcia, accompagné de vingt-deux esclaves⁶ . Il est suivi par d’autres bénéficiaires de concessions et l’un d’entre eux, Lapotaire, construit une huilerie dès 1794. Bientôt, les frères Cayeux l’imitent. Et c’est ainsi qu’apparaît très tôt ce qui deviendra la principale activité économique de l’archipel⁷. Ces «dépendances» de l’île de France, sont finalement cédées à l’Angleterre en 1810, lors de la prise de l’île de France. Le traité de Paris, signé en 1814, rattache toutes les dépendances de l’ancienne île de France, y compris Diego Garcia, à la nouvelle colonie britannique, qui prend le nom de Mauritius, Maurice.
Pour relancer les activités économiques dans les dépendances de Maurice, le premier gouverneur britannique, Robert Farquhar, accorde des concessions aux frères Hullard dans les îles Trois Frères en 1813 ; au cours de la même année, d’autres concessions sont accordées à Peros Banhos aux colons Allain et Bigard, qui les transfèrent rapidement au colon Majastre. Jean Mallefille et William Stone obtiennent des concessions dans les îles Salomon pour exploiter le bois. Pour développer leurs affaires et malgré l’interdiction du commerce des esclaves par les Britanniques, les titulaires de concessions réussissent à se faire expédier de nouveaux esclaves déjà installés à Maurice.
Une Société huilière de Diego et Peros est créée en 1883. Elle est remplacée par Diego Limited, qui vend ses droits en 1962 à Chagos Agalega Limited. La nouvelle compagnie qui achète les îles de l’archipel des Chagos est créée par Paul Moulinié et d’autres actionnaires des Seychelles qui achètent pratiquement toutes les plantations de coco de Diego Garcia, Peros Banhos, Salomon ainsi que celles d’Agalega. Pendant un moment, la compagnie de navigation mauricienne qui assure le transport de l’huile de coco produite dans les îles, la Colonial Steamship Co. Ltd, filiale du conglomérat Rogers & Co., envisage de prendre le contrôle de la société seychelloise. Elle se ravise durant une visite de ses dirigeants à Diego Garcia et dans les autres îles de l’archipel, en août 1961.
Alors qu’il est en visite de prospection et qu’il négocie avec le promoteur seychellois des huileries, René Maingard, un directeur de Rogers reçoit un télégramme qui l’informe du peu d’enthousiasme des dirigeants de l’entreprise mauricienne du fait que le prix de vente du coprah sur le marché mondial est en baisse, la production excédant l’offre. Déjà au cours de la visite, Maingard n’avait pas été très impressionné par l’état des lieux. Il est séduit par la beauté des îles, en particulier Peros Banhos, mais se dit *«horrifié» *par ce qui se pratique dans certaines parties des îles, en particulier les méthodes d’extraction du guano (matière provenant d’excréments et de cadavres d’oiseaux marins9 ).
Le contexte politique est un autre aspect qui pousse la Colonial Steamship Co. Ltd. à abandonner le projet. Lorsqu’il est reçu par un représentant du gouverneur des Seychelles à Mahé, Maingard s’aventure même à suggérer que les îles seraient mieux loties si elles étaient rattachées aux Seychelles plutôt qu’à Maurice. Il pose la question de savoir si les Seychelles seraient éventuellement intéressés dans un transfert de Diego Garcia et d’Agalega sous sa dépendance. Il explique au représentant du gouverneur que la compagnie mauricienne a la possibilité d’acquérir une majorité dans les Oil Islands et qu’elle «joue avec l’idée» de se faire enregistrer aux Seychelles. L’Anglais se dit persuadé que son gouvernement y serait favorable tant que l’arrangement ne lui coûte rien10.
Malgré la défection des Mauriciens, avec l’arrivée des Britanniques, les liens entre les Chagos et Maurice se structurent quelque peu. Des navires partent assez régulièrement de Port-Louis, pour ravitailler la petite population. De temps en temps, un fonctionnaire mauricien visite les îles pour assurer un semblant d’administration ou un prêtre catholique va y prêcher la bonne parole et baptiser à tour de bras des «indigènes» analphabètes.
Le père Roger Dussercle, qui s’y rend assez régulièrement, est peiné par les difficultés de vie dans l’archipel : «rien ne pousse dans cette terre aride hormis le cocotier ; en sorte que la plus maigre verdure n’est pas là pour relever le riz quotidien que l’on mange sans brède, sans bouillon.» Ces conditions de vie misérables incitent quelques Chagossiens à tenter l’aventure mauricienne ; ils sont encore plus malheureux. Le prêtre en fait le constat : «et j’en sais de ces gens qui se mordent les doigts de s’être laissés aller un jour à réaliser la perspective – si faussement caressée – de se rendre à Maurice ; à Maurice où, se trouvant en dehors des classes locales, même les plus basses, ils n’ont rien à manger : c’est la famine pour eux ; et la fièvre pour les enfants, si beaux, si joufflus dans les îles, qui viennent s’étioler et mourir dans un climat qui n’est pas le leur.» Aussi du Chagossien exilé, l’unique désir est-il de retourner chez lui11.
Néanmoins les activités économiques s’intensifient avec l’arrivée de la compagnie créée par Moulinié. Malgré plusieurs années de déclin de l’industrie huilière, la nouvelle société espère en faire une activité rentable. Elle devient pratiquement le seul maître à bord et ses administrateurs gèrent leurs affaires «de manière plutôt féodale¹²». Chagos Agalega Limited, unique employeur, fait la pluie et le beau temps. Les inspections des fonctionnaires mauriciens sont rares. Au mieux, un magistrat vient une fois par an.
Entretemps, les administrateurs sont investis de tous les pouvoirs, y compris ceux d’arrêter et d’emprisonner des travailleurs jugés récalcitrants¹³.
Les conditions de travail sont médiocres. Les salaires sont très bas, mais la compagnie offre à ses employés des rations alimentaires. Elle possède des boutiques où l’on peut acheter quelques produits de base. Un dispensaire assure des soins élémentaires. L’accès à l’éducation est pratiquement inexistant. Ce qui n’empêche pas les Chagossiens d’apprécier ce style de vie. Rita, une Chagossienne, n’a jamais oublié : «Vous aviez votre maison – vous n’aviez pas de loyer à payer… Avec ma ration, je recevais dix livres et demi de riz chaque semaine, je recevais dix livres et demi de farine, je recevais mon huile, je recevais mon sel, je recevais mon dhal, mes haricots – c’est seulement du beurre de pistache et des haricots rouges que nous devions acheter. Et j’avais mon poisson frais… Nous plantions du giraumon, nous plantions des légumes. Nous avions du poulet. Les cochons étaient nourris par la compagnie et nous en recevions. Nous, on nourrissait des poules et des canards¹⁴.»
C’est cette même description d’abondance et de tranquillité que rapporte d’une visite dans les îles, vers la fin des années cinquante, le gouverneur de Maurice, Robert Scott. Le petit village d’East Point, à Diego Garcia, lui rappelle «un village français miraculeusement transféré en entier sur cette plage». Il est charmé par le bel ordonnancement des paysages et des bâtiments aux toits de chaume. Il visite l’hôpital, les garages, il se pâme devant les petits jardins de roses, d’allamanda et d’hibiscus. Deux inconvénients majeurs le frappent cependant : autour de nombreux canards, poules, chiens et chats qui encombrent les ruelles, il y a toujours de grosses nuées de mouches. Il y a aussi les rats, une vraie plaie ; ils dévorent une bonne partie des cocos récoltés, à peine moins que les scarabées qui pullulent. À tel point que les jeunes enfants ont deux sources d’argent de poche dans l’éradication des animaux nuisibles : trois sous pour un rat tué et un sou pour trois scarabées rhinocéros15…
Les adultes, eux, s’éreintent à ramasser les noix de coco qui sont maintenant exportées à Maurice. Un recensement estime en 1958, à la veille de grands bouleversements qui menacent les Chagossiens, à plus de quatre millions et demi le nombre de noix récoltées malgré les ravages des rats¹⁶.
1. Scott, Robert, Limuria : The Lesser Dependencies of Mauritius. Oxford, Oxford University Press, 1961, 68.
2. Toussaint, Auguste, Histoire des îles Mascareignes. Paris, Éditions Berger-Levrault, 1972, 83.
3. Toussaint, Auguste, L’océan Indien au XVIIIe siècle. Paris, Flammarion, 1974, 65.
4. Vine, David, Island of Shame. Princeton, Princeton University Press, 2009, 23.
5. Ly-Tio-Fane, H. and Rajabalee, S., “An Account of Diego Garcia and its People”, Journal of Mauritian Studies, 1 (1986), 92.
6. Scott Robert, op. cit., 20.
7. Maingard, René, Islands Voyage Diary, 29 August – 10 October 1961. Unpublished manuscript.
8. Ly-Tio-Fane, H. and Rajabalee, S., “An Account of Diego Garcia and its People”, Journal of Mauritian Studies, 1 (1986), 92.
9. Maingard, René, Islands Voyage Diary, 29 August – 10 October 1961. Unpublished manuscript.
10. L’Estrac, Jean Claude de, Report of the Select Committee on the Excision of the Chagos Archipelago, Mauritius, June 1983.
11. Dussercle, Roger, Archipel des Chagos. Port Louis, The General Printing & Stationery Co. Ltd., 1934, 100-102.
12. Chagos Islanders v. The Attorney General and Her Majesty’s British Indian Ocean Territory Commissioner (2003) EWHC 2222 (QB) HQ02X01287.
13. Ibid.
14. Vine, David, op. cit., 3.
15. Scott Robert, op. cit., 249. 16. Orian, Alfred, “Report on a Visit to Diego Garcia”, Revue agricole et sucrière, 38.3 (1959), 130.
Chapitre IV : Le prétexte
Les Chagossiens ne le savent pas encore, mais les Britanniques s’affairent déjà à mettre en place les moyens de les chasser de leurs îles. À Whitehall, on s’attend à ce que l’affaire fasse du bruit. Aussi, peu avant la présentation de leurs propositions aux gouvernements de Maurice et des Seychelles, ils préparent une offensive diplomatique pour anticiper et chercher à minimiser les contestations. Ils prévoient que l’installation de la nouvelle base provoquera de fortes critiques, surtout dans les cercles afro-asiatiques et communistes¹.
Il est convenu que le gouvernement britannique s’occupe dans un premier temps de mettre dans la confidence ses plus proches alliés, en particulier les dirigeants des pays du «vieux Commonwealth» – on précise même le «Commonwealth blanc» – et de demander leur soutien au cas où la situation deviendrait difficile.
Des pays tels que l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada sont complètement informés de l’importance de l’opération. En revanche, d’autres membres du Commonwealth, comme l’Inde, le Pakistan, le Sri Lanka, la Malaisie, le Kenya, la Tanzanie ou la Zambie, sont traités avec soupçon. Les directives envoyées aux diplomates britanniques en poste dans ces derniers pays les invitent à banaliser le problème.
La correspondance de Londres adressée à ses diplomates – après un examen pointilleux du texte par Washington – contient une série d’arguments visant à défendre leur projet conjoint. On fait observer que du point de vue du Royaume-Uni et du Commonwealth, le projet de base est bienvenu parce que, éventuellement il permettra aux Britanniques de remplir plus facilement leurs obligations envers leurs partenaires du Commonwealth et d’assurer «la défense du monde libre». Conscient de la méfiance de nombreux pays du Commonwealth à l’égard des motivations américaines, le Royaume-Uni met l’accent sur le fait qu’il conservera une «totale souveraineté» sur les îles où des installations militaires seront implantées. Les Américains eux-mêmes insistent pour que leur rôle soit minimisé autant que possible².
Quant «aux quelques habitants locaux», on assure accorder une grande attention à la protection de leurs intérêts, en consultation étroite avec les gouvernements de Maurice et des Seychelles. Les Chagossiens sont présentés comme «…seulement quelques centaines de travailleurs engagés sous contrat et leurs familles».
La campagne diplomatique vise surtout à nier l’importance des installations militaires prévues. Il est recommandé aux diplomates d’éviter à tout prix d’utiliser le mot «base». À la demande des Américains, les diplomates évoquent surtout des «installations limitées» ou une «station de communications et des installations minimum de soutien». Ils sont invités à démentir toute information concernant l’éventuelle présence d’armes nucléaires à Diego Garcia en s’abritant derrière la règle qui veut que ni les Américains ni les Britanniques ne confirment ni n’infirment jamais l’existence d’armement nucléaire nulle part³.
Malgré ces précautions diplomatiques, le Royaume-Uni sait d’avance qu’un certain nombre de pays seront hostiles au projet. Il estime que l’Inde sera forcément critique, même si elle pense qu’en privé, certains Indiens pourraient considérer «ces installations limitées dans l’océan Indien comme une contribution à la stabilité de la région et éventuellement une garantie pour eux-mêmes⁴». Le Pakistan pourrait aussi protester tout en appréciant «la contribution pratique des installations militaires nouvellement envisagées à la capacité des Britanniques de remplir leurs obligations au sein de l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est».
Mais un journal pakistanais proche du gouvernement, Dawn, met le feu aux poudres. Il publie le 23 mai 1965 un éditorial qui critique sévèrement le projet anglo-américain. Ce journal souligne que la future base vise à renforcer la présence militaire occidentale dans la région afro-asiatique et que sa création est motivée par la conviction qu’il existe dans cette région un vide qui sera rempli par la Chine s’il ne l’est pas d’abord par l’Occident.
L’éditorialiste fustige l’Inde qui, écrit-il, «encourage cette politique qui sert son propre chauvinisme de grande nation». Dawn fait remarquer que de telles bases seront «perpétuellement» à la disposition de leurs propriétaires puisque les îles choisies seront à l’abri de toute agitation anticoloniale ou autre soulèvement populaire. Elles accroîtront la capacité anglo-américaine d’intervenir en Asie et en Afrique en utilisant leurs bombes atomiques. Dawn estime en outre que la tentation d’intervenir dans des conflits locaux où les intérêts occidentaux sont en jeu sera plus grande, et ces interventions provoqueront inévitablement l’engagement des grandes puissances rivales, ce qui entraînera ainsi de nouveaux dangers pour la paix. «Il y a quelque chose de fondamentalement mauvais dans l’idée que les États-Unis ou le Royaume-Uni pourraient s’autodésigner comme protecteurs de pays afro-asiatiques et s’arroger le droit de décider de ce qui est bon pour tel ou tel pays», conclut l’éditorialiste⁵.
Tandis que les Britanniques cherchent le soutien du Commonwealth, les Américains mènent campagne dans d’autres pays. Le shah d’Iran est mis dans le secret et son aide sollicitée pour combattre «toute critique anticolonialiste» aux Nations unies et ailleurs⁶. Parallèlement, on décide de prévenir les pays de d’Alliance atlantique. À part l’Iran et Madagascar, les Américains proposent aussi que l’Arabie saoudite et l’Éthiopie soient mises au courant⁷. Le Premier ministre éthiopien est ainsi informé alors qu’il fait de la natation dans le lac Langano⁸…
La majorité de ces pays prennent note du projet sans réagir fortement. Il y a pourtant quelques exceptions : l’Inde se montre très préoccupée. Le 14 août 1965, le ministère des Affaires étrangères convoque le chef de la chancellerie britannique à New Delhi pour lui communiquer la position de son gouvernement. L’Inde souligne que l’article 73 de la charte des Nations unies et des résolutions sur le colonialisme indique clairement que les puissances coloniales ne doivent pas modifier les territoires de leurs colonies de manière unilatérale et arbitraire.
L’Inde se dit également hostile à la création de bases militaires étrangères. Elle a voté pour une résolution dans ce sens à la conférence de Bandung en 1955 et au Caire en 1964. Elle fait savoir qu’elle n’objectera pas à des arrangements librement conclus par des États souverains et qu’elle ne trouvera rien à redire si, après leur Indépendance, Maurice et les Seychelles acceptent de transférer les îles en question. Ce n’est pas la première protestation indienne. Déjà, en septembre 1964, l’adjoint du haut-commissaire de l’Inde à Londres, Kewal Singh, avait demandé des explications au Commonwealth Relations Office⁹.
Analysant ces objections des Indiens, les diplomates britanniques eux-mêmes expriment un certain malaise. Ils reconnaissent que si l’article 73 de la charte des Nations unies sur laquelle s’appuie l’objection de New Delhi ne fait pas spécifiquement référence à l’inviolabilité des frontières coloniales, «il ne sera pas difficile d’arguer qu’il soutient en fait l’interprétation des Indiens». Ils l’admettent en secret : «Bien que nous n’ayons pas voté en faveur de cette résolution et que nous n’avions pas accepté qu’une résolution de l’Assemblée générale ait la même force que la charte, il ne fait pas de doute qu’une majorité des membres des Nations unies considèrent la résolution 1514 (XV) comme faisant partie de la doctrine des Nations unies et ne vont pas hésiter à l’invoquer contre nous¹⁰.» Il est décidé tout de même de ne pas se laisser influencer par l’attitude indienne, d’autant plus que le chef par intérim de la mission britannique à New Delhi dit soupçonner les Indiens d’être en contact avec des ministres mauriciens ; il pense que leur objectif est «de se ménager de l’influence sur les affaires mauriciennes après l’Indépendance¹¹».
L’Indonésie, la Tanzanie et la Thaïlande notamment expriment une forte opposition. Auprès de tous ceux qui sont réticents au projet, les Britanniques s’évertuent à souligner qu’il sera exécuté seulement «si les propositions sont acceptées par les gouvernements de Maurice et des Seychelles¹²».
À Maurice, c’est le 3 juin 1965 que le quotidien l’express a rapporté qu’une base militaire anglo-américaine sera effectivement installée dans les dépendances du pays et celles des Seychelles. Il précise que le Royaume-Uni a débloqué des fonds pour l’achat des îles en question et le déplacement, avec dédommagement, de leurs habitants, au nombre de 2 000. Il est entendu qu’il faudra au préalable obtenir des gouvernements mauricien et seychellois «le transfert du contrôle administratif des territoires convoités au gouvernement de Londres».
Cette révélation incite le député Maurice Curé, l’un des fondateurs du Parti travailliste, dirigé par Seewoosagur Ramgoolam, à soulever la question à l’Assemblée législative mauricienne. Il invite le gouvernement à souligner auprès du Royaume-Uni «l’imprudence» d’un accord avec les Américains prévoyant l’acquisition éventuelle de dépendances mauriciennes avant les prochaines conférences constitutionnelles sur l’Indépendance de Maurice¹³. Ce n’est pas la première fois que la question est évoquée par les parlementaires mauriciens. Déjà, en novembre 1964, le député Bickram Singh Ramlallah avait fermement invité le chef du gouvernement à s’exprimer sur la question alors que ce dernier prétendait toujours n’être au courant de rien¹⁴. Même si plusieurs journaux font régulièrement état du projet.
L’information circulant de plus en plus et voyant leur stratégie de communication diplomatique mise à mal, les Britanniques cherchent alors à présenter formellement, et au plus vite, leurs propositions aux gouvernements de Maurice et des Seychelles. Ils cherchent à éviter plusieurs écueils. Le Comité des 24, une instance des Nations unies qui traite des questions de décolonisation, est en tournée en Afrique. Ce n’est pas le moment de lui fournir des munitions. De même, une conférence des pays non-alignés se déroule à Alger à la fin de juin.
À Londres, on décide finalement d’attendre. On juge également préférable de voir se conclure la prochaine conférence des Premiers ministres du Commonwealth, de peur que la question de la base ne fasse l’objet de contestations¹⁵. Le Commonwealth Relations Office craint qu’à l’occasion de la conférence des Premiers ministres, les pays modérés (comme l’Inde) ne soient forcés de prendre ouvertement position contre le Royaume-Uni¹⁶.
À Maurice, l’express croit savoir que la question de l’installation de la base à Diego Garcia sera immanquablement soulevée à la conférence. La presse britannique rapporte que le Premier ministre, Harold Wilson, a consulté ses principaux ministres à ce sujet¹⁷.
Le Foreign Office, au risque de frustrer davantage les Américains, toujours aussi pressés, préfère donc attendre une meilleure occasion pour s’adresser aux gouvernements locaux. C’est Edward Peck, l’adjoint au sous-secrétaire d’État, qui explique la position de Londres : «De notre point de vue, beaucoup de choses dépendent de la réaction initiale des autorités de Maurice et des Seychelles à nos propositions et aux réactions des pays voisins ; il y aura interaction entre ces réactions et nous devrons être extrêmement prudents.¹⁸» En attendant, le Colonial Office met au point les documents contenant les propositions définitives que les deux gouverneurs britanniques doivent communiquer aux dirigeants politiques respectifs. Il est maintenant prévu d’informer les ministres mauriciens et seychellois dans la seconde quinzaine de juillet¹⁹.
Un débat s’est engagé au sein de l’administration sur la présentation de l’offre d’indemnisation à présenter aux deux gouvernements. Il est devenu nécessaire de modifier les textes déjà rédigés, les Américains ayant finalement accepté de contribuer financièrement aux coûts de l’opération. Ils ont répondu positivement à la requête des Britanniques et sont d’accord pour participer à hauteur de cinq millions de livres sterling (mais pas plus de la moitié du total). À une condition expresse : que le montant payé et le mode de paiement restent secrets²⁰.
Les préparatifs juridiques, administratifs et financiers terminés, le secrétaire d’État aux Colonies transmet, le 21 juillet 1965, les instructions du gouvernement britannique aux gouverneurs de Maurice et des Seychelles²¹. Le Conseil exécutif des Seychelles en est informé le 22 juillet et le gouvernement de Maurice le 23.
Sur le plan juridique, il a été décidé que les Chagos seront «détachées» par un amendement à la Constitution de Maurice, le Mauritius Constitution Order in Council, 1964, qui mentionnera ses dépendances en les nommant spécifiquement.
Un nouveau territoire sera créé par un «Order in Council», un décret royal comparable au British Antarctic Territory Order in Council de 1962. Le gouverneur des Seychelles prendra un deuxième chapeau et deviendra commissaire du nouveau territoire – qui comprend également les îles seychelloises d’Aldabra, de Desroches, de Farquhar – et administrera la nouvelle colonie.
Dans un premier temps, jusqu’à ce que ces îles soient effectivement utilisées pour des besoins militaires, il est prévu que les administrations mauricienne et seychelloise continueront à y assurer les services. On se propose d’en faire le moins possible, et en tout cas, de ne pas développer les îles qui ne seront pas immédiatement utilisées, de les «négliger» en fait, pour ne pas avoir à payer des sommes plus importantes quand elles seront définitivement retranchées du territoire mauricien ou seychellois. Les habitants de Diego Garcia (et des autres îles, quand elles seront évacuées) seront réinstallés ailleurs dans l’archipel, plutôt qu’à Maurice ou aux Seychelles. L’objectif est aussi d’en envoyer le plus possible sur Agalega, une autre dépendance de Maurice²².
À plus long terme, l’administration britannique étudie l’idée de séparer Agalega de Maurice pour l’intégrer aux Seychelles. Il faudrait pour cela convaincre le Seychellois Paul Moulinié, principal propriétaire de Chagos Agalega Ltd, de prendre la main-d’œuvre déplacée de Diego Garcia²³.
Diverses propositions de négociation sont formulées pour dédommager les propriétaires de Chagos Agalega Ltd, qui exploite les cocoteraies. Les Britanniques discutent de plusieurs options susceptibles de limiter le montant du dédommagement. Ils envisagent des arrangements pour que la compagnie puisse continuer à travailler sur les îles qui ne seront pas immédiatement utilisées par les militaires.
Alors que tout se met en place pour la présentation des propositions britanniques à Maurice, le gouverneur informe Londres que des incidents violents ont éclaté, mettant en danger la sécurité intérieure de la colonie. La situation est si grave que sir John Shaw Rennie réclame la présence de soldats britanniques. Une compagnie du bataillon des Coldstream Guards, stationnés à Aden, est dépêchée à Port-Louis. Sur fond de divergences politiques concernant l’avenir constitutionnel du pays, des heurts ont éclaté, le 10 mai 1965, entre deux groupes ethniques, des hindous et des métis chrétiens, faisant deux morts²⁴.
Les militaires britanniques ont pour mission d’assurer à la fois la sécurité des Mauriciens et la protection de leurs installations, la station de radio de la Royal Navy, HMS Mauritius, située dans le centre de l’île²⁵. L’ordre est rétabli assez rapidement, mais le chef du gouvernement mauricien demande au Royaume-Uni de laisser ses soldats sur place jusqu’à la fin des discussions constitutionnelles.
Ce que Londres accepte, allant même, après quelques débats internes, jusqu’à en supporter les frais pour ne pas provoquer inutilement l’antagonisme des ministres mauriciens au moment où il s’apprête à solliciter leur bonne volonté pour le projet de défense anglo-américain²⁶. Le Foreign Office voit là une occasion de s’attirer la sympathie des autorités mauriciennes et peut-être même de faire diminuer leurs exigences en termes de dédommagement²⁷…
Pour le Royaume-Uni, il ne reste plus maintenant qu’à passer à l’acte.
1. TNA. PRO. 29 January 1965. Defence Interests in Indian Ocean. Minute from Michael Stewart to Colonial Secretary, FS/65/21. FO 371/184524 Z4/9/G.
2. 2TNA. PRO. 7 June 1965. Telegram from Sir P. Dean [British Embassy], Washington, to Foreign Office. FO 371/184524 Z4/79/G.
3. TNA. PRO. 15 May 1965. Defence Interests in Indian Ocean.[Draft telegram] from Commonwealth Relations Office. W. Circular 114. FO 371/184524 Z4/70/G.
4. Ibid.
5. Dawn, 23 May 1965.
6. TNA. PRO. 7 July 1965. Telegram from Foreign Office to Tehran. FO 371/184525 Z4/99.
7. TNA. PRO. 7 June 1965. Telegram from Sir P. Dean [British Embassy], Washington, to Foreign Office. FO 371/184524 Z4/79/G.
8. TNA. PRO. 28 July 1965. Defence facilities in the Indian Ocean – Reactions of Governments to notification by HMRR. FO 371/184526 Z4/122.
9. TNA. PRO. 28 July 1965. Telegram from Freeman, New Delhi, to Commonwealth Relations Office. FO 371/184526 Z4/122(A).
10. TNA. PRO. 22 September 1965. Letter from J. A. N. Graham to J.S. Champion, Commonwealth Office. FO 371/184527 Z4/152.
11. TNA. PRO. 16 August, 1965. Telegram from Freeman, New Delhi, to Commonwealth Relations Office. FO 371/184526 Z4/122(KK)/G.
12. TNA. PRO. 7 August, 1965. Telegram from Miles, Dar-es-Salaam, to Commonwealth Relations Office. FO 371/184526 Z4/122(MM)/G.
13. Mauritius Legislative Assembly, Debates No. 15, 15 June 1965.
14. Mauritius Legislative Assembly, Debates No. 23, 10 November 1964.
15. TNA. PRO. 8 June 1965. Letter from E.H. Peck, Foreign Office, to Trafford Smith, Colonial Office. FO 371/184524 Z4/79/G.
16. TNA. PRO. 15 June 1965. Defence Interests in the Indian Ocean. Brief by Commonwealth Relations Office, PMM(UK) (65)B32. FO 371/184524 Z4/84/G.
17. L’express, 19 juin 1965.
18. TNA. PRO. 15 June 1965 Letter from E. H. Peck, Foreign Office, to L. B. Walsh Atkins, Commonwealth Office. FO 371/184524 Z4/83/G.
19. TNA. PRO. 23 June 1965. Letter from C. W. Wright, Ministry of Defence, to Trafford Smith, Colonial Office. FO 371/184524 Z4/83(A)/G.
20. TNA. PRO. 23 June 1965. Letter from G. G Arthur, Foreign Office, to C. W. Wright, Ministry of Defence. FO 371/184524 Z4/89/G.
21. TNA. PRO. 21 July 1965. Telegram from the Secretary of State for the Colonies to Seychelles and Mauritius. FO 371/184524 Z4/81/G.
22. Ibid.
23. TNA. PRO. 13 July 1965. Letter from Trafford Smith, Colonial Office, to J. A. Patterson, HM Treasury. FO 371/184524 Z4/86.
24. L’express, 14 mai 1965.
25. Extract from COS Committee, “Mauritius” (65) 25th Meeting, 18 May 1965. FO 371/184524 Z4/85.
26. NA. PRO. 18 June 1965. Letter from Lt. Col. W. M. L. Adler to W. J. Jones, Ministry of Defence. FO 371/184524 Z4/85(E).
27. TNA. PRO. 22 June 1965. Letter from C. J. Arthur, Foreign Office, to C. W. Wright, Ministry of Defence. FO 371/184524 Z4/85
Chapitre V : La négociation
À l’issue d’intenses discussions sur la stratégie à adopter, le gouvernement britannique estime que le moment est venu de demander formellement l’accord des dirigeants politiques mauriciens sur le projet anglo-américain. L’occasion se présente au mois de septembre 1965. Les chefs des partis de la coalition gouvernementale au pouvoir sont à Londres pour une conférence sur l’avenir constitutionnel du pays. Deux groupes s’opposent : la majorité des partis, menée par Seewoosagur Ramgoolam, leader du Parti travailliste (PTr) est favorable à l’indépendance ; la forte opposition dirigée par l’avocat Jules Koenig, du Parti mauricien social démocrate (PMSD), défend l’idée d’une association de Maurice avec le Royaume-Uni.
Le 20 septembre 1965, le secrétaire d’État aux Colonies, Anthony Greenwood, convoque la délégation mauricienne à une réunion qu’il préside. Elle est dirigée par le chef du gouvernement, fraîchement anobli par la reine d’Angleterre à l’occasion de son 65e anniversaire. Outre sir Seewoosagur Ramgoolam et Jules Koenig, Abdul Razack Mohamed, chef du Comité d’action musulman (CAM), Sookdeo Bissoondoyal, de l’Independant Forward Bloc (IFB), et Maurice Paturau, «ministre indépendant», participent aux discussions.
D’entrée de jeu, Greenwood prend la précaution de préciser que les discussions sur la proposition britannique d’implantation de «facilités de défense» dans des dépendances de Maurice sont distinctes de la conférence constitutionnelle.
Le secrétaire d’État aux Colonies entre immédiatement dans le vif du sujet. Il commence par une mise en garde aux ministres mauriciens ; il les invite à tempérer leurs demandes de dédommagement en contrepartie du «détachement» des îles exigé par les États-Unis en prétendant que «les Américains ne considèrent pas les facilités proposées comme indispensables¹». Il laisse entendre que ces facilités pourraient aussi être installées dans des îles appartenant aux Seychelles.
Et pour tout dédommagement à Maurice, en contrepartie du «détachement» de Diego Garcia, le secrétaire d’État propose un million de livres sterling. Il considère que c’est une somme «très valable». Il précise qu’elle est différente de l’indemnité prévue pour les propriétaires de terrains à Diego Garcia et de celle qui sera payée pour la réinstallation des Chagossiens qui y vivent.
Sir Seewoosagur Ramgoolam dit tout net son refus et présente la position mauricienne : le gouvernement, n’est pas «intéressé» par la cession de ces îles. Il aurait préféré une location à bail de 99 ans. Il propose un loyer d’environ sept millions de livres par an pour les 20 premières années et environ deux millions de livres pour la suite. Mais le Premier n’élimine pas la possibilité d’une «cession» pure et simple. Auquel cas, dit-il, on pourrait facilement arriver à d’autres chiffres. Il juge «dérisoire» le dédommagement d’un million proposé ; dans ces conditions, sir Seewoosagur, se dit prêt à donner Diego Garcia «gratis». L’autre possibilité, dit-il, serait que le Royaume-Uni accorde l’indépendance à Maurice et laisse le gouvernement mauricien négocier par la suite avec les Britanniques et les Américains² .
Le leader du PMSD appuie la proposition de sir Seewoosagur et rappelle combien Maurice s’est montrée loyale envers l’Angleterre au cours des deux guerres mondiales. Il déclare qu’il aurait personnellement été favorable à ce que les îles en question soient cédées gratuitement. Mais Maurice connaît de graves problèmes économiques et demande un «geste généreux» du gouvernement britannique. Razack Mohamed tient le même raisonnement ; s’il ne s’agissait que du Royaume-Uni, le gouvernement mauricien aurait été prêt à «donner» Diego Garcia sans contrepartie. Mais puisque les États-Unis sont également impliqués, il réclame quelque chose de «substantiel».
À vrai dire, c’est surtout de la part des Américains que les ministres mauriciens attendent des dédommagements. Sir Seewoosagur fait remarquer que les États-Unis dépensent des sommes considérables pour entretenir leurs bases militaires. Il prévoit qu’à l’avenir, Diego Garcia sera d’une «grande importance stratégique». Il dit ne pas vouloir embarrasser les Britanniques, qui sont proches de Maurice, mais que son pays devrait obtenir des bénéfices «significatifs» s’il met Diego Garcia à la disposition des Américains.
Les demandes précises des dirigeants politiques mauriciens ont été officiellement communiquées aux Américains. Les ministres mauriciens présents à Londres se sont rendus à l’ambassade des États-Unis pour présenter leurs requêtes. Devant Greenwood, sir Seewoosagur les rappelle : un quota de 300 000 tonnes de sucre sur le marché américain, et l’achat de riz et de blé à des prix négociés. Le gouvernement mauricien avait également proposé l’exportation de thon congelé. Le Premier explique que le gouvernement mauricien préfère le long terme et des arrangements commerciaux à une compensation financière ponctuelle. Comme une option, le chef de la délégation mauricienne propose que les Américains calculent les bénéfices que Maurice aurait obtenu d’un quota de sucre et des autres arrangements commerciaux proposés et effectuent un paiement annuel équivalent
Mais les Américains ne veulent rien négocier avec les Mauriciens et ils l’ont fait savoir. Les négociateurs britanniques les approuvent, prétendant que les Américains ne sont pas directement concernés, les négociations devant se dérouler essentiellement entre les gouvernements britannique et mauricien.
Ce premier round se termine sans accord. Résumant les discussions, le secrétaire d’État déclare qu’il se doit «d’avertir les ministres mauriciens qu’il n’existe aucune possibilité d’obtenir quoi que ce soit de comparable à leurs demandes et que les Américains risquent d’aller chercher ailleurs les facilités dont ils ont besoin». Il évoque à nouveau les Seychelles³.
Le Premier ministre britannique, Harold Wilson, est mis au courant le même jour des demandes des ministres mauriciens ; il est informé que les Mauriciens «ont ouvert leur bouche toute grande» sur les dédommagements en contrepartie du «détachement» de Diego Garcia⁴.. On lui suggère d’avoir très rapidement une conversation privée avec sir Seewoosagur et de prendre une «position dure» à son égard.
Une rencontre en tête-à-tête a lieu le 23 septembre 1965 au 10, Downing Street, à 10 heures. Le Premier ministre britannique s’enquiert d’abord de l’évolution des discussions constitutionnelles qui se déroulent depuis plusieurs jours dans la capitale britannique. Il dit nettement sa préférence pour l’indépendance plutôt que l’association avec le Royaume-Uni sur le modèle français, dont le PMSD a fait son cheval de bataille.
Harold Wilson soulève alors la question de Diego Garcia, précisant toutefois qu’elle n’est «aucunement liée à l’indépendance⁵». Mais, souligne Wilson, cette question est très importante pour le Royaume-Uni, qui voudrait pouvoir jouer correctement son rôle, non seulement dans «la défense du Commonwealth, mais aussi assumer sa part de mission de paix sous l’égide des Nations unies». Sir Seewoosagur exprime alors son désir d’être utile sur ce point.
Le Premier ministre britannique présente ensuite sa thèse : les Mauriciens, sachant que les Américains sont intéressés par des installations de défense à Diego Garcia et conscients que les États-Unis sont un pays très riche, «font quelque peu monter les enchères». Il reprend la position du secrétaire d’État aux Colonies : Diego Garcia n’est pas si importante que cela ; si les demandes de dédommagement ne sont pas raisonnables, les Américains pourraient renoncer au projet. Il affirme que la question ne concerne que le Royaume-Uni et Maurice. À son tour, sir Seewoosagur reprend les arguments défendus auprès du secrétaire d’État.
Wilson abat alors ses cartes. Il déclare que c’est à la suite d’un «accident historique» que Diego Garcia est administrée par Maurice. Les liens entre les deux sont très faibles. Il fait dire à sir Seewoosagur que les habitants de Diego Garcia n’ont en fait jamais envoyé de représentants élus au Parlement mauricien. Il évoque ensuite les «possibilités» : le Premier et ses collègues pourraient retourner à Maurice soit avec l’indépendance, soit sans elle. En ce qui concerne la défense, Diego Garcia pourrait être «détachée», («detached» est le mot utilisé) soit par un «Order in Council», soit avec l’accord du Premier et de ses collègues. La meilleure solution pour tous pourrait être l’indépendance et «le détachement» avec leur accord⁶… Sir Seewoosagur capitule, il choisit cette dernière possibilité : «la question de Diego Garcia est une affaire de détail ; il n’y a en principe aucune difficulté…», déclaret-il immédiatement.
Il ajoute même que le désir de Maurice est de conserver ses liens avec le Royaume-Uni : «Maurice ne veut pas devenir une République mais, au contraire, elle souhaite préserver ses relations actuelles avec le Royaume-Uni.⁷» Le Premier ignore ce que le secrétaire d’État aux Colonies a dit aux Américains : la création d’une base à Diego Garcia ne sera possible que si Maurice et les Seychelles donnent leur accord au «détachement» des îles⁸ .
Le chef du Parti travailliste estime qu’il est placé devant un choix : garder l’archipel des Chagos ou obtenir l’indépendance. Il ne considère pas que les Britanniques exercent un «chantage». Il le dit⁹ . Mais sir Seewoosagur semble ne pas savoir que selon ses propres experts, le Royaume-Uni ne peut soustraire «constitutionnellement» l’archipel des Chagos du territoire mauricien sans l’accord de Maurice.
Après avoir reçu ce conseil juridique, Whitehall informe aussitôt les Américains : «il est maintenant clair que, dans les deux cas, les îles font légalement partie des colonies concernées. Des dédommagements généreux seront donc nécessaires pour obtenir l’agrément des deux gouvernements locaux (que nous considérons comme fondamental) pour le détachement constitutionnel des îles concernées¹⁰.» Et que de plus, quoi qu’il en soit, le Royaume-Uni a déjà décidé de se «débarrasser» de Maurice au plus vite.
Quelques heures après la rencontre privée entre Harold Wilson et sir Seewoosagur Ramgoolam, de nouvelles négociations se tiennent à Lancaster House. Une forte délégation du Colonial Office y participe, conduite par le secrétaire d’État aux Colonies. Le gouverneur de Maurice, sir John Shaw Rennie, est présent. Sir Seewoosagur dirige la délégation mauricienne. Les mêmes ministres mauriciens sont là, sauf Jules Koenig, absent à la grande surprise de sir Seewoosagur. Les Britanniques soupçonnent le leader du PMSD de boycotter la réunion pour des raisons politiques «tactiques». Son absence évite à Koenig d’être impliqué dans tout accord¹¹.
La réunion commence par une pression : le secrétaire d’État aux Colonies déclare d’emblée qu’une décision définitive doit être prise à l’issue des discussions. Il est prévu qu’il communique les résultats de la négociation dans moins de deux heures à ses collègues du gouvernement britannique.
Le secrétaire d’État énonce alors les dernières propositions du gouvernement britannique. Le dédommagement proposé passe à trois millions de livres. Sir Seewoosagur réplique que cela est toujours insuffisant, compte tenu des besoins de développement du pays. Paturau intervient et déclare également que ce montant est bien trop faible et qu’il faudrait au moins quatre à cinq millions de livres pour le budget de développement.
Le leader du CAM est, lui, plus conciliant. Il déclare que son parti est prêt à accepter ce qui sera proposé, il veut seulement que Maurice obtienne la garantie qu’une aide en matière de défense sera disponible dans la région en cas de besoin. Le secrétaire d’État soutient que son gouvernement souhaite vivement l’accord de Maurice, mais il affirme que le gouvernement pourrait tout aussi bien récupérer Diego Garcia par un ordre en Conseil.
Sir Seewoosagur se fait très accommodant. Il rassure le secrétaire d’État : le gouvernement mauricien, dit-il, est disposé à aider et «à assumer sa part de la défense du monde libre». Il revient néanmoins sur sa proposition de location à bail. C’est «inacceptable», rétorque le secrétaire d’État. C’est alors que le leader de l’IFB, Sookdeo Bissoondoyal, demande si les îles en question reviendraient à Maurice au cas où elles ne seraient plus utiles à la défense occidentale.
À la fin des discussions, qui sont très animées, le secrétaire d’État résume les débats : Ramgoolam, Bissoondoyal et Mohamed sont disposés à accepter la cession de l’archipel des Chagos, étant entendu que le secrétaire d’État recommandera à ses collègues une série de préalables en huit points :
1. Des négociations sur un accord de défense entre le Royaume-Uni et Maurice.
2. En cas d’accession à l’indépendance, un accord entre les deux gouvernements prévoyant des consultations si Maurice connaît de graves problèmes de sécurité intérieure.
3. Un dédommagement total de trois millions de livres devra être versé au gouvernement mauricien outre les dédommagements directs aux propriétaires de terrains et le coût de réinstallation des habitants de l’archipel.
4. Le gouvernement britannique jouera le rôle d’intermédiaire entre Maurice et le gouvernement américain pour soutenir les demandes d’importation de sucre et de fourniture de blé ainsi que d’autres produits.
5. Le gouvernement britannique fera de son mieux pour persuader le gouvernement américain d’utiliser de la main-d’œuvre mauricienne et d’importer des matériaux de construction de Maurice.
6. Le gouvernement britannique cherchera à obtenir du gouvernement américain que les diverses facilités existant à Diego Garcia restent autant que possible accessibles au gouvernement mauricien – notamment les aides à la navigation, la météorologie, les droits de pêche, et en cas d’urgence, l’utilisation des pistes d’atterrissage par des avions civils.
7. La restitution des îles à Maurice si leurs installations n’étaient plus nécessaires.
8. Les bénéfices de toute découverte de pétrole ou de minerais dans la région de l’archipel des Chagos reviendraient au gouvernement mauricien.
À la fin de cette réunion décisive, sir Seewoosagur Ramgoolam déclare que les propositions sont en principe «acceptables» pour lui et ses collègues Bissoondoyal et Mohamed. Mais il exprime le souhait de discuter de l’accord avec ses autres collègues¹².
Aussitôt le procès-verbal de la réunion approuvé par sir Seewoosagur, Londres demande au gouverneur de Maurice d’obtenir du gouvernement mauricien la confirmation formelle de son accord sur la cession de Diego Garcia. Le Colonial Office est confiant d’obtenir le feu vert du gouvernement mauricien. Il estime que sir Seewoosagur est tout à fait conscient qu’aucune des requêtes formulées aux Américains n’a la moindre chance d’aboutir, mais qu’il donnera malgré tout son accord¹³.
Avant même la fin des négociations, les États-Unis sont tenus au courant de l’évolution des discussions lors d’une réunion à Londres. Jeffrey Coleman Kitchen, l’adjoint au sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires politico-militaires, est informé que la majorité des ministres mauriciens a donné son accord et que «le Premier Ramgoolam s’est associé au projet anglo-américain, même si en public, on parlera uniquement du rôle du gouvernement britannique en matière de défense et de soutien de la sécurité intérieure de Maurice». Le représentant du Commonwealth Relations Office, Anthony John Fairclough, déclare qu’en vertu de cet accord, «le Royaume-Uni conservera la souveraineté sur les Chagos et donnera l’indépendance à Maurice¹⁴».
En attendant la réponse officielle du conseil des ministres mauriciens, le RoyaumeUni, qui craint les retombées politiques du démembrement du territoire mauricien, déploie une intense activité diplomatique. Il s’inquiète de la prochaine conférence de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), de la réunion du Fourth Committee des Nations unies, et de la tenue d’une conférence contre les bases militaires étrangères organisée par l’Indonésie, fer de lance du mouvement des non-alignés.
Le Foreign Office et le Commonwealth Relations Office, expédient une note commune à certaines de leurs missions diplomatiques. Ils défendent la position du RoyaumeUni en faisant ressortir que les gouvernements des Seychelles et de Maurice ont donné un accord de principe à leurs propositions, en particulier les Mauriciens «parce qu’ils prévoient que les installations envisagées contribueront à leur propre sécurité¹⁵».
Les Britanniques s’appuient là sur les déclarations des ministres mauriciens, se disant tous désireux, à l’instar de sir Seewoosagur, de participer à «la défense du monde libre». Cette même note invite les diplomates britanniques à ne pas utiliser le mot «détachement», detachment dans le texte. Un accord en ce sens avait été conclu avec les Américains : «…nous devrions éviter d’utiliser le terme détachement, et dire plutôt que certaines îles resteraient sous la souveraineté ou l’administration britannique, ce que le gouvernement local a accepté.¹⁶»
Le 5 novembre 1965, le gouverneur de Maurice, sir John Shaw Rennie, informe le secrétaire d’État aux Colonies que «le conseil des ministres a confirmé aujourd’hui son accord sur la cession (detachment) de l’archipel des Chagos aux conditions prévues».
Les ministres demandent cependant la confirmation que le Royaume-Uni a bien accepté le principe d’un possible retour de ces îles à Maurice au cas où elles ne seraient plus utiles en matière de défense et que tout bénéfice éventuellement obtenu de la découverte de pétrole où de minerais dans les eaux de l’archipel reviendrait à Maurice. Dans le procès-verbal des négociations, les Britanniques disent seulement qu’ils ont «bien pris note» de ces deux points¹⁷.
Le secrétariat d’État aux Colonies répond immédiatement, mais reste évasif. Il considère que la question de bénéfices provenant de toute exploitation de minerais ou de pétrole ne se pose pas puisque le Royaume-Uni exercera sa souveraineté sur l’archipel et qu’il n’a aucune intention d’autoriser des prospections dans la région. Il n’évoque pas la possibilité d’une restitution de ces îles à Maurice¹⁸.
Par la suite, le secrétaire d’État aux Colonies précise qu’«il doit être clair qu’une décision quant à la nécessité de conserver les îles doit appartenir totalement au gouvernement britannique et qu’il ne sera pas possible pour le gouvernement mauricien de soulever la question de sa propre initiative, ni de faire pression pour un retour des îles¹⁹».
Le procès-verbal de la réunion du conseil des ministres mauricien note que «le conseil a décidé que le secrétaire d’État serait informé de leur accord pour que le gouvernement britannique prenne les mesures juridiques nécessaires afin de détacher (detach) l’archipel des Chagos²⁰».
Maintenant que l’accord du conseil des ministres mauricien a été obtenu, le conseil exécutif des Seychelles ayant également donné son aval, le Conseil privé de la reine se réunit le 8 novembre 1965. Un «Order in Council», un décret royal, intitulé British Indian Ocean Territory Order, 1965, crée un nouveau territoire qui comprend l’archipel des Chagos, Aldabra, Farquhar et Desroches. Par ce recours à un décret royal, le gouvernement britannique évite tout débat à la Chambre des communes.
La nouvelle colonie britannique, le BIOT, est née.
À Londres, le 10 novembre, le secrétaire d’État aux Colonies fait une déclaration à la Chambre des communes en réponse à une question parlementaire. Il commence par souligner que la nouvelle colonie est créée «avec l’accord des gouvernements de Maurice et des Seychelles». Il précise que «de nouveaux arrangements pour l’administration de certaines îles de l’océan Indien ont été introduits par le décret royal du 8 novembre. Les îles concernées sont l’archipel des Chagos, situé à quelque 1 200 miles au nord-est de Maurice et Aldabra, Farquhar ainsi que Desroches dans la partie occidentale de l’océan Indien. Leurs populations respectives sont d’environ 1 000, 100, 172 et 112 personnes. Ces îles constituent désormais le Territoire britannique de l’océan Indien²¹…»
En contrepartie le gouvernement britannique verse immédiatement à Maurice les 3 millions de livre sterling promis. La somme est encaissée par l’Accountant General au poste «vente des îles des Chagos²²».
Dans leurs documents officiels, les Britanniques justifient le paiement de la compensation à Maurice «pour la perte de souveraineté²³».
L’avoué britannique Richard Gifford qui prendra avec passion la défense des Chagossiens sera extrêmement sévère à l’égard et des Seychelles et de Maurice : «ceux-là étaient les deux seuls pays qui connaissent l’existence de la population et ils auraient pu objecter. Leur complicité a été facilement achetée²⁴.»
1. The National Archives (UK). Public Records Office. 20 September 1965. Mauritius Defence Issues – Record of a meeting in the Colonial Office. FO 371/184528 Z4/169.
2. Ibid.
3. Ibid.
4. TNA. PRO. 20 September 1965. Letter and Note for the Record from J. O. Wright, Prime Minister’s Office, to J. W. Stacpoole, Colonial Office.
5. TNA. PRO. 23 September 1965. Record of a conversation between the Prime Minister [Harold Wilson] and the Premier of Mauritius, Sir Seewoosagur Ramgoolam, at Downing Street. FO 371/184528 Z4/172.
6. Ibid.
7. Ibid.
8. TNA. PRO. 6 July 1965. Telegram from Commonwealth Relations Office to British High Commissions. FO 371/184525 Z4/99/G.
9. L’Estrac, Jean Claude de, Report of the Select Committee on the Excision of the Chagos Archipelago, Mauritius, June 1983, 36.
10. TNA. PRO. 30 April 1965, Defence Facilities in the Indian Ocean – Telegram from Foreign Office to Washington, FO 371/184523 Z4/44.
11. TNA. PRO. 23 September 1965. Record of a meeting held in Lancaster House (UK) [between the Colonial Secretary and Mauritius Ministers]. FO 371/184528 Z4/178.
12. Ibid.
13. TNA. PRO. 8 October 1965. Letter from Trafford Smith, Colonial Office, to Edward Peck, Foreign Office. FO 371/184529 Z4/181.
14. TNA. PRO. 25 September 1965. Defence facilities in the Indian Ocean : record of a meeting with an American delegation headed by J. C. Kitchen. FO 371/184529 Z4/190.
15. TNA. PRO. 1 October 1965. Minute from Foreign Office and Commonwealth Relations Office to certain Missions. FO 371/184529 Z4/176.
16. TNA. PRO. 25 September 1965. Defence facilities in the Indian Ocean : record of a meeting with an American delegation headed by J. C. Kitchen. FO 371/184529 Z4/190.
17. TNA. PRO. 6 October 1965. Letter from the Secretary of State for the Colonies to Sir John Shaw Rennie (Mauritius). O 371/184529 Z4/181.
18. TNA. PRO. 8 November 1965. Telegram from the Secretary of State for the Colonies to Sir John Shaw Rennie (Mauritius). FO 371/184529 Z4/181(E).
19. TNA. PRO. 19 November 1965. Telegram from the Secretary of State for the Colonies to Sir John Shaw Rennie (Mauritius). FO 371/184529 Z4/181(K)/G.
20. Mauritius. Minutes of the Meeting of the Council of Ministers, 5 November 1965.
21. UK. HC Deb 10 November 1965 vol. 720 cc1-2W.
22. Mauritius Legislative Assembly, Special Report of the Public Accounts Committee : Financial and other Aspects of the «Sale» of Chagos Islands and the Re-settlement of the Displaced Ilois, 1980.
23. TNA. PRO. 28 November 1975. Letter from D. F. Milton, Foreign and Commonwealth Office to R. J. C., Pease, British High Commission, Mauritius. FCO 31/1922 JEM 10/548/8.
24. Gifford, Richard, The Chagos Islands - The Land where Human Rights hardly ever existed. Law, Social Justice and Global Development Journal (LGD) 2004 (1), https://www.warwick.ac.uk/fac/soc/law/elj/lgd/2004_I/ifford/, 5 Feb 2011.
Chapitre VI : Les réactions
L’annonce de l’accord du gouvernement mauricien sur le «détachement» de l’archipel des Chagos de son territoire pour y installer la base militaire anglo-américaine provoque diverses réactions hostiles à Maurice et ailleurs. La première conséquence est politique : le Parti mauricien social-démocrate (PMSD) conteste le montant du dédommagement offert par le Royaume-Uni et quitte le gouvernement de coalition le 11 novembre 1965. Les ministres Jules Koenig, Gaëtan Duval et Raymond Devienne démissionnent. Le leader, Koenig, souligne que son parti n’est pas opposé au projet d’installation d’une base à Diego Garcia, mais juge totalement inadéquate la contrepartie financière proposée.
Auparavant, Koenig avait exprimé son insatisfaction au gouverneur de Maurice, regrettant surtout l’absence d’indemnisation en termes de commerce ; il considère que l’on n’a pas fait suffisamment d’efforts pour l’obtenir¹. Sir John Shaw Rennie dit connaître les vraies raisons de cette démission. Dans une note au secrétaire d’État aux Colonies, il livre son sentiment : «Nous avons des raisons de penser qu’ils (les trois ministres PMSD démissionnaires) sont poussés à cette action par des Franco-mauriciens fanatiques à qui on a promis une aide financière substantielle (y compris le maintien de Duval et de Devienne), dans le style que nous connaissons bien, pour se battre aux élections sur la question de l’Indépendance².»
Mené par Duval, le dirigeant PMSD qui prend de plus en plus d’ascendant, ce parti se lance dans une violente campagne dénonçant à la fois le Royaume-Uni et le Parti travailliste, accusé de s’être fait le complice de Londres. «Les Anglais ont été lâches, ceux qui ont accepté sont des faibles³», déclare Duval. Un autre dirigeant PMSD, Cyril Leckning, parle de «trahison». Lors d’un meeting, Duval déclare que le PMSD «s’opposerait à la vente de Diego Garcia si Maurice n’obtenait pas en échange un prix convenable pour tous nos sucres et un quota d’immigrants⁴».
Le dirigeant du PMSD accuse le Parti travailliste (PTr), l’Independant Forward Bloc (IFB) et le Comité d’action musulman (CAM) d’avoir accepté de «morceler» Maurice et d’en retrancher 72 000 arpents⁵. «Nous ne sommes pas contre le détachement de ces îles pour les besoins militaires de l’Ouest. Ce que nous avons fait pendant deux guerres mondiales, nous le ferions encore en temps de guerre. Depuis 1945, nous avons un problème de surpeuplement et de chômage ; il nous fallait une compensation adéquate plus un quota de sucre», explique pour sa part Koenig⁶ .
Le PTr réplique à cette campagne. C’est le ministre Harold Walter qui présente la thèse du gouvernement. Il ramène toute l’affaire à une question de sécurité intérieure pour Maurice : «La base de Diego Garcia entre dans le contexte d’un traité de défense entre le Royaume-Uni et Maurice. Les troupes britanniques pourront intervenir s’il y a une attaque ennemie ou un coup d’État contre le gouvernement légal du pays⁷…» Cette ligne de défense avait été convenue entre sir Seewoosagur et les Britanniques.
À Whitehall et dans un certain nombre de pays de la région et du Commonwealth, c’est plutôt le sort des habitants de Diego Garcia et leur futur statut qui commencent à susciter de nombreuses interrogations. Le Colonial Office cherche absolument à démontrer qu’il n’y a pas de population indigène dans les îles, bien que certains de leurs habitants y soient nés, parfois aussi leurs parents. Il affirme que la population de toutes ces îles s’élève à 1 500 personnes qui, à part quelques fonctionnaires et des administrateurs, sont des travailleurs originaires de Maurice et des Seychelles employés à la fabrication du coprah, à l’extraction du guano et à l’exploitation des tortues, ainsi que leur famille. Il chiffre à 638 le nombre de Mauriciens installés dans les îles. Mais tous doivent maintenant évacuer l’archipel. Il est prévu que le nouveau territoire n’abritera pas de résidents permanents.
Les conseillers juridiques du Colonial Office ont fait ressortir que l’absence de résidents permanents permettrait au Royaume-Uni d’échapper aux obligations découlant du chapitre XI de la Charte des Nations unies⁸. Ce chapitre XI, qui est une déclaration relative aux territoires nonautonomes stipule que «les membres des Nations unies qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes reconnaissent le principe de la primauté des habitants de ces territoires».
Ils doivent de plus «communiquer régulièrement au secrétaire général, à titre d’information… des renseignements statistiques et autres de nature technique relatifs aux conditions économiques, sociales et éducatives dans les territoires dont ils sont responsables…» C’est tout ce que les Britanniques et les Américains ne veulent pas.
Le Foreign Office, qui briefe sa mission permanente aux Nations unies, reconnaît que le Royaume-Uni est malgré tout dans une «position délicate». Il veut éviter une situation qui offrirait des arguments aux Argentins dans le conflit concernant les îles Malouines et dans une certaine mesure à l’Espagne sur Gibraltar. Mais il admet que, pour le moment, le Royaume-Uni ne peut pas encore affirmer qu’il n’y a pas d’habitants permanents dans l’archipel⁹ .
Dans une note préparée à l’intention de la presse, le secrétariat aux Colonies écrit quand même que «les îles choisies n’ont virtuellement pas d’habitants permanents¹°». Les officiels britanniques qui étudient l’aspect juridique de la question recommandent que les Chagossiens soient traités comme une «population flottante», et considérés comme des Mauriciens ou des Seychellois. Le conseiller juridique du Foreign Office propose de plus d’«entretenir la fiction que les habitants des Chagos ne sont pas une population permanente ni semi-permanente¹¹».
Un responsable du Colonial Office, Alan Brooke-Turner, concède que le procédé est «plutôt transparent», mais il donne au RoyaumeUni un argument de défense devant le Comité des 24 des Nations unies¹².
Les éventuelles critiques des Nations unies préoccupent au plus haut point le Foreign Office. Il se rend compte que ces contestations s’appuieront sur le fait que le Royaume-Uni est en train de créer «une nouvelle colonie» à l’ère de la décolonisation, et qu’il établit de nouvelles bases militaires au moment où il devrait se retirer de ses anciens postes.
Pour se défendre, le Royaume-Uni présente son principal argument : «Ces arrangements ont été faits avec les accords des gouvernements de Maurice et des Seychelles.» Et il continue à affirmer en outre qu’il n’y a «virtuellement pas de population indigène» dans les îles concernées¹³.
Mais il faut néanmoins décider maintenant de la manière dont les Chagossiens seront déportés. Le Colonial Office envoie des instructions à l’administration du territoire, basée aux Seychelles, demandant que des dispositions soient prises pour planifier au plus vite l’évacuation de la population de Diego Garcia¹⁴. Il est confirmé, dans un premier temps, qu’ils seront réinstallés ailleurs, aux Seychelles, à Maurice ou à Agalega, dépendance de Maurice. Les Américains ont de nouveau indiqué qu’ils ne veulent même pas de main-d’œuvre locale permanente dans la nouvelle colonie. Les Britanniques donnent leur accord. Le sous-secrétaire permanent au Foreign Office, sir Paul Gore-Booth, note : «Si nous autorisons ‘quelques’ personnes de la région à résider dans les îles, alors, tôt ou tard, ce sera de nouveau Singapour, Aden ou quelque chose de ce genre¹⁵.»
Sir Paul recommande de la fermeté dans l’affaire : «Tout le but de l’opération était d’obtenir quelques rochers qui resteront notre propriété ; il n’y aura pas de population indigène à l’exception des mouettes» qui, ajoute-t-il avec ironie, «n’ont pas encore leur comité (le Comité sur le statut des femmes ne défend pas les droits des oiseaux¹⁶).» Ce qui fait dire à son collègue D. A. Greenhill que «malheureusement, avec les oiseaux, il y a quelques Tarzan et Vendredi (Men Fridays) dont les origines sont obscures¹⁷…»
Tandis que les officiels préparent à Whitehall le programme d’évacuation des Chagossiens, les diplomates accentuent leur campagne d’explication dans de nombreux pays et auprès des organisations internationales. Devant le comité politique de l’Organisation de l’alliance atlantique, à Paris, le délégué britannique justifie la création du nouveau territoire en réaffirmant que les gouvernements de Maurice et des Seychelles ont donné leur accord au projet¹⁸.
Cet argument est rejeté par un certain nombre de pays qui participent à un débat au sein du Fourth Committee des Nations unies. Ce comité traite des questions de décolonisation. La Tanzanie, Cuba, la Yougoslavie et l’Inde, «sans trop d’insistance», estiment les Britanniques, font remarquer que le démembrement du territoire mauricien porte atteinte aux intérêts d’une minorité, même si les représentants de la majorité ont été incités à donner leur accord. Les intervenants estiment que cette opération est contraire à la résolution 1514 (XV) des Nations unies, et soulignent l’inadmissibilité du démembrement malgré le paiement d’une indemnisation qu’ils qualifient de «prix du silence» (hush money)¹⁹.
Une autre critique circule dans les milieux diplomatiques : les Indiens, notamment, affirment que le «détachement» des Chagos était une condition préalable à l’Indépendance de Maurice. Le Foreign Office s’emploie à démentir l’accusation. Il rappelle que l’Indépendance est envisagée depuis longtemps : «En fait, les discussions constitutionnelles de 1961 laissaient présager l’Indépendance comme l’objectif ultime, mais la pierre d’achoppement a toujours été la question des garanties données aux minorités.» Il fait également remarquer que la question des Chagos n’a pas été mentionnée à la conférence constitutionnelle sur l’Indépendance, «les discussions sur les Chagos ont eu lieu séparément et confidentiellemement, avec les ministres seulement²°».
L’effervescence politique et diplomatique commençant à embarrasser passablement les ministres du gouvernement mauricien, le Colonial Office reconnaît qu’il leur faudrait quelques «munitions» pour répondre, entre autres, à la campagne du PMSD. Il est décidé de reprendre avec les Américains les points en suspens de l’accord conclu avec Maurice, mais relevant des États-Unis. Il y a notamment l’importation de sucre, l’achat de blé à un prix préférentiel, les droits de pêche, les bénéfices d’une éventuelle découverte et de l’exploitation de pétrole et de minerais. Il y a également la promesse d’un possible retour de ces îles à l’État mauricien si jamais le RoyaumeUni et les États-Unis n’en ont plus besoin.
L’administration britannique décide d’évoquer ces points avec les Américains, mais en prenant les plus grandes précautions. Elle s’inquiète du doute qui règne à Washington, où l’on craint que le «détachement» des Chagos et la création du BIOT pourraient d’une certaine manière être conditionnels. Le Foreign Office juge utile de préciser la position britannique : «Strictement parlant, nous n’avons accepté aucune condition… Nous avons seulement promis de faire de notre mieux pour que Maurice obtienne quelques bénéfices supplémentaires et d’en parler bientôt au gouvernement américain.²¹»
La démarche auprès des Américains est qualifiée de «tactique» par le Foreign Office. Il s’agit seulement de pouvoir dire aux dirigeants politiques mauriciens qu’elle a été faite, conformément à l’accord, mais sans succès²².
En même temps qu’il gère les retombées politiques de la création de sa nouvelle colonie, le Royaume-Uni engage des discussions avec les Américains sur l’administration commune du nouveau territoire et le mode de financement des futures installations militaires.
1. TNA. PRO. 3 November 1965. Telegram from Sir John Shaw Rennie (Mauritius) to the Secretary of State for the Colonies. FO 371/184529 Z4/195(C).
2. 2TNA. PRO. 5 November 1965. Telegram from Sir John Shaw Rennie (Mauritius) to the Secretary of State for the Colonies. FO 371/184529 Z4/181(C)/G.
3. L’express, 11 novembre 1965.
4. L’express, 8 novembre 1965.
5. L’express, 6 décembre 1965.
6. L’express, 13 novembre 1965.
7. L’express, 13 décembre 1965.
8. TNA. PRO. 28 July 1965. Letter from T. C. D. Jerrom to F. W. Brown. FO 371/184526 Z4/111.
9. TNA. PRO. 10 November 1965. Telegram from Foreign Office to UK Mission to the United Nations. FO 371/ 184529 Z4/206.
10. TNA. PRO. 8 November 1965. Telegram from the Secretary of State for the Colonies to Mauritius, Seychelles. FO 371/184530 Z4/210.
11. Aust, Antony, Immigration Legislation for BIOT : Memorandum, 16 January 1970.
12. Vine, David, Island of Shame. Princeton, Princeton University Press, 2009, 91.
13. TNA. PRO. 9 November 1965. Note for use by Lord Walston in the Foreign Affairs debate on 10 November 1965. FO 371/184530 Z4/213.
14. UKTB 4-132, cited in Vine, David, Island of Shame. Princeton, Princeton University Press, 2009.
15. TNA. PRO. 15 November 1965. P. H. Gore-Booth’s minute to the British Indian Ocean Territories, Guidance No. 449. FO 371/184530 Z4/215.
16. Queen v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Office, ex parte Bancoult [2000] EWHC Admin 413, 13.
17. Ibid.
18. TNA. PRO. 18 November 1965. Letter from J. E. Millard, United Kingdom Delegation to NATO, Paris, to C. G. Arthur, Foreign Office. FO 371/184530 Z4/215(C).
19. TNA. PRO. 16 November 1965. Telegram from Lord Caradon, UK Mission to the United Nations, New York, Foreign Office. FO 371/184530 Z4/222.
20. TNA. PRO. 24 November 1965. Telegram from Foreign Office to UK Mission to the United Nations, New York. FO 371/184530 Z4/228.
21. TNA. PRO. 7 December 1965. Letter from G. C. Arthur, Foreign Office, to H. P. Hall, Foreign Office. Z4/224/G.
22. Ibid.
Chapitre VII : La stratégie
Surprise ! Alors que des responsables de Whitehall s’activent à régler la question de juridiction et les problèmes liés à la gestion du personnel militaire et civil sur le territoire nouvellement créé, les Américains informent le Royaume-Uni qu’en définitive, ils pourraient ne plus avoir besoin de Diego Garcia.
Une étude commandée par le secrétaire à la Défense, Robert McNamara, vient de montrer que l’évolution récente des technologies de communcation par satellite pourrait permettre à l’armée américaine de se passer de stations terrestres. Cette étude conclut que dans ces conditions, le coût élevé de construction d’une station de communication à Diego Garcia n’est pas justifié. Les satellites rendraient cette station obsolète¹.
Toutefois, parmi les officiers de la marine, un courant important reste persuadé qu’indépendamment des besoins de communication, une base à Diego Garcia conserve le plus haut intérêt. Certains élaborent alors un plan de station de ravitaillement des navires qui transitent dans l’océan Indien. Le nouveau projet est présenté au secrétaire à la Défense. Il prévoit de créer des installations de soutien à la flotte comprenant du matériel d’ancrage, une piste d’atterrissage, des appareils de communication «austères», des cuves de stockage de carburant et des lieux de détente pour 250 militaires, l’investissement total étant estimé à 45 millions de dollars. Ce plan n’obtient pas tout de suite l’adhésion du Pentagone. McNamara demeure sceptique².
Mais la marine défend mordicus son projet. Son raisonnement est exposé dans un document, intitulé The Strategic Island Concept, qui souligne le rôle essentiel d’un réseau de bases pour la stratégie américaine. Il explique que les bases «offrent une plateforme de soutien et de dispersion nécessaire aux forces de riposte de l’armée de l’air, de la marine et autres dans les avant-postes. Elles permettent le déploiement des armées terrestres, aériennes et navales sur des points situés dans des régions du monde où les intérêts des États-Unis pourraient nécessiter l’usage de la force pour prévenir des actions militaires menées contre des régions du monde libre ou y riposter rapidement³».
À la veille de l’an 1966, l’accord final qui scelle le sort des Chagossiens est signé. L’évacuation des habitants peut commencer.
C’est dans ce contexte que Stu Barber, le père du Strategic Island Concept, et d’autres responsables de la marine défendent l’idée d’acquérir des îles pour y installer des bases. Ils considèrent que «des îles isolées sous administration coloniale et faiblement peuplées seraient plus faciles à acheter, et poseraient le moins de problèmes politiques⁴».
Les stratèges de la marine se disent conscients que ce genre d’occasion est en voie de disparition du fait que, dans le monde entier, de nombreux territoires accèdent à l’indépendance et que si les États-Unis veulent avoir accès à des sites potentiellement exploitables pour en faire des bases militaires, ils devraient agir vite pour les «acheter⁵».
Cette stratégie de développement de bases s’élabore dans un contexte de guerre froide où les États-Unis jugent leur relative suprématie en déclin, menacée par l’émergence de l’Union soviétique et de la Chine. D’autre part, le processus de décolonisation engagé par la France, le Royaume-Uni et d’autres nations européennes a accentué la perte d’influence de l’Occident dans les pays du tiers-monde.
Déjà, les États-Unis ont perdu leur base de Trinidad et Tobago, qui a accédé à l’indépendance. Ils prévoient d’autres expulsions ailleurs. Ils anticipent un vide de pouvoir, notamment dans l’océan Indien et au Moyen-Orient, d’autant plus que le Royaume-Uni, qui connaît des problèmes économiques, se retire graduellement de ces régions⁶.
C’est en réaction à cette nouvelle situation que les partisans du Strategic Island Concept ont proposé l’acquisition d’un grand nombre d’îles susceptibles d’être transformées en bases militaires et mises à la disposition de la marine, mieux à même de répondre aux menaces. Les îles sont choisies en fonction de deux critères, l’un militaire, l’autre politique. Au plan militaire, le potentiel du site pour abriter une piste d’atterrissage et la qualité de son point d’ancrage sont déterminants. De ce point de vue, Barber considère Diego Garcia comme «proche de la perfection». Au plan politique, c’est son isolement, et surtout sa population, il faut qu’elle soit faible, non-blanche – c’est écrit noir sur blanc – et facile à évacuer.
L’archipel est jugé politiquement idéal, surtout du fait de la faiblesse de sa population, «l’un des trous perdus les plus négligés du monde⁷». Depuis qu’ils ont remarqué Diego Garcia, c’est l’aspect qui intéresse le plus les Américains. Déjà, l’équipe qui avait dressé un premier relevé des îles de l’archipel des Chagos avait noté : «Elles ne nous paraissent pas capables de donner naissance à des mouvements indépendantistes sérieux et sont probablement trop éloignées et culturellement isolées pour figurer dans les plans d’un gouvernement continental⁸.» À l’issue d’une présentation de cette étude au Pentagone, l’amiral Horacio Rivero s’était exclamé : «Je veux cette île !» Les chefs de l’armée de l’air avaient également exprimé leur intérêt, estimant que Diego Garcia pourrait aussi servir de base à des bombardiers B-52⁹.
Tous ces arguments ne suffisent pas à convaincre le Pentagone de dégager des fonds pour la construction immédiate d’une base, même s’il est décidé de poursuivre en secret les pourparlers avec les Britanniques et de négocier un accord sur une utilisation éventuelle des îles du nouveau BIOT. La question du financement de toute l’opération est encore en suspens, en particulier la formule à trouver pour permettre une contribution financière secrète des Américains. Leurs représentants exigent toujours le secret sur toute contribution de leur part aux indemnisations à payer pour acquérir Diego Garcia et les autres îles.
Le gouvernement américain veut à tout prix éviter de demander l’approbation du Congrès, l’information publique d’une subvention à un territoire colonial britannique étant susceptible de beaucoup l’embarrasser.
En septembre 1965, le gouvernement américain dépêche à Londres une délégation composée du sous-secrétaire d’État chargé des Affaires politico-militaires, Kitchen, de même qu’un représentant de la Navy, le capitaine Coward, et des officiels du Pentagone pour finaliser le deal¹⁰. Les Britanniques sont informés que la contribution américaine sera payée sous forme d’une ristourne de cinq millions de livres sterling sur des surcharges dues par le Royaume-Uni aux États-Unis pour l’achat de missiles Polaris¹¹.
Dans le cadre d’un accord, le Polaris Sales Agreement, signé entre les deux gouvernements, en 1963, le Royaume-Uni est tenu de faire certains paiements aux États-Unis pour contribuer aux dépenses en matière de recherche et développement sur les missiles Polaris dont les Britanniques ont besoin¹². La ristourne tient lieu de remboursement aux Britanniques pour «tous les coûts liés au détachement administratif des îles de l’océan Indien concernées et de l’acquisition des terres¹³…»
Un an plus tard, en novembre 1965, Kitchen est de nouveau à Londres accompagné de responsables du Pentagone, de la marine et de l’armée de l’air pour parapher l’accord avec ses homologues du Foreign Office. Bien qu’aucun financement n’ait encore été décidé pour Diego Garcia, il informe les Britanniques que le secrétaire à la Défense a maintenant approuvé les plans de la marine prévoyant la construction d’«installations qui seront développées rapidement à l’avenir¹⁴».
Et à la veille de l’an 1966, «à la faveur de la nuit», comme le rapporte l’un des négociateurs, l’accord final qui scelle le sort des Chagossiens est signé entre les représentants des deux gouvernements¹⁵.
Un volet de l’accord est rendu public le 30 décembre 1966. Il est constitué d’un échange de notes entre l’ambassadeur américain et le secrétaire d’État britanniques aux Affaires étrangères. Son article 11 se lit ainsi : «Le gouvernement des États Unis et le gouvernement du Royaume-Uni prévoient que les îles (du BIOT) resteront disponibles afin de satisfaire les éventuels besoins de défense des deux gouvernements pour une période indéterminée. Par conséquent, après une période initiale de 50 ans, cet accord restera en vigueur pour une nouvelle période de 20 ans, à moins que deux ans avant l’expiration de la période initiale, l’un des deux gouvernements ne donne avis de sa résiliation à l’autre partie, auquel cas l’accord sera résilié deux ans après l’avis donné¹⁶.»
L’évacuation des Chagossiens peut commencer.
1. Calvert, James, Memorandum for the Secretary of the Navy, 10 January 1966, NHC: 00 Files, 1966, Box 23, 5710, cited in Vine, David, Island of Shame. Princeton, Princeton University Press, 2009, 84.
2. Nitze, Paul, Memorandum for the Secretary of the Navy, 4 February 1966, NHC: 00 Files 1966, Box 32, 11000/1, cited in Vine, op. cit., 84.
3. Ricketts, Claude, Study on strategic Requirements for Guam : memorandum for the Chief of Naval Operations, 21st February 1963, NHC : 00 Files, 1963, 11000/1, Tab B.
4. Bandjunis, Vytautas, Diego Garcia : Creation of the Indian Ocean Base. Lincoln, Writer’s Showcase, 2001,
5. Vine, David, Island of Shame. Princeton, Princeton University Press, 2009, 42.
6. Ibid., 59.
7. Rivero, Horacio, Assuring a future Base Structure in the African-Indian Ocean Area, 1960, cited in Vine, op. cit., 61.
8. Howland, N. D. (Ed.), Foreign Relations of the United States, 1964-1968: Near East Region. Arabian Peninsula, volume XXI, Washington, DC, US Government Printing Office, 2000, cited in Vine, op., cit., 77.
9. Vine, David, op. cit., 81.
10. The National Archives (UK). Public Records Office. 2 September 1965. Indian Ocean Islands : minute from J. A. N. Graham to G. Arthur and E. Peck. FO 184527 Z4/148.
11. L’Estrac, Jean Claude de, Report of the Select Committee on the Excision of the Chagos Archipelago, Mauritius, June 1983.
12. Agreement British Indian Ocean Territory, Use of Islands for Defense Purposes, Financial Arrangement (Secret), 1963.
13. Brack T. J., Letter to Mr Barratt and Mr Unwin, PRO, 20 April 1971, cited in Vine, op. cit., 87.
14. US Embassy London, Telegram to Secretary of State, 16 November 1966, Central Foreign Policy File 1964-1966, Political and Defense, BOX 1695, Def UK-US.
15. Vine, David, op. cit., 86.
16. United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland, Availability of certain Indian Ocean islands for defence purposes : Agreement effected by Exchange of Notes, London, 30 December 1966. http://www.zianet.com/tedmorris/dg/uk-usnotes1966-1982.pdf, 5 Feb 2011.
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